De Mgr Olivier de Germay, évêque d’Ajaccio :
Face à la crise des gilets jaunes, chacun a tendance — et cela se comprend — à interpréter la situation « depuis sa fenêtre » c’est-à-dire à partir de ses propres préoccupations. Sont ainsi dénoncés la diminution du pouvoir d’achat, les inégalités croissantes dans notre pays, l’indécence des salaires de certains grands patrons, l’insolence de certains responsables politiques — parfois corrompus — la détérioration de l’environnement, le manque de mesures efficaces pour y faire face, etc.
Quoi qu’on pense des diverses revendications exprimées dans ce conflit, elles doivent être prises au sérieux dans la mesure où elles traduisent de réelles souffrances et un véritable malaise dans la civilisation, pour reprendre l’expression de Freud. C’est effectivement à ce niveau, celui d’une remise en cause globale de notre modèle de société, qu’il faut se hisser si nous ne voulons pas en rester à quelques mesures provisoires ou à une guerre de tranchée où chacun revendique la mesure immédiate qui va résoudre son problème personnel.
Pour favoriser cette prise de hauteur, l’encyclique du pape François Laudato Si peut être utile. Dans ce texte de 2015, le pape insistait sur la nécessité d’avoir une approche globale de l’écologie. « Paix, justice et sauvegarde de la création sont trois thèmes absolument liés » écrivait-il, ajoutant que « toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés ».
Le pape est en effet convaincu que « la culture écologique ne peut se réduire à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train d’apparaître ». Nous sommes sous l’emprise d’un « paradigme technocratique » qui pousse l’économie à intégrer chaque avancée technologique dans le seul but d’augmenter le profit. Cette logique conduit à un « surdéveloppement où consommation et gaspillage vont de pair » alors que la misère augmente dans de nombreux pays. C’est pourquoi l’économie et la technologie ne peuvent, à elles seules, apporter une réponse adéquate aux problèmes environnementaux. C’est d’un « regard différent » dont nous avons besoin pour résister « à l’avancée du paradigme technocratique ». Au-delà des mesures urgentes qui demeurent nécessaires, notre monde a besoin de revenir aux questions essentielles qui traversent l’humanité, à commencer par la question du sens. Comment donner un sens à sa vie si notre seul objectif est de consommer et de posséder toujours plus alors que certains meurent de faim et que la planète se dérègle ?
La réponse n’est certes pas évidente, mais l’enjeu mérite que l’on y réfléchisse. Comment repenser l’articulation du droit à la propriété privée avec la destination universelle des biens ? Comment distinguer progrès technologique et progrès pour l’homme ? Comment mettre le génie de l’homme au service de la solidarité et non seulement au service de la croissance économique ? Comment penser une « certaine décroissance dans quelques parties du monde » et favoriser un mode de vie plus sobre ?
N’attendons pas d’avoir la réponse parfaite à toutes ces questions pour agir. La fête de Noël est une excellente occasion de résister à l’emballement du consumérisme, de l’individualisme et de la superficialité, pour reprendre conscience de l’extraordinaire nouvelle : Dieu s’est fait homme. « Lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. » (2Co 8,9) à Noël, offrons-nous et partageons les vraies richesses !