De Francis Bergeron dans le quotidien Présent du 26 décembre :
Si l’Eglise, par la voix du porte-parole de la Conférence des évêques de France, a semblé comprendre la détresse et, pour partie, le message des Gilets jaunes, c’est d’abord parce que, dans cette révolte des ronds-points, elle y a reconnu beaucoup de ses ouailles. Par le Secours catholique et Emmaüs, les catholiques engagés connaissent les difficultés financières dans lesquelles se débattent nombre de Français, en particulier ceux de la ruralité, ainsi que les retraités. Edouard Philippe et les siens auront beau crier au fascisme, à l’antisémitisme, en parlant des Gilets jaunes, ce discours ne prend pas plus dans l’Eglise qu’ailleurs.
Il existe certes encore, au sein de l’Eglise, du moins dans ses sphères dirigeantes, une aile « progressiste », marxisante, type JOC, CCFD ou autres, mais le soutien des mélenchonistes aux Gilets jaunes divise leurs rangs et, du coup, les « progressistes » ne se sentent pas en mesure d’emboîter le pas aux « progressistes » du camp Macron pour « sauver la République ».
Le fait que LREM se réclame de l’idéologie progressiste est d’ailleurs une vraie difficulté pour l’« aile moderniste » de l’Eglise. Car on a bien compris que le progressisme de Macron est une approche libérale-libertaire, c’est-à-dire individualiste et ultralibérale sur le plan des mœurs et des règles de bioéthique, mais libérale aussi sur le plan économique. Ce qui constitue un schéma assez nouveau pour la France. En tout cas, ce progressisme-là n’a pas grand-chose à voir avec le progressisme chrétien de la seconde moitié du XXe siècle, qui était simplement une forme spécialement adaptée pour les chrétiens de gauche du marxisme-léninisme.
Ce qu’ont vu les catholiques, sur les ronds-points, c’est la désespérance économique de catégories intermédiaires, et une révolte contre la perte d’identité organisée. D’où cette absence de condamnation solennelle des autorités religieuses, et même une recherche de dialogue avec les Gilets jaunes.
« Des décennies de sentiment d’abandon de territoires »
A la façon de l’Eglise congolaise, actuellement, ou de l’Eglise polonaise, du temps du communisme, Mgr Ribadeau-Dumas a rappelé, au nom des évêques, que l’Eglise était aussi un corps intermédiaire, et qu’à ce titre elle pouvait elle aussi favoriser le dialogue entre le pouvoir et la population.
Mgr Ribadeau-Dumas a condamné « toute forme de violence », ce qui paraît logique. Il a aussi rappelé que la crise « est la résultante de décennies de sentiment d’abandon de territoires » et de « difficultés à finir les fins de mois ». Rien de bien original dans tout ça. Mais quand il dit que « notre société crève de ne pas pouvoir parler, de ne pas être entendue », il met le doigt sur la revendication devenue à présent dominante : le droit de s’exprimer librement, en particulier par le biais des référendums, avec le « risque » que les référendums soient réclamés sur des sujets tabous, interdits, comme l’islam et l’immigration.
Le 24 décembre au soir, sur de nombreux ronds-points, des crèches avaient été installées, des chants de Noël ont retenti. « J’avais envie de faire Noël ici, avec mes camarades de combat, car entre nous est née une amitié sincère. » « Ici on s’entraide, on n’est pas dans une société individualiste. » Tel est le genre de propos que l’on pouvait entendre sur les lieux de rassemblement. Des symboles, des mots qui parlent quand même aux autorités catholiques.