On sent poindre dans le traitement médiatique de l’affaire de ce médecin de Bayonne, sous le coup d’une information judiciaire pour quatre « empoisonnements », le regret que le droit français ne fasse pas de distinction entre l’assassinat que vise la justice et l’« euthanasie », plus chic, moins contestable et d’ailleurs autorisé dans des pays voisins. L’empoisonnement, comme l’homicide avec préméditation dont il est une forme, est passible de la réclusion criminelle à perpétuité.
Le Dr Nicolas Bonnemaison aurait reconnu les faits, selon la presse locale : responsable du court séjour au pôle réanimation-urgences de l’hôpital de Bayonne, il a attiré l’attention du fait que d’avril à août, quatre personnes âgées en fin de vie, en attente de placement en soins palliatifs, sont mortes dans son service et sous sa garde. La dernière victime, décédée le 3 août, avait 92 ans. Elle n’était pas mourante…
Saisie le 9 août, par la hiérarchie de l’hôpital qui avait été alertée par les personnels des services des urgences, la police a rapidement réagi, tandis que le directeur de l’hôpital saisissait de sa propre initiative le procureur de la République. Voilà qui est rassurant ; on continue de prendre au sérieux le devoir de respecter la vie des personnes âgées rendues encore plus fragiles par la maladie et la souffrance. Pour une fois on n’ironisera pas sur la mise en place d’une cellule psychologique proposée à ceux qui travaillent dans ledit service : cela prouve que le fait de tuer les patients provoque un traumatisme. Tous – « la direction, la communauté médicale, l’ensemble du personnel » – se sont dits « bouleversés ».
Une enquête administrative de l’IGAS est annoncée. « Elle a pour but d’analyser le fonctionnement de l‘établissement, les procédures de contrôle interne et la prise en charge des patients dans le service concerné », précise un communiqué du ministère de la Santé.
Quelles étaient les motivations du Dr Bonnemaison ? Il y a fort à parier que les débats tourneront rapidement autour de la situation des patients éliminés qui n’avaient plus beaucoup de temps à vivre et qui, s’ils attendaient des soins palliatifs, souffraient sans doute de douleurs importantes. Leurs conditions de vie étaient-elles « dignes » ? Etape suivante : étaient-ils dignes de vivre ? La réponse actuelle à ce tragique fait divers est « oui ». Mais beaucoup de pressions concourent pour imposer l’idée inverse.
Il serait grand temps d’arrêter de laisser dire que l’euthanasie, ou le suicide assisté, permettent de sauvegarder la dignité d’un malade qui souffre, et qui ne souffre pas le moins de sa perte de contrôle de lui-même. Cette souffrance-là est digne… digne d’être secourue, soignée, et sublimée par son sens profond qui demeurera toujours dans ce monde une réalité et un mystère.
Il faudrait dire que la dignité que brise l’euthanasie, c’est celle de celui qui prend la vie d’autrui. Le mal fait plus de mal à celui qui le commet qu’à celui qui le subit. C’est le tueur qui s’expose à devenir moins qu’un homme – même s’il pense avoir d’excellentes raisons.
Le langage des droits – droit de vivre, droit de ne pas être tué – est finalement moins juste et moins puissant que celui des devoirs et des interdits. « Tu ne tueras pas l’innocent », dit Dieu à Moïse ; « Tu ne tueras pas », résonne en écho la loi naturelle qui pour être obscurcie dans notre nature déchue, n’en est pas moins inscrite dans le cœur de l’homme. « Celui qui tue sera puni », dit la justice humaine. Nous sommes prévenus : celui qui tue se blesse mortellement.
Celui qui aime, soigne, réconforte le malade qui souffre, et lui donne des raisons de vivre, celui-là grandit.
En ce temps du massacre d’innocents, la présence de ces malades âgés, fragiles, démunis est peut-être justement le moyen de retrouver un peu de cette dignité perdue.
Ne les laissons pas massacrer à leur tour !
Article paru dans Présent daté du 13 août 2011