Vœux aux élus et aux autorités civiles de Mgr Le Saux :
En ce début d’année, je souhaite à tous une bonne année 2019. Merci à tous pour votre présence. Je tiens à dire au nom de tous les catholiques de la Sarthe notre reconnaissance et notre estime, à vous les élus (Monsieur le Maire du Mans), à vous les représentants des autorités civiles, judiciaires, militaires, à vous Monsieur le Préfet, notre reconnaissance pour votre service auprès des concitoyens, en ces périodes difficiles et complexes. En particulier, nous sommes sensibles au travail de proximité des députés et des maires qui sont les élus du territoire. Je salue les représentants des autres confessions chrétiennes, de la communauté juive. Je reste encore très marqué par le voyage de mémoire que nous avons vécu ensemble à Auschwitz. Je salue la communauté musulmane, nos amis. Notre diocèse fête vous le savez, la Saint-Julien premier évêque du Mans, fête qui est chaque année l’occasion de raviver notre lien avec le diocèse de Paderborn. Je remercie pour sa présence Monseigneur Hans Joseph Becker, archevêque de Paderborn, Monseigneur Berenbrincken évêque auxiliaire, le Père Alfons Hardt vicaire général, Monsieur Matthias Micheel nouveau secrétaire.
Permettez-moi d’insister encore sur la signification importante de ce lien entre nos deux diocèses : « fraternité perpétuelle » alors que nous allons bientôt avoir les élections européennes
dans un contexte difficile où beaucoup de pays en Europe sont tentés de se replier sur eux-mêmes. L’Europe se cherche comme une nouvelle raison d’être. Il est comme nécessaire de lui insuffler un supplément d’âme. Elle ne peut pas se construire que sur l’argent et l’économie.
La vie de l’Eglise cette année écoulée, a été rudement marquée par la lumière faite sur les abus sexuels perpétrés par des prêtres. C’est toute la communauté ecclésiale qui en est profondément blessée. Je me permets de vous inviter à lire la lettre du Pape François adressée au peuple de Dieu sur ce sujet. Nous sommes déterminés à tout mettre en œuvre pour donner place à la souffrance et la douleur des victimes. Nous n’avons pas encore pris suffisamment la mesure de leur douleur. Nous sommes déterminés à tout mettre en œuvre pour que toute la lumière soit faite. Je me réjouis de la mise en place d’une commission d’enquête indépendante à la demande des évêques de France. C’est une tâche qui souille l’Eglise comme elle gangrène la société (peut-être que d’autres institutions pourraient faire ce même travail). La vérité et la justice exigent aussi de ne pas suspecter tous les prêtres d’être porteurs de perversité.
Notre pays est traversé par des troubles sociaux graves : la crise des gilets jaunes. Bien sûr, les chrétiens et l’Eglise se sentent concernés par tout cela. Cette crise révèle une profonde détresse et souffrance, un sentiment d’injustice et d’abandon réel ou non. Il faut entendre cette détresse et tenter de comprendre où elle se situe réellement. Notre mode de vie occidental a produit un monde à deux vitesses, une distance s’est introduite entre ceux qui n’arrivent plus à vivre dignement et ceux qui sont de plus en plus riches. Un fossé se creuse entre riches et pauvres, entre une société de technocrates qui concentre le pouvoir et ceux qui deviennent invisibles. C’est notre modèle de société occidental qui est interrogé. Nous avons engendré une culture de l’individualisme et même une idolâtrie de la satisfaction des désirs immédiats où beaucoup sont laissés sur le bord du chemin. Le désir individuel l’emporte sur la recherche du bien commun, l’émotion sur la recherche de la vérité. Les plus vulnérables et les plus fragiles sont exclus. Le Pape François parle de culture du déchet, les déchets n’étant pas seulement des ordures ménagères mais des hommes et des femmes. Il parle aussi de mondialisation de l’indifférence. Il invite à entendre le cri de la Terre et le cri des pauvres. S’ajoute à cela le vide de sens, l’absence de proposition transcendante. Cela ne peut que conduire à la colère et à la tentation de la violence. On en devient incapable d’écouter l’autre et donc de parler, d’entrer dans un véritable dialogue. Le dialogue suppose le choix de la bienveillance, la recherche de la vérité, de donner sa place à la raison et à l’intelligence et pas seulement à l’opinion et à l’émotion. Il suppose la recherche du bien commun. Je me souviens d’une conversation avec le Cardinal Lustiger il ya plus de vingt ans, lors de laquelle on faisait déjà le constat du vide qui se répandait en Europe, de l’absence d’une vision transcendante. Il me disait : « on va engendrer « la barbarie ». Je lui demandais combien de temps cela allait durer. Je me souviens de sa réponse : « Tant que les amuseurs publics nous amuserons et qu’il y aura de l’argent, cela peut durer longtemps ». Mais quand il n’y aura plus d’argent ? Les chrétiens, l’Eglise catholique veulent pour leur modeste part, contribuer à favoriser le dialogue entre et avec nos concitoyens, contribuer à créer des lieux de dialogue et de service du bien commun. J’ai encouragé les chrétiens à participer au débat national qui nous est proposé. Nous ne voulons donner la leçon à personne mais participer pour notre part à ce processus en espérant qu’il aboutisse. D’ailleurs, le synode que le diocèse vit n’est sans doute pas sans lien avec ce qu’est appelée à vivre toute la société. Nous voulons encourager et participer à donner droit à la démocratie. Ce n’est pas la rue qui gouverne mais les urnes. De la même manière, ce ne sont pas les médias, ni les réseaux sociaux qui doivent porter des sentences et des condamnations si nécessaires mais la justice. Entendre la détresse de ceux qui souffrent. Chercher le meilleur moyen de servir le bien commun. Ecarter la tentation de la violence quelle qu’elle soit, d’abord verbale. Je pense aux réseaux sociaux où se déchaîne la violence. Même parfois des chrétiens ont ce type de comportement, cela est inacceptable.
Cette crise « des gilets jaunes » ne doivent pas nous faire oublier d’autres sujets. Je pense à la situation des migrants. Je suis lucide que la situation est complexe mais on continue à mourir noyé dans la Méditerranée. Il y a aussi les questions relatives à la révision des lois de bioéthique avec les enjeux majeurs pour l’avenir de nos sociétés, de notre juste compréhension de ce qu’est la personne humaine. Il ne s’agit pas d’un débat d’opinion mais d’une exigence de conscience qui touche à la nature même de ce qu’est la personne humaine. Au passage, je me permets de vous recommander la lecture du document signé par tous les évêques de France : La dignité de la procréation. Je pense aussi à l’idée développée par certains de réviser la loi de 1905 sur la relation de l’Etat avec les religions. La laïcité, c’est d’abord la défense de la liberté religieuse, le droit de croire ou de ne pas croire, de vivre la religion que nous souhaitons dans le respect des autres. Mais la peur de l’Islam ne peut être l’unique raison de cette révision. Il me semble que l’on ne résoudra pas ces questions si l’on nie l’aspiration à la transcendance qui traverse le cœur de tout homme ou qu’on la relègue à un simple choix annexe de la vie personnelle. Si on ne tient pas compte de cette dimension de la personne humaine, on ne peut qu’engendrer le vide et la violence.
L’évènement majeur de notre vie dans le diocèse du Mans est le synode diocésain. Pour faire bref, c’est l’évêque qui, avec les chrétiens du diocèse tente de se mettre à l’écoute pour essayer de voir et comprendre ce que Dieu attend de nous aujourd’hui et cela sur une question précise : « quelles communautés paroissiales pour aujourd’hui ? ». Nous essayons de nous écouter les uns les autres et de repérer les véritables défis et failles de notre société pour tenter d’y répondre à notre modeste mesure. Ce synode a été ouvert il y a un an. Plus de 490 équipes synodales se sont réunies. Elles ont rassemblé plus de 3200 chrétiens du diocèse. Les réflexions de ces équipes ont servi de base pour l’organisation des assemblées synodales. 297 personnes sont appelées à y participer ensemble. Nous tentons d’écouter et de chercher ce qui est juste et bon de faire. Nous avons fait le choix pour ces assemblées d’utiliser une pédagogie mise en œuvre par le Pape François dans tous ses écrits. Nous avons commencé par nous arrêter et repérer ce qui est positif, ce qui est déjà source de joie, là où nous voyons déjà des fruits (première assemblée). La seconde étape, nous avons essayé d’identifier nos difficultés, les maladies qui nous empêchent d’avancer ou d’être vraiment ce que nous devons être pour être plus cohérent avec l’Evangile (deuxième assemblée). La troisième rencontre, nous tenterons de nous donner des priorités à mettre en œuvre pour l’avenir, des réformes à envisager. Plus je réfléchis à ce choix, plus je pense que cette approche qui commence par ce qui va bien pour avoir le courage de voir ce qui est difficile afin de choisir les réformes nécessaires, pourrait servir à d’autres (ces propos n’engagent que moi). Permettez-moi encore d’évoquer encore deux sujets parmi d’autres qui sont au cœur de nos préoccupations : les jeunes – un certain nombre d’initiatives dans le diocèse sont organisées en direction des jeunes – l’Eglise universelle vient de vivre un synode sur la place des jeunes – le déroulement en ce moment-même des Journées mondiales de la Jeunesse au Panama. Comment donner place aux jeunes, les écouter, leur transmettre ce que nous avons reçu ? Je suis frappé par l’intuition du Pape sur la place à donner aux jeunes et aux personnes âgées et la nécessité de mettre en relation la jeunesse et les personnes âgées. Je pense aussi à l’enseignement catholique qui dans la Sarthe accueille 22000 élèves qui s’inquiètent de l’avenir, en particulier de la présence dans le monde rural. Je salue au passage notre nouveau directeur diocésain, responsable de l’enseignement catholique.
Enfin, dans nos sociétés, il y a de plus en plus de personnes vivant dans des situations de précarité, des personnes exclues, fragiles, déséquilibrées, seules. Nous réfléchissons comment aller plus loin dans notre proximité et service des plus pauvres. J’aurais sans soute pu évoquer d’autres points mais il faut choisir. Je souhaite simplement dire combien les communautés catholiques souhaitent être présentes auprès de nos concitoyens pour servir le bien commun et témoigner de l’espérance qui est la nôtre. Le Pape Paul VI disait « que les chrétiens viennent dans le monde à partir de l’avenir ». Nous croyons comme dit la Bible « qu’il y a un avenir et une espérance ». Permettez-moi de vous citer un passage de la lettre de Saint Paul aux Corinthiens : « Vous ne devez pas être « abattus comme les autres qui n’ont pas d’espérance ». Un élément caractéristique des chrétiens est le fait qu’ils ont un avenir. Ce n’est pas qu’ils sachent dans les détails ce qui les attend, mais ils savent de manière générale que leur vie ne finit pas dans le néant. C’est seulement lorsque l’avenir est assuré en tant que réalité positive que le présent devient viable. Merci encore à tous de votre bienveillance à notre égard. Je redis à tous mon estime et mon plus profond respect.
Bonne année à tous.
Yves Le Saux
Evêque du Mans