De Mgr Pascal Wintzer, Archevêque de Poitiers, dans La Croix :
Loin d’être exceptionnelle, la procrastination semble être l’ordinaire de bien des vies, et surtout des institutions. Je me demande si impulser un changement peut se faire si l’on n’y est pas contraint. Portant mon regard sur l’Église catholique, je constate que tant que les finances ne sont pas dans un état critique, on diffère des choix concernant l’immobilier, les frais de structure, voire les personnels.
Dans un domaine plus grave, les scandales d’abus sexuels et avant tout de pédophilie, c’est la publicité qui leur est donnée par l’engagement de victimes qui rompent la loi du silence et dont la parole est relayée par les médias, qui contraint les responsables de l’Église catholique à agir.
L’appel du pape François du 20 août dernier, que l’on peut aussi interpréter comme une réponse à la publication du rapport concernant l’État de Pennsylvanie, élargit la réflexion aux dysfonctionnements structurels qui permettent de tels méfaits, sinon les encouragent, François parle du cléricalisme.
Par ce mot, il désigne et dénonce « une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église – si commune dans nombre de communautés dans lesquelles se sont vérifiés des abus sexuels, des abus de pouvoir et de conscience – comme l’est le cléricalisme, cette attitude qui annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple. »
C’est vrai, les prêtres et les évêques, nous avons eu, nous avons encore beaucoup de pouvoir. En France, ce pouvoir ne s’exerce que peu dans la société, mais davantage dans l’Église, au sein de nos communautés. Il faut dire aussi que les fidèles, certains d’entre eux, peuvent ne pas nous aider en ce domaine. Il y a parfois des paroles, des attitudes, qui font du prêtre une sorte de personnage sacré, hors de la nature humaine, doté de pouvoirs magiques.
Hier on pouvait embrasser les mains du prêtre, ou pouvait aussi embrasser l’anneau que les évêques portent à leur doigt ! Disant cela, je ne veux pas conduire à ne plus avoir de respect les uns vis-à-vis des autres. Mais il faut avoir un juste respect, comme celui que l’on doit tous avoir pour chaque être humain, quel qu’il soit.
L’humiliation de l’Église, de prêtres, d’évêques – ce qui demeure très second au regard de la souffrance des victimes et de leur non prise en compte – est peut-être ce mal nécessaire qui conduit à devenir davantage des chrétiens.
Ceci interroge aussi des formes institutionnelles dont on voit qu’elles peinent à être efficaces. Est-il si sain que « tout remonte au pape » ? Déjà le pape Jean-Paul II invitait à entrer dans ce questionnement, en 1995, dans l’encyclique Ut unum sint, mais sans que ceci suscite le moindre changement.
C’est vrai, « Rome », j’entends ici le Saint-Siège, peut être bien utile en ce qu’il dispense des épiscopats nationaux de prendre des engagements plus résolus, de mieux travailler pour parvenir à de vraies décisions, au moins dans le domaine de l’organisation de l’Église.
Les théologiens ont travaillé depuis longtemps la question de patriarcats régionaux, continentaux. Ceci soulignerait d’autant la mission du successeur de Pierre, chargé d’affermir ses frères dans la foi, moins de diriger une super administration mondiale dont on perçoit qu’elle ne peut agir pour tout et partout, et ce, quelles que soient les immenses qualités et compétences des personnes travaillant à la curie romaine.
Bien entendu, d’autres difficultés pourraient surgir, on constate aujourd’hui les graves tensions existant entre le patriarcat de Moscou et celui de Constantinople, au sujet de l’Ukraine en particulier.
Pourtant, à la fois le discours religieux portant sur la synodalité et celui, social, parlant d’un monde multipolaire appellent à ouvrir un chantier qui devient urgent ? Mais, sans doute la contrainte extérieure n’est-elle pas encore suffisamment forte.