Mgr François Jacolin a quitté le diocèse de Mende (Lozère) pour être solennellement installé comme évêque du diocèse de Luçon (Vendée) le 15 juillet.
Comment avez-vous réagi à l’annonce de votre nomination à Luçon ?
Quand le nonce m’a téléphoné, j’ai dit oui tout de suite ! Je fais confiance à l’Église, j’essaie d’accueillir ses demandes. Néanmoins plusieurs points m’ont fait un peu peur. Mon âge, tout d’abord, j’ai eu 68 ans en avril dernier. Ensuite, le diocèse de Luçon est beaucoup plus important que celui de Mende, la population y est neuf fois supérieure ! J’avais également connaissance de situations de conflit un peu compliquées. Ceci dit, la Vendée ne m’était pas complètement inconnue, j’avais déjà ici une certaine part de mon cœur, puisque je venais régulièrement à la communauté des Missionnaires de la plaine et de sainte Thérèse (mdp) à Chaillé-les-Marais (Sud-Vendée) lorsque j’étais prêtre du diocèse de Bourges. J’ai accepté cette nouvelle responsabilité en me donnant la mission de travailler à l’unité et la paix dans le diocèse.
Quelles sont les grandes rencontres, les figures qui ont marqué votre parcours ?
La rencontre avec Jésus vivant ! Celle avec les Missionnaires de la plaine pendant mon séminaire, j’avais 30 ans. Celle avec les Gens du voyage. Grâce aux Missionnaires de la plaine, j’ai rencontré sainte Thérèse de l’enfant Jésus, sa spiritualité, son sens de la mission portée ensemble, son regard sur la miséricorde de Dieu. À l’époque, le P. Ferdinand Prouteau, supérieur des Missionnaires de la plaine et originaire de Talmont-Saint-Hilaire, m’a beaucoup marqué. C’était un sage et un original, un homme d’écoute qui se méfiait des grands discours. Partout où il passait, il suscitait des petits groupes autour de la Parole de Dieu. Il avait une grande liberté intérieure : il reste un modèle pour moi. J’ai rencontré plus tard les Gens du voyage dans une paroisse rurale que je desservais. Je les ai accompagné lors de pèlerinages et suis devenu leur aumônier. Aujourd’hui je connais des familles de Voyageurs sur toute la France ! Et je suis depuis quatre ans, membre de la commission épiscopale pour la mission universelle de l’Église, en charge des Gens du voyage. La façon dont Dieu habite leur journée, leur relation très spontanée à Dieu est très touchante. La vie au jour le jour, le sens de la famille et des anciens sont des valeurs qu’ils portent particulièrement. Ils sont dépaysants et ils obligent le prêtre à revenir sans cesse au cœur de sa mission : annoncer l’Évangile et prier ! À leur contact, on apprend à faire moins de détours pour parler de et à Dieu. On va simplement à l’essentiel ! Antérieurement, mes parents, ma famille, la paroisse rurale où j’étais enfant à Étréchy-sur-le-Cher (18) ont beaucoup compté. J’ai un frère, quatre sœurs, vingt-huit neveux et plus de quarante petits-neveux : c’est important pour moi de vivre ces liens familiaux en les rencontrant régulièrement. Je passe l’essentiel de mon temps libre à aller les visiter, ainsi que les familles de Voyageurs. Je suis d’ailleurs très sensible à l’Église comme famille de Dieu. J’appréhende souvent les questions ecclésiales sous cet angle.
Qu’avez-vous observé depuis votre installation à Luçon ?
L’Église de Vendée a un riche passé et de nombreuses forces vives. Ces deux premiers mois confirment les grandes potentialités déjà entrevues. La Vendée bénéficie d’une belle vitalité : des initiatives se développent partout et dans tous les domaines économiques, touristiques, etc. Cet esprit est également présent au sein de l’Église de Luçon. C’est une dynamique encourageante ! J’ai reçu un accueil très chaleureux. Je sens une grande attente de la part des diocésains, c’est stimulant tout en donnant un peu le vertige ! J’observe une réelle inventivité pour la mission d’aujourd’hui, mais avec des clivages assez forts. Les énergies pourraient mieux être mises à profit. J’ai aussi découvert la maison des services du diocèse à La Roche-sur-Yon avec ses équipes de salariés et de bénévoles, qui m’a fait l’impression d’une formidable ruche ! Comme dans d’autres diocèses, je me demande comment faire en sorte pour que les paroisses et les services diocésains soient complémentaires, et non des mondes parallèles, afin que les démarches initiées correspondent vraiment aux aspirations de nos contemporains. Aujourd’hui tout évolue très vite, le risque est grand de répondre à côté des besoins.
Que retenez-vous particulièrement de vos expériences précédentes ?
Comme évêque pour le diocèse de Mende, j’ai eu à cœur, et je tenais ça de mon expérience des Missionnaires de la plaine et de sainte Thérèse, de développer la confiance fraternelle entre les prêtres d’abord. Je crois bien sûr, que les prêtres ne peuvent rien faire tout seul, mais s’ils vivent l’esprit de communion fraternelle entre eux, alors une meilleure collaboration avec les laïcs est possible. Ils deviennent aussi des exemples vivants. La notion de presbyterium est vraiment importante pour moi. Autre point : la formation des laïcs. Ceux à qui l’on confie des responsabilités pastorales n’ont pas seulement besoin d’une préparation technique, mais aussi d’un temps de réflexion dans une vision harmonique de la foi : biblique, théologique, spirituelle. Une démarche de conversion, d’approfondissement du mystère chrétien, du Christ et de l’Église doit être proposée en amont.
Est-ce également ce que vous souhaitez mettre en œuvre au sein du diocèse de Luçon ?
Ce sont les deux axes principaux que j’ai à cœur de développer, en insistant comme dit Jeanne d’Arc, sur le fait que « le Christ et l’Église, c’est tout un ». Je porte aussi le souci de mettre en valeur ce qui unit la famille Église. Avant ce qui peut nous opposer, apprenons à nous accueillir et à nous écouter entre générations différentes, sensibilités, façons de concevoir la mission auprès du monde et milieux différents. « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres, que l’on reconnaitra que vous êtes mes disciples » (Jn 13, 25). C’est l’unité entre nous qui témoigne de notre foi. Je crois en cette communion de tous au service de la mission. J’ai aussi la conviction que c’est en faisant d’abord de la place aux plus petits et aux plus faibles que chacun trouvera son rôle. Si on ne commence pas par eux, ils risquent de rester de côté. L’observation et l’écoute sont une dimension permanente de mon épiscopat !
Comment envisagez-vous de faire progresser ce travail de collaboration ?
En conseil épiscopal et en réunions de doyennés, j’appuie sur l’importance de travailler et vivre quelque chose ensemble, de se faire confiance. Il ne s’agit pas de créer de nouvelles structures, mais de mieux articuler les relations entre la paroisse, le doyenné, la zone pastorale et les services diocésains. Se parler davantage, se tenir ensemble les uns et les autres, c’est prioritaire pour le bien de la mission. Le doyenné est le niveau clé entre la paroisse, qui est la communauté fondamentale, et les services diocésains. Le diocèse en compte treize. Il faut revoir leur rôle, se rencontrer davantage et développer un travail de mutualisation pour une meilleure efficacité et mise en œuvre des compétences des prêtres et des laïcs. Je crois que le temps du curé seul et qui supervise tout demande à être relativiser. Le doyenné est le bon niveau pour partager des responsabilités transversales, comme cela existe déjà souvent pour la préparation au sacrement de confirmation par exemple. Sans faire de révolution, je souhaite intensifier ces démarches. Le diocèse de Luçon a la chance de compter dix séminaristes et sept propédeutes, mais dans les dix ans à venir, le nombre de prêtres en activité (moins de 75 ans) va diminuer. Soit on propose à ceux qui sont en exercice d’œuvrer dans un territoire plus grand. Soit on développe un travail en équipe à la taille du doyenné, tout en veillant à la proximité qui n’est pas que l’affaire du prêtre mais aussi d’une équipe locale. Ce défi de la communion fraternelle au service de la mission passionnant !
Qu’en est-il de votre devise épiscopale et des paroles qui vous ressourcent ?
« Par la confiance et l’amour » sont les derniers mots écrits par sainte Thérèse. Elle revient sur le sens de la miséricorde. Il faudrait citer tout le passage ! Elle prend l’exemple de Marie-Madeleine, dont elle admire l’immense audace, et termine en disant que même si elle avait commis tous les péchés du monde, cela ne l’empêcherait pas, « le cœur brisé de repentir »,de se jeter dans les bras du Seigneur ! Cette confiance en la miséricorde de Dieu suscite un élan de tout l’être, comme l’enfant prodigue dans les bras de son père, que Thérèse cite aussi. Cela rejoint mon expérience : ma seule force est de savoir que Dieu m’aime comme son enfant. Ce don de l’amour libère de toutes peurs et confère une liberté intérieure. L’amour miséricordieux rend confiant, attire vers Dieu, nous prend sous son regard, permet la liberté de l’amour. La liberté des enfants de Dieu qu’évoque saint Paul au chapitre 8 de la Lettre aux Romains : « Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions : Abba !, c’est-à-dire : Père ! » Également au chapitre 8 de l’évangile de saint Jean qui relie liberté et vérité. Le diocèse de Luçon est entré dans ma vie et j’espère entrer dans la sienne. Il fait désormais partie de moi, et ce pour l’éternité dans le projet de Dieu : c’est ce qui permet de donner plus grand que soi ! Nous avons tous besoin de redécouvrir ce que le Seigneur veut pour nous, ce vers quoi il nous appelle. Chaque instant de cette vie où il nous fait progresser a vocation à devenir éternel, en communion avec lui, seul Éternel. Alors que j’aurais du mal à ne compter que sur mes seules forces, les noces de l’agneau et de la Jérusalem céleste dans le final du livre de l’Apocalypse me parlent beaucoup et m’aident chaque jour à aller de l’avant !