Le Point a interrogé l’archevêque de Paris, Mgr Aupetit :
Alors que le CCNE vient de remettre sa synthèse des états généraux de la bioéthique, quelles conclusions tirez-vous de cette phase de consultation nationale ?
La dernière loi de bioéthique de 2011 prévoyait une réévaluation au bout de sept ans sans qu’il s’agisse nécessairement d’une révision. Le gouvernement a voulu une large consultation de l’ensemble des Français par des états généraux. La question posée m’apparaît très importante, car elle situe exactement les enjeux : « quelle société voulons-nous » ? Il me semble très heureux que tout le monde ait pu s’exprimer, car les décisions qui seront prises vont avoir des conséquences durables sur nos façons de vivre et les valeurs qui les sous-tendent. Nous sommes, en effet, à la croisée des chemins entre deux visions sociétales. D’un côté, une société basée sur la fraternité où la personne est qualifiée par les relations qu’elle entretient avec autrui. Dans cette situation, la loi protège les plus vulnérables. D’un autre côté, une société individualiste où chacun revendique une autonomie. Dans ce cas, la loi s’ajuste au désir individuel avec le risque de revenir au droit du plus fort, du plus riche ou du plus puissant. Bien sûr, nous défendons une société fraternelle qui constitue encore l’humus de notre civilisation. Les débats ont été très ardents même si l’on peut regretter que l’ensemble de nos concitoyens n’ait pas mesuré l’importance des enjeux.
Si la synthèse du CCNE laisse apparaître que la PMA ne fait pas l’unanimité, plusieurs indices peuvent laisser présager l’intention du gouvernement de l’ouvrir à toutes les femmes, conformément au programme du président de la République. Quelles conclusions cela vous inspire-t-il ?
Il n’y a aucun consensus et d’importantes réserves ont été émises. Nombreux sont ceux qui se sont exprimés et il serait dommage de réduire la parole d’un si grand nombre à une simple mobilisation de « militants ». Lorsqu’il n’y a aucun consensus, ne faut-il pas adopter un principe de précaution ? Le président de la République a dit ne pas vouloir avancer en force, j’espère que le gouvernement et le Parlement sauront entendre les vives réserves qui se sont exprimées. Nous continuerons de faire entendre notre voix pour que notre société ne soit pas fondée sur la somme de désirs individuels, mais sur le bien commun. Et la question de la filiation est essentielle pour l’avenir de notre civilisation.
Vous étiez présent lors du dîner organisé en février dernier à l’Élysée, au sujet de la fin de vie. Dans quel climat celui-ci s’est-il déroulé ? Ces échanges ont-ils été fructueux ?
Le climat était tout à fait cordial entre les personnes présentes, pourtant d’opinions diamétralement opposées. Le président de la République a interrogé successivement chacun des convives, qui ont eu largement le temps de s’exprimer. Tout d’abord, les médecins et les personnels soignants en charge des malades en fin de vie. Puis, la parole fut donnée aux philosophes pour terminer par les représentants des religions. Il est difficile d’évaluer le fruit de cette consultation et l’impact les différents arguments sur nos gouvernants.
Lors de ce dîner, vous êtes-vous exprimé davantage en tant que médecin ou en tant qu’archevêque de Paris, représentant de l’institution religieuse catholique ?
Je me suis exprimé avec des arguments fondés en raison, seule façon de toucher l’intelligence et le cœur. J’ai insisté sur l’extraordinaire amélioration des fins de vie en France. Dans les années 1970, lorsque j’étais étudiant dans les hôpitaux, les patients qui ne pouvaient plus être accessibles à la thérapie étaient souvent abandonnés avec des antalgiques mineurs et des soins minimums. La formidable extension des soins palliatifs a permis une véritable réponse à la douleur de ces patients et une réelle prise en charge de la fin de vie. Contrairement à ce que l’on entend, on meurt beaucoup mieux en France aujourd’hui qu’il y a 40 ans. Ensuite, je me suis exprimé sur le plan philosophique en montrant que la dignité humaine tient à sa nature propre, comme l’affirme la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle ne dépend pas de son état de dépendance ou de fragilité. On meurt toujours dans la dignité quand la société est capable de vous accompagner parce que vous êtes précieux à ses yeux. À tout cela, l’archevêque de Paris ajouterait seulement que la dignité tient aussi à la transcendance qui habite la conscience de l’humanité depuis toujours.
Le président de la République vous semble-t-il à l’écoute de l’Église ? Et de ses arguments concernant les questions bioéthiques ?
Le président écoute chacun de nos arguments avec sérieux. Cela est vrai aussi de ceux qui ne pensent pas comme nous. Son discours au collège des Bernardins a montré qu’il ne considérait pas l’Église comme une quantité négligeable et qu’il reconnaissait son œuvre civilisatrice pour la France au cours des siècles.
Sur les questions de PMA et fin de vie, qui préoccupent particulièrement les Français, son avis vous paraît-il tranché ?
Je n’ai pas la faculté de lire dans les consciences, aussi je ne pourrais pas dire s’il a un avis tranché. Dans son programme présidentiel, il avait bien programmé le vote de la PMA qui ne serait pas seulement destinée aux personnes atteintes d’infertilité, mais qui répondrait également un « désir sociétal d’enfant ». La question qui se pose alors est celle-ci : « le désir d’enfant est-il plus important que le droit de l’enfant » ? La Déclaration des droits de l’enfant à l’ONU a déjà répondu non à cette question. Sur la fin de vie, qui ne faisait pas partie du programme des états généraux, le président m’a paru très prudent.
Vous avez rencontré le Premier ministre Édouard Philippe, le 18 avril dernier. Que retirez-vous de cet échange ?
Nous n’avons pas parlé que de bioéthique. Sur ce sujet, le Premier ministre m’a semblé en retrait sur la question de la fin de vie, malgré la pression de certains députés de sa majorité. Pour les autres questions, il m’a écouté avec bienveillance, mais je ne suis pas sûr de l’avoir convaincu.
L’engagement de l’Église dans le cadre de la révision des lois de bioéthique s’est-il arrêté en même temps que la phase de consultation générale menée par le CCNE ? Sinon, comment se poursuivra-t-il ?
Les chrétiens en général et les catholiques en particulier n’ont pas attendu les états généraux pour s’exprimer sur ce sujet crucial. À l’occasion de ces états généraux, nous avons voulu participer largement au débat et donner un argumentaire sérieux aux fidèles et à toutes les personnes de bonne volonté. La diffusion de plus de 100 000 petits livrets sur le diocèse de Paris et le travail fait par la Conférence des évêques qui publiera un livre en juin participent de ce dialogue. À Paris, nous continuons les soirées d’information où nous faisons intervenir des personnes spécialisées dans ce domaine. Ce travail, bien sûr, ne s’arrêtera pas avec la fin de la consultation. Il continuera même après le vote des lois, car, si nous obéissons aux lois de notre pays, nous devons toujours continuer d’éclairer les consciences de nos concitoyens.