L’avortement « thérapeutique » serait-il devenu acceptable ?
Le Pr Joseph Seifert, fondateur et recteur de l’Académie internationale pour la Philosophie au Liechtenstein, enseigant au Vatican, professeur à l’Université pontificale au Chili, autorité reconnue sur les affaires de doctrine, de morale et de philosophie relatives au respect de la vie, a bien voulu, pour les lecteurs de Présent, approfondir des observations publiées sur l’affaire en répondant à mes questions.
– Pourquoi avez-vous écrit une lettre ouverte à Mgr Fisichella ?
– Il ne s’agissait pas d’une lettre ouverte, en réalité, même si elle a été présentée comme telle dans un premier temps par des sites qui ont mis mes réflexions sur Internet. Nous (plusieurs membres de l’Académie pontificale pour la vie) avons écrit une lettre privée à notre président. Mon texte n’est pas une lettre, c’est une série de remarques : on m’a en effet demandé d’exprimer mon opinion parce qu’il y a eu, au niveau mondial, une grande confusion. On s’est demandé s’il n’y avait pas eu un changement dans l’enseignement de l’Eglise sur l’avortement, j’ai donc écrit quelques remarques à ce propos. Mais il ne s’agissait pas d’une lettre adressée à Mgr Fisichella.
– Mais ces observations et remarques étaient indispensables à vos yeux, et vous les maintenez…
– Oui, elles m’ont paru nécessaires du fait que, parmi tous les cercles pro-avortement, à travers d’innombrables articles, comme ceux de Mme Kissling et de beaucoup d’autres, l’article de Mgr Fisichella a été interprété comme constituant un changement radical de l’enseignement de l’Eglise, que d’ailleurs ils accueillent avec enthousiasme. Ils disent croire que l’avortement dit « thérapeutique » est acceptable aux yeux de l’Eglise. Il ne s’agit pas à mon avis d’une fausse interprétation de l’article de Mgr Fisichella, bien que celui-ci affirme au début de son article que la doctrine de l’Église sur l’avortement ne change pas. J’espère assurément que Mgr Fisichella ne maintient pas vraiment cette position mais il est certain que son article crée cette impression, à la fois auprès des opposants et des partisans de l’avortement. C’est pourquoi j’ai pensé qu’il y avait une urgente nécessité à en parler, y compris en public. Et j’espère que l’Eglise s’exprimera sur le sujet, avec autorité.
– Vous avez écrit que plusieurs membres de l’Académie pontificale pour la vie ont évoqué ce sujet en privé. Savez-vous si la discussion continue ?
– Il ne m’appartient pas de parler des opérations internes à l’Académie, ou des membres de l’Académie, mais je puis vous dire que plusieurs d’entre eux espéraient que Mgr Fisichella s’exprimerait sur le sujet, que certains lui ont écrit conjointement, et d’autres personnellement. Pourtant, il n’a été apporté aucune rectification, aucun changement à l’opinion qu’il a publiée. Voilà tout ce que je puis dire ; je ne souhaite pas donner à la presse des informations quant aux noms ou au nombre des personnes qui ont réagi.
– Toute cette affaire a tourné autour de l’excommunication, et sur la question de savoir si Mgr Cardoso Sobrinho a eu raison de parler d’excommunication. Il y a deux aspects à relever à ce propos. D’une part, dans nos médias occidentaux, il a été dit que la fillette d’Alagoinha était sur le point de mourir, ce qui n’était pas vrai. Mais quoi qu’il en soit et d’autre part : cela eût-il été vrai, pensez-vous que l’excommunication automatique n’aurait pas eu lieu en raison de la peur, de la part de la mère, que la petite fille ne meure ?
– Avant toute chose, rappelons que l’archevêque de Recife a apporté des corrections à ce qui a été dit, corrections que j’ai ajoutées à mes observations publiées sur Internet. Il n’a pas excommunié cette fillette de neuf ans qui a subi un avortement. Et il n’a pas davantage excommunié les personnes responsables de l’avortement : il leur a dit qu’elles étaient automatiquement excommuniées. Mgr Fisichella rappelle d’ailleurs ce fait au début de son article. Il ne s’agissait pas de l’excommunication directe des personnes concernées mais d’une déclaration publique de l’archevêque constatant que celles-ci étaient excommuniées latae sententiae. C’est ce que dit le Codex Juris canonici, et aussi, me semble-t-il, Evangelium vitae. Il ne s’agissait nullement d’une excommunication nouvelle et pas davantage de l’excommunication d’une fillette de neuf ans.
La fillette n’était pas réellement en danger de mort ; il ne s’est nullement agi d’un acte pour sauver sa vie comme cela est dit dans cet article. Ce fut simplement un avortement pratiqué sur une fillette de neuf ans, abusée sexuellement par son beau-père. C’était une affaire très triste, certainement, et de ce point de vue-là Mgr Fisichella avait raison de parler d’un cas extrêmement tragique ; mais à tout le moins, l’archevêque de Recife en était totalement conscient.
Celui-ci, en réalité, n’a pas « communiqué » de manière insatisfaisante : il a joué son rôle de pasteur et il a essayé de faire tout ce que l’on pouvait imaginer pour montrer de l’amour et de la charité à cette petite fille, mais aussi à sa mère et à son père, or c’est une fausse impression laissée par l’article de Mgr Fisichella qu’il aurait négligé ses devoirs pastoraux et se serait borné à agiter cruellement un drapeau d’excommunication en direction d’une fillette de neuf ans.
Si elle avait véritablement été en péril de mort il y aurait eu quand même excommunication : l’avortement, aux yeux de l’Eglise, même pour sauver telle vie, est un crime très grave. Cela tomberait de toute façon sous le coup de cette sanction. Mais quoi qu’il en soit, ce n’était pas le cas ici.
– Non, en effet, ce n’était pas le cas. Je crois qu’il s’agit davantage dans cette affaire de la sensibilité des Occidentaux qui ne sont plus catholiques, et qui ne comprennent pas le sens de l’excommunication. Etes-vous d’accord avec cela ?
– Oui, sans aucun doute. Je crois qu’une sorte d’hystérie a entouré cette affaire d’excommunication, mais l’archevêque de Recife a fait part de sa conviction que dans cette situation précise, au vu de la discussion publique qui l’avait accompagnée, il semblait nécessaire, pastoralement et du point de vue de la charité, de faire cette déclaration publique.
Comme nous avons pu le voir après l’article de Mgr Fisichella, beaucoup de personnes catholiques ou considérées comme catholiques veulent prétendre que désormais l’on peut pratiquer des avortements thérapeutiques. Mme Kissling elle-même était jadis présidente d’une association qui est une contradiction dans les termes : « Catholics for choice » (catholiques pour la liberté de l’avortement). Au Canada, il y eut à ce propos des déclarations très franches, y compris de la part d’un archevêque, tirant les mêmes conclusions de l’article de Mgr Fisichella. Il y a eu beaucoup de confusios et je pense que l’archevêque a eu raison de dire que si l’on n’en parle pas du tout, l’impression qui demeure est celle que le fait de tuer des enfants à naître innocents n’est pas un crime abominable, parce que cette idée a si largement disparu de la société. Il y a tant de pays où l’avortement est légal qu’à mon avis, son argument est très juste.
Je pense que c’est à cause de cela que la réaction aux déclarations de l’archevêque a été quasi hystérique : comme s’il n’avait parlé que d’excommunication, comme s’il n’avait rien fait pour le soin pastoral de cette petite fille et pour ses bébés, comme s’il s’était exprimé froidement, excommuniquant de but en blanc tous ceux qui étaient concernés par l’avortement. La déclaration du diocèse de Recife met cela en lumière de façon très juste.
– Vous avez employé le mot « charité », ce qui me paraît très intéressant. Vous avez souligné que l’archevêque de Recife a eu la « charité » de dire la vérité dans cette affaire. J’aimerais que vous précisiez ce point : vous dites que l’Eglise est charitable lorsqu’elle indique au monde qu’une chose est moralement très mauvaise.
– Si en vérité le fait de tuer les enfants à naître constitue un grand crime, si c’est une chose grave qui met en péril l’âme de tous ceux qui pratiquent des avortements ou qui participent à l’avortement, alors il s’agit d’un manque de charité que de rester silencieux à propos de sa véritable nature.
L’archevêque a non seulement montré sa charité en mentionnant l’excommunication, mais aussi dans ses multiples efforts pour sauvegarder la vie des enfants et la santé et le bien spirituel de la fillette; elle s’est manifestée dans le service pastoral qu’il a offert à la fillette et à sa mère. Sa charité ne s’est pas limitée à faire des déclarations sur l’excommunication de la mère et des autres responsables de l’avortement, mais à mon avis il a aussi été charitable en leur affirmant qu’aux yeux de l’Eglise, qui enseigne la vérité opportune-importune, il est des actions qui séparent les personnes de la communauté de l’Eglise et que ces actions constituent aussi de grands dangers pour leurs âmes. Il n’est certainement pas charitable de ne pas avertir les gens d’un tel danger et de leur donner la fausse tranquillité d’un sentiment selon lequel ils auraient bien agi, selon lequel ils viendraient de sauver la vie d’une jeune fille. Cela vaut pour n’importe quel danger. Avertir quelqu’un du fait que s’il s’approche de quelque chose de très dangereux et qu’il risque de mourir est un acte de charité, ne pas le lui dire est un manque de charité : pourquoi ne serait-il pas charitable d’avertir quelqu’un que par ses actes, il risque de perdre sa vie éternelle ? Le Christ, qui est Dieu et donc Amour (Charité) nous rappelle en de très nombreuses occurrences le danger de l’enfer. Je crois qu’il faut voire les paroles de Mgr Sobrinho à cette lumière.
Cela dit, dans une société où l’on en est arrivé à un consensus à peu près général sur l’idée qu’il n’existe pas de péril pour quelque âme que ce soit, qu’il n’y a pas de péché, ou di moins de péché mortel, ou de péché grave, là il paraîtrait extrêmement vieux-jeu, mal élevé et peu charitable de dire une telle chose. Et cela serait vrai si le péché et le risque de la damnation n’étaient que des contes de fées. Mais s’ils existent, « l’excommunication charitable » existe et le fait de voir n’importe quelle excommunication, même précédée d’une charité ardente et de soins pastoraux spirituels, comme contraire à la charité relèverait d’une erreur profonde.
– Craignez-vous, à la lumière de ce qui se passe, que la doctrine de l’Eglise ne soit réellement en train de changer… ou plutôt qu’elle n’est pas proclamée comme elle devrait l’être ?
– Je n’ai pas peur que la doctrine de l’Eglise sur le caractère intrinsèquement mauvais de l’avortement et de la mise à mort d’embryons humains par n’importe quel autre moyen (pilules abortives, recherche sur les cellules souches embryonnaires, etc) vienne à changer, car en tant que catholique je crois que l’Eglise est guidée par le Saint Esprit qui empêchera que jamais elle ne déclare des choses fausses sur des questions très importantes de moralité ou de doctrine. A vue purement humaine, j’aurais très peur en raison du silence prolongé du Vatican sur une question aussi importante et urgente, un silence que je juge néfaste, et c’est pourquoi qu’il y sera bientôt mis fin. Mais Gamaliel, dans les Actes des Apôtres, donne un argument en faveur de la véracité de l’Eglise et de son fondement divin, qu’il exprime en termes très forts, et que l’on trouve aussi cyniquement suggérée dans le Decamerone de Boccace. Il affirme que les Juifs ne doivent pas tuer les Apôtres car si leur œuvre est purement humaine, elle disparaîtra d’elle-même en une génération, tandis que si elle est divine les Juifs seraient en train de combattre Dieu en tuant les Apôtres.
De fait l’enseignement de l’Eglise n’a pas varié en deux mille ans malgré quelques papes tout à fait horribles – et nous avons été bénis par la Providence qui nous a donné des papes merveilleux en la personne de Benoît XVI et de Jean-Paul II ! Certains papes ont vraiment été épouvantables, mais en deux mille ans d’histoire, parfois d’histoire de corruption, de mondanité et même de points de vues hérétiques jusqu’au Vatican, l’enseignement n’a changé sur aucun point essentiel. Même les plus grands des philosophes, comme Platon, ont vu leurs plus nobles réflexions contestées au sein de leurs propres écoles quelques décennies après leur disparition. Combien plus une religion guidée par des hommes, qui enseigne de tels immenses mystères ne devrait-elle pas s’éparpiller en des milliers de sectes si elle ne jouissait pas du don divin de l’infaillibilité et d’une conduite par Dieu lui-même ? Je crois à ce miracle de l’Eglise catholique dont parlait le juif Gamaliel, et donc – seulement parce qu’il s’agit d’une œuvre divine – je ne pense pas que l’Eglise changera jamais sa doctrine.
Mais c’est une autre chose pour un évêque, qui peut facilement se tromper, ou même pour une Congrégation pour la Foi, ou un pape, de proclamer avec suffisamment de force un enseignement de l’Eglise. Jean-Paul II le Grand l’a fait magnifiquement dans Evangelium Vitae en ce qui concerne la vie humaine et l’avortement, et j’espère que cela se fera de nouveau, spécialement après cet article qui sème la confusion qui rend nécessaire une réitération rapide, sans ambiguïté et publique de cette doctrine. Mais évidemment il n’y a pas de garantie qu’à tout moment tous les évêques ou les cardinaux responsables, voire le Pape lui-même (sans même parler de L’Osservatore Romano, qui dernièrement a non seulement publié l’article de Fisichella en différentes langues bien que ses erreurs à propos de Mgr Sobrinho fussent déjà clairement connues, mais aussi une série d’autres articles scandaleux sur les questions relatives à la vie, y compris certains critiquant implicitement les 80 évêques américains qui avaient dénoncé la décision de l’université Notre-Dame d’accorder à Obama, le président américain le plus pro-avortement de tous les temps, un doctorat de droit honoris causa) proclameront de manière suffisamment forte les enseignements de l’Eglise. Sainte Catherine de Sienne a fustigé ce grand mal du silence non charitable dans l’Eglise de son temps. J’ai peur que nous-mêmes et les autorités de l’Eglise ne proclamions jamais suffisamment la vérité. Mais je pense fortement qu’il faut tout faire pour exprimer le désir et l’espoir et prier que cela se fasse.
– J’aimerais vous soumettre l’argument d’un journaliste catholique français –que je précise ne pas partager – qui s’est montré très en colère à propos du geste de Mgr Cardoso Sobrinho : il a soutenu que tous ceux qui applaudissent l’archevêque participent d’une hérésie « vitaliste » qui exprime un respect excessif de la vie humaine biologique. Comment réagissez-vous à ce type de raisonnement ?
– Je crois que l’hérésie vitaliste, qui consisterait à surestimer ou à idolâtrer la valeur de la vie humaine terrestre constitue un danger quasi nul dans l’Eglise aujourd’hui. Je crois que c’est bien plutôt l’hérésie de ce que Jean-Paul II appelait la « culture de mort » qui menace. Je ne comprends pas bien ce que veut dire ce journaliste mais s’il appelle le fait d’insister sur la dignité sublime et le caractère moralement contraignant de la dignité de chaque personne humaine depuis sa conception jusqu’à sa mort une hérésie, il s’agit d’un emploi totalement abusif de ce terme.
Et c’est spécialement cela que l’encyclique Evangelium vitae déclare – de façon dogmatique, puisque le pape invoque l’autorité de Pierre et de ses successeurs – très clairement : que la vie humaine, depuis la conception jusqu’à la mort, doit jouir d’un entier respect sans exception, et que toute mise à mort directe d’une vie innocente est clairement un crime. De ce point de vue, je pense que toute déclaration qui relativise cette affirmation, comme le fait de dire que l’avortement thérapeutique est acceptable, ou qu’il y a incertitude sur le fait de savoir qu’il est permis ou non, est en réalité une hérésie « de mort » à la lumière de la déclaration dogmatique d’Evangelium vitae.
On peut bien sûr parler d’hérésie « vitaliste » dans le cas d’écologistes pour qui aucune forme de vie, même de vie bactérienne, ne doit être tuée. Si nous parlons d’un droit absolu de chaque organisme vivant, animaux ou plantes, et disons que nous devons tous être végétariens ou ne manger que des fruits, alors il peut être question d’une « hérésie vitaliste » – comme quand on fait avec Brigitte Bardot un énorme scandale parce que des moutons sont abattus pour la plus grande fête religieuse des Musulmans au Maroc.
Mais je crois que c’est un abus de langage choquant que de qualifier le respect entier et inconditionnel de chaque vie humaine d’hérésie. Qu’on ne doive jamais prendre aucune vie humaine innocente ne constitue pas seulement d’un point de vue de l’éthique naturelle ou une intuition éthique objective que Socrate a pu affirmer même en dehors du contexte de la Révélation (lorsqu’il refuse de tuer l’innocent Léon, même au péril de sa propre vie, alors que le gouvernement lui demande de le faire), mais d’une doctrine de l’Eglise clairement affirmée, notamment dans Evangelium vitae.
Propos recueillis par Jeanne Smits
DEAR MRS SMITS,
I am writing on behalf of prof. Maurizio Mori, editor of
Bioetica. Rivista interdisciplinare, to have the
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Here I attach as they will be published, together with
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SeilaBer
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Jeanne Smits
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