Mgr Jacques Benoit-Gonnin s’adresse aux catholiques de l’Oise :
Chers frères prêtres et diacres,
Chers frères et sœurs consacrés,
Chers frères et sœurs,
Suite à la lettre du Pape François au Peuple de Dieu1, je crois opportun de m’adresser à vous. Je veux recueillir les réflexions du Saint-Père, rappeler les dispositifs existant sur le diocèse et en France, et donner quelques perspectives.
Les récentes révélations d’abus sur mineurs commis par des prêtres ou un évêque, suivies de « l’affaire Vigano » viennent, une fois encore, d’assombrir nos esprits, d’alourdir nos cœurs, d’accroitre les réticences envers l’Église, peut-être d’ébranler la foi de certains. Si nous nous gardons de transposer tels quels, chez nous, ces événements « lointains », nous savons que de tels abus ont également été commis en France.
Pour ajouter à notre douleur, nous constatons que des évêques ou des supérieurs religieux n’ont pas traité ces affaires de manière adéquate et vraiment consciente de la souffrance profonde et imprescriptible des victimes.
Longtemps silencieuses, certaines victimes savent aujourd’hui surmonter leurs blocages et l’omerta, pour parler du drame qui s’est joué dans leur vie.
Je dois reconnaître qu’il m’a fallu du temps pour mieux comprendre et considérer ce qu’avait vécu et ce que peuvent souffrir encore les victimes. « Les blessures infligées ne disparaissent jamais, (…) les blessures ne connaissent jamais de ‘prescription’ ».
Les actes de nature sexuelle sur des mineurs ou sur des adultes vulnérables, quels qu’en soient les auteurs, sont inacceptables : ils violent la dignité des personnes abusées. Ils sont encore plus inacceptables de la part de prêtres ou de personnes consacrées qui sont, d’une certaine manière, présence et visage de Jésus-Christ. Un prêtre qui s’est adonné à de tels actes a d’abord violé la dignité de sa victime ; il a ensuite bafoué les engagements de son ordination ; enfin, il a insulté la sainteté de Dieu, en défigurant son visage de tendresse et d’amour.
« La douleur de ces victimes est une plainte qui monte vers le ciel. (…) Un cri qui fut entendu par le Seigneur en nous montrant une fois encore de quel côté il veut se tenir », dit le Saint-Père qui poursuit : «Avec honte et repentir, en tant que communauté ecclésiale, nous reconnaissons que nous n’avons pas su être là où nous le devions, que nous n’avons pas agi en temps voulu en reconnaissant l’ampleur et la gravité du dommage qui était infligé à tant de vies. Nous avons négligé et abandonné les petits. »
« Considérant le passé, ce que l’on peut faire pour demander pardon et réparation du dommage causé ne sera jamais suffisant. Considérant l’avenir, rien ne doit être négligé pour promouvoir une culture capable non seulement de faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent pas, mais encore que celles-ci ne puissent trouver de terrains propices pour être dissimulées et perpétuées. (…) Il est urgent de réaffirmer, une fois encore, notre engagement pour garantir la protection des mineurs et des adultes vulnérables. »
Pour signifier cet engagement que nous confirmons, en communion avec le Saint-Père, je veux rappeler les dispositifs mis en place dans le diocèse et en France :
Le 23 mai 2016, une cellule d’accueil et d’écoute des victimes d’actes de pédophilie de la part d’un prêtre, d’un diacre, d’un religieux ou d’un laïc en responsabilité, a été constituée dans le diocèse de Beauvais. Elle a pour mission d’accueillir, d’écouter, d’accompagner et d’orienter les personnes qui font appel à elle. On peut s’informer en allant sur le site du diocèse : oise-catholique.fr, (puis « cellule accueil » avec le moteur de recherche). Plus directement, on peut appeler le 03 44 06 28 25, ou écrire à ecoute.victimes@oise-catholique.fr.
Le cheminement des futurs prêtres intègre désormais des formations visant à sensibiliser les formateurs et les séminaristes sur les questions de maturation humaine, sexuelle et relationnelle.
Des formations sont proposées à tous les « publics » en responsabilité éducative, (dont les prêtres), pour aider chacun à ajuster sa relation aux autres. J’appelle particulièrement votre attention sur le parcours « Accompagner et faire grandir les jeunes 2» , auquel je participerai moi-même.
Au plan national, depuis 2016, une Cellule permanente de lutte contre la pédophilie (CPLP), a été constituée pour porter le souci de la prévention et de la lutte contre la pédophilie, ainsi que celui de la formation des divers acteurs pastoraux 3.
Dans sa charge universelle, le Pape François invite à des prises de conscience et à des changements de comportements décisifs, que je fais miens et que j’invite toutes les communautés chrétiennes à prendre en considération et à travailler.
Relever ensemble le défi du respect absolu de la vie et de la dignité des mineurs et des personnes vulnérables.
Tout en relevant l’effort et le travail réalisés en différentes parties du monde, le Pape François assure que « L’ampleur et la gravité des faits exigent que nous réagissions de manière globale et communautaire (…) Aujourd’hui nous avons à relever le défi en tant que peuple de Dieu d’assumer la douleur de nos frères blessés dans leur chair et dans leur esprit (…) Il est nécessaire que chaque baptisé se sente engagé dans la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons tant besoin. »
La culture du silence qui a longtemps prévalu, dans l’Église et ailleurs, ne peut plus valoir. Pour reprendre une expression du Saint-Père : « Quand on voit quelque chose, parler immédiatement … Il ne faut pas couvrir ces faits.4 » Dans l’Église, le respect de la dignité des personnes, plus encore mineures et vulnérables, doit prévaloir sur toute autre considération, y compris celle de la défense de l’Institution ecclésiale (que le silence avilit, nous le voyons bien aujourd’hui), ou celle de « l’intouchabilité » de responsables, y compris lorsqu’il s’agit de prêtres !
Il n’y a aucun doute que l’immense majorité des prêtres vivent leur célibat conformément à leurs engagements et dans le respect des personnes qu’ils fréquentent. Je n’hésite pas à le dire, ils sont eux-mêmes « victimes secondaires » de ces actes odieux d’abus sur mineurs et personnes vulnérables. Dans un misérable amalgame, ils doivent porter l’horreur d’actes qu’ils sont les premiers à réprouver. Je leur exprime, à nouveau, ma proximité, ma gratitude et ma confiance pour le don généreux d’eux-mêmes dans le service de l’Église et des communautés.
Pour changer ce qui doit l’être quant à notre conscience et à notre respect de la dignité des personnes, à notre regard sur les victimes, à nos attitudes, le Saint-Père invite à repartir de la contemplation du Christ crucifié. Il nous apprendra à Le découvrir dans le visage de ceux auxquels il a voulu lui-même s’identifier 5. Pour cela, le Pape François « invite tout le saint peuple fidèle de Dieu à l’exercice pénitentiel de la prière et du jeûne, (…), pour réveiller notre conscience, notre solidarité et notre engagement en faveur d’une culture de la protection et du « jamais plus » à tout type et forme d’abus. »
À la suite du Saint-Père, j’invite donc tout le Peuple de Dieu dans l’Oise, à entrer dans cette démarche pénitentielle de jeûne et de prière :
Les prêtres et les diacres (avec leur épouse), le samedi 15 septembre, jour où l’Église fait mémoire de Notre-Dame des douleurs, par une démarche personnelle ou communautaire ;
Toutes les communautés chrétiennes, le samedi 15 (messes anticipées) et le dimanche 16 septembre, à l’occasion de la Prière universelle de l’eucharistie dominicale ;
Tous les fidèles (évêque, prêtres, diacres, personnes consacrées, autres fidèles), le vendredi 5 octobre, 1er vendredi du mois. À cette occasion, les fidèles, aussi nombreux que possible, et selon des modalités précisées par les pasteurs, ou des laïcs en responsabilité, pourront jeûner, entendre des passages choisis de la Lettre au Peuple de Dieu et prier de manière adaptée.
Dans le cadre de l’adoration eucharistique diocésaine, portée par toutes les communautés, j’invite à ce que l’on ait bien présent à l’esprit cette intention.
Entrant dans les sentiments du Christ en sa Passion pour que le monde vive, nous apprendrons à « regarder dans la même direction que le Seigneur, à être là où le Seigneur désire que nous soyons, à convertir notre cœur en sa présence. »
Démasquer et lutter contre toute forme de rapports qui peut générer des positions dominantes et induire des abus de pouvoir et de conscience.
Profondément, ces attitudes perverses du comportement renvoient à l’idée qu’un être humain pourrait « posséder » un de ses semblables, et être légitime à penser à sa place et à contraindre son agir. Le Pape François désigne le « cléricalisme » comme un type particulièrement grave de ce comportement.
Gardons-nous de réserver cette grave corruption aux seuls prêtres. Le cléricalisme peut concerner toute personne qui exerce une responsabilité dans l’Église.
Convenons, pourtant, que nous, prêtres, sommes particulièrement exposés à l’idée que notre consécration pourrait nous donner le droit de régenter la vie et la liberté d’autrui, voire de l’instrumentaliser selon notre vision. Nous devons donc être attentifs à nos postures vis à vis d’autrui, à nos jugements, à nos paroles et à nos attitudes. Tout être humain est une histoire sacrée dont la dignité vient de Dieu et doit être respectée. Si, par la volonté du Christ, certains sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs, c’est pour le bien des autres baptisés 6. Ainsi donc, la responsabilité et l’autorité qui nous sont conférées sont au service de la croissance des personnes, dans le respect de leur dignité et de leur liberté. Rien de plus contraire à la volonté du Christ et à la nature du ministère ordonné (des évêques, des prêtres et des diacres) que des comportements de domination !
Je nous invite à conserver vive la grâce qui nous est faite de servir au nom du Seigneur, et à puiser dans le témoignage même du Christ nos manières d’être vraiment au service des personnes que nous rencontrons.
J’invite donc toutes les personnes en responsabilité d’Église à voir personnellement et à considérer avec d’autres, combien leurs attitudes et leurs postures sont bien au service « humble et patient » des autres, et excluent toute manière de domination, d’emprise ou d’exclusion.
Ces prises de conscience et ces transformations personnelles et collectives ne se feront pas « par enchantement » ! Elles touchent des domaines profonds et majeurs en chacun de nous.
La dimension pénitentielle pourra faire l’objet de réflexions et de mises en pratiques concrètes dans toutes les communautés ecclésiales.
La réflexion et les évolutions sur les attitudes de chacun, et notamment des responsables, rejoignent une des orientations de mes lettres pastorales, quand elles évoquent la collaboration entre baptisés, la vie fraternelle entre prêtres et dans les communautés.
Que Marie, « humble servante du Seigneur », nous aide toujours à nous tenir près de son Fils, comme elle, au pied de la croix. Qu’elle nous aide à demeurer, comme elle, dans l’ouverture à l’Esprit Saint, pour accepter de mettre au-dessus et avant toutes autres considérations, la gloire de Dieu qui est l’homme debout, vivant 7.
+ Jacques Benoit-Gonnin, évêque de Beauvais
Beauvais, le 9 septembre 2018
1. Lettre accessible sur oise.catholique.fr ou sur http://w2.vatican.va . Dans la suite du texte, en l’absence de précision, les phrases en italique renvoient à cette lettre.
2. Cf. Cycle de 3 rencontres : 1. Être éducateur aujourd’hui (16 ou 17 novembre 2018) ; 2) Faire face aux risques de maltraitance (17 mai 2019) ; 3) Pour une pratique ajustée de l’autorité (novembre 2019)
3. https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/, puis « cellule écoute » avec le moteur de recherche.
4. Pape François, réponses aux journalistes, dans l’avion Dublin-Rome, le 26 août 2018.
5. Cf. Pape François, Lettre au Peuple de Dieu et sa citation de Jean-Paul II, Novo millenio ineunte, 49
6. Constitution sur l’Eglise, n°32
7. Saint Irénée, Traité contre les hérésies