Les marcheurs pour la vie ont l’habitude des quolibets, des insultes, des agressions, des discriminations idéologiques et des raccourcis réducteurs. Dans le monde médiatique, leur message est cloué entre deux voleurs, exposé aux crachats publics ; tous les quatre ans, ils reçoivent la lance des transgressions des lois de bioéthique dans les côtes.
Certaines agressions passent plus mal que d’autres. Elles prennent l’aspect d’une trahison. À quelques jours de la 11ème édition de la Marche pour la vie, le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC) publie un communiqué – rédigé en écriture inclusive – qui proclame que l’avortement est « droit fondamental » et « dénonce les messages de culpabilisation, d’intolérance et de haine portés lors de cette marche, sous couvert de valeurs chrétiennes » (sic). Ce mouvement est financé à hauteur de 500 000 € par la Conférence des évêques de France (CEF).
Vincent Neymon, secrétaire général adjoint et directeur de la communication de la CEF, assure sur Twitter que « le MRJC ne peut s’extraire ainsi de l’Église » et exige le retrait du communiqué.
Le MRJC publie alors un autre communiqué qui réclame un « débat » sur l’avortement au sein de l’Église, et qui, bis repetita, réitère ses insultes à l’encontre de la Marche. Une fausse retractatio semble convenir à Vincent Neymon, qui « remercie » le MRJC.
Simple querelle interne ? Pas seulement. Il suffit de peu pour que l’opposition franche à l’avortement ne soit plus un principe non négociable au sein de l’Église. En 2016, le porte-parole des évêques de France, Monseigneur Olivier Ribadeau-Dumas, trouvait que la loi sur le délit d’entrave numérique à l’IVG « tourne le dos à l’esprit de la loi Veil ». Comme s’il y avait un « esprit de la loi Veil » qui est plutôt positif et une « dérive » de la loi Veil à laquelle la société tournerait le dos. Comme s’il n’y avait personne qui, le jour du vote de la loi Veil en 1975, dénonçait déjà le fait que la loi Veil est justement la condition de possibilité de toutes les dérives. En d’autres termes, la non négociabilité de l’opposition à l’avortement est un point non négociable.
Qu’est-ce qu’un point non négociable de la doctrine de l’Église ? Monseigneur Ribadeau-Dumas, encore lui, se dit « étonné de l’ampleur » de la controverse: « Je ne suis pas sûr que s’il s’agissait de l’accueil des migrants, qui est aussi un point non négociable de la doctrine de l’Église, cela aurait pris autant d’importance ». Au-delà du mépris affiché, une chose frappe le regard averti dans ces propos rapportés par l’AFP : l’accueil des migrants « est aussi un point non négociable de la doctrine de l’Église ».
Le secrétaire général de la CEF semble manquer ici de rigueur doctrinale, philosophique et théologique. Il nous donne l’occasion de rappeler ce qu’est un principe non négociable.
On doit la définition des principes non négociables à Benoît XVI, dans un de ses premiers discours en tant que Pape, en mars 2006. Les dogmes de la foi ne sont pas soumis à la négociabilité. Un dogme est une vérité fondamentale, incontestable et intangible formulée par une autorité. On peut explorer la rationalité du dogme et en discuter la formulation pendant des conciles qui réunissent toute l’Église.
Découlant du dogme, mais accessible également par les simples lumières de la raison, la doctrine est un enseignement « destiné à guider la conduite de la personne ». C’est une éthique : elle concerne l’ethos et l’être-au-monde du chrétien. Un principe non négociable de la doctrine n’est pas une innovation dogmatique. Il est une application concrète qui découle naturellement de la raison humaine et qui est corroboré par les dogmes de foi. Le respect de la vie humaine peut découler rationnellement de l’Incarnation du Christ, par exemple.
« En ce qui concerne l’Église catholique, l’objet principal de ses interventions dans le débat public porte sur la protection et la promotion de la dignité de la personne et elle accorde donc volontairement une attention particulière à certains principes qui ne sont pas négociables. Parmi ceux-ci, les principes suivants apparaissent aujourd’hui de manière claire :
– la protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle ;
– la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille – comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage – et sa défense contre des tentatives de la rendre juridiquement équivalente à des formes d’union radicalement différentes qui, en réalité, lui portent préjudice et contribuent à sa déstabilisation, en obscurcissant son caractère spécifique et son rôle social irremplaçable ;
– la protection du droit des parents d’éduquer leurs enfants. » (Benoît XVI, Discours aux Participants au Congrès promu par le Parti Populaire Européen, jeudi 30 mars 2006)
Ces principes non négociables ont vertu d’utilité. Ils servent comme critères sûrs et indiscutables qui facilitent un choix politique en conformité avec les enseignements de l’Église. Le chrétien peut très bien refaire le parcours intellectuel ascendant (philosophie) et descendant (théologie) qui aboutit à ces principes. Deuxièmement, force est de constater que ni en 2006 ni après, les principes non négociables de la doctrine de l’Église catholique n’incluent l’ « accueil des migrants ».
Dans l’Église, certains critiquent le principe même de « principes non négociables ». Bruno Saintôt, Directeur du département de bioéthique du Centre Sèvres (faculté jésuite de Paris), remet en doute la clôture de la liste, et souhaite qu’elle s’étende, par exemple, à la « justice sociale » ou à la « libération des formes modernes d’esclavage ». Il conditionne le respect des principes non négociables de Benoit XVI, au respect d’autres critères, économiques et sociaux.
Selon Benoit XVI, le sens de la non négociabilité des principes est tout autre. La défense de la vie, de la famille et de l’éducation des enfants sont des fondamentaux de la vie en communauté. De leur respect découlent les actions sociales et politiques justes. En cela, ils leur sont antérieurs et prioritaires. Si jamais un tel principe est soumis à la négociation, c’est toute la chaîne anthropologie-société-économie qui est impactée.
Il ne faudrait pas que l’Église de France, par le truchement de ses porte-paroles, envoie des signaux de faiblesse sur ces principes non négociables. Ils sont la nécessaire porte d’entrée d’une société humaine.
Vivien Hoch, docteur en philosophie
Il ne faut pas oublier que si la loi sur l’avortement est passée si facilement en 1975, c’est en grande partie grâce au silence des évêques de France de cette époque. En 1975 l’Eglise de France était dirigée par deux évêques de bien sinistre mémoire : le cardinal Marty et Mgr Etchegaray (il n’était pas encore cardinal). Ces deux sinistres personnages étaient en 1975 déchainés de haine contre la Tradition. Ils faisaient tout leur possible pour faire condamner Mgr Lefebvre et la Fraternité St Pie X et ne reculaient pas devant les procédés les plus abjects pour parvenir à leurs fins diaboliques. Ils obtiendront gain de cause.
Combattre le meurtre d’enfants innocents était pour Mgr Marty et Mgr Etchegaray tout à fait secondaire.
Excellente démonstration qui met a contrario en évidence la faiblesse de pensée de responsables de l’Eglise comme ce Ribadeau-Dumas.
L’expression “points non négociables ” me semble malheureuse. Quel péché serait “négociable” ? L’adultère , par exemple ?
Certes. D’après vous il l’est. Or il ne peut l’être.
A Rascol
Premièrement, oui, justement, l’interdiction de l’adultère est un principe non négociable. Figurez-vous que Jésus lui-même a expliqué à ses disciples que le respect des commandements est une condition d'”entrée dans la vie” (Sic, cf Mt 19,18).
Alors évidemment, si vous ne savez pas cela, ou si vous ne pouvez pas le connaître, vous aurez bien du mal à comprendre quoi que ce soit dans le contenu de la foi et dans l’enseignement immuable de l’Eglise, le bon, le seul, celui qui est fondé sur l’Ecriture.
Deuxièmement, l’expression “points non négociables” (qui est quand même, excusez du peu, de Benoit XVI), dit au contraire parfaitement bien ce qu’elle veut dire, à savoir qu’on ne peut pas l’abandonner, dans le cadre d’une négociation, contre quoi que ce soit d’autre qu’on jugerait plus important et qu’on obtiendrait en échange de cet abandon. Tout simplement parce que cet abandon est absolument impossible, car si on abandonne le point en cause, c’est en réalité, car tout est lié ( tiens, cette formule me rappelle quelque chose, mais malheureusement dans un autre contexte et à d’autres fins…), l’ensemble du contenu de la foi qui perd son sens et qui s’écroule.
Alors l’expression vous semble malheureuse, justement parce que, faute d’avoir cette vision de la cohérence de la foi, vous êtes justement prêt à abandonner les points en cause, qui ne vous paraissent pas essentiels, voire vis-à-vis desquels vous êtes réservé!
Un immense merci et un grand bravo à Vivien Roche pour la haute tenue et la parfaite pertinence et clarté de son propos, qui atteignent des niveaux, à mes yeux en tout cas, rarement atteints.
Il me semble vraiment que ce combat pour un retour à la reconnaissance du bien- fondé de la notion de principes non négociables est un combat majeur.
En fait, c’est un combat pour le retour à la foi et à la raison dans l’Eglise. Car si l’on y regarde bien, contester la pertinence de la notion de principes non négociables, c’est soit avoir perdu confiance en la pertinence des lois dans la vérité du contenu de la foi, autrement dit, plus simplement, d’avoir perdu la foi, soit avoir perdu la confiance en la pertinence des lois de la raison pour permettre de tirer les conséquences du contenu de la foi, autrement dit, plus simplement, avoir perdu la raison, et en réalité avoir perdu les deux , car l’une et l’autre sont indissociables.
Bien d’accord avec Vivien Hoche. Le discours de Mgr Ribadeau Dumas illustre parfaitement la faiblesse doctrinale,philosophique et théologique si répandue parmi nos autorités ecclésiales, à d’éminentes, mais trop rares exceptions près. Cela montre qu’il y a du boulot, pour remonter la pente!!!.
Le manque de jugement dont fait preuve Mgr Ribadeau Dumas est insondable….Et ce qui est tragique, c’est que son manque de jugement n’est malheureusement pas exceptionnel. Il est au contraire l’archétype du manque de jugement si répandu dans notre hiérarchie ecclésiale.
Est-ce ici le manque de jugement qui entraine la perte de foi, ou la perte de foi qui fait perdre le jugement? En fait, les deux se font la courte-échelle, selon un cercle anti-vertueux qui conduit inexorablement vers un alignement pur et simple de la pensée d’Eglise vers la pensée mondaine…
Comment faire en sorte qu’ils se ressaisissent? C’est très difficile, car comment dialoguer autrement qu’en employant un langage raisonnable, or comment se faire entendre avec un langage raisonnable de ceux qui ont choisi de mettre de côté leur raison?
Courage. Essayons quand même inlassablement? Quelques-uns sortiront peut-être progressivement de leur aveuglement. A coup sûr, s’il y en a qui ont une chance, par extraordinaire, de pouvoir ouvrir un peu les yeux de ces quelques-uns, Vivien Hoche est certainement de ceux-là. Merci, merci à lui.
Henri a raison. La majorité de nos hiérarques ecclésiaux ont perdu la raison et la foi, l’une et l’autre indissociables. La perte de raison rejoint exactement ce que dit excellemment Geoge Weigel lorsqu’il dit qu’Amoris laetitia supposse d’accepter à la fois une chose et son contraire. Voici ce qu’il dit;
“That unity means that the Church embodies the principle of non-contradiction, “such that a grave sin on the Polish side of the Oder River can’t be a source of grace on the German side of the border.”
Ceci est extrait de d’un texte de George Weigel publié dans Lifesite sous le titre :”St John Paul II’s biographer”: “The Catholic Church doesn’t do paradigm shifs”
A lire absolument. Cela résume tout le drame de l’Eglise aujourd’hui sous la férule du pape. Cela serait merveilleux si Riposte catholique pouvait trouver le moyen de le faire traduire et de nous en proposer ici la lecture en français. C’est parfaitement cohérent avec ce que dit si bien Vivien Hoch de son côté. Il faudrait que tous ces grands analystes se réunissent pour attaquer très fort afin qu’on en finisse avec cette dinguerie dominante dans l’Eglise. Le mot dinguerie n’est pas trop fort pour qualifier cette attitude consistant à considérer que l’on peut soutenir à la fois une chose et son contraire. Cela, il faut que nous soyons des millions et des millions à le dénoncer comme tel. C’est un devoir pour tous ceux qui n’ont pas encore perdu la raison.
Vous écrivez:
“Ce mouvement est financé à hauteur de 500 000 € par la Conférence des évêques de France (CEF)”
et:
“Vincent Neymon, secrétaire général adjoint et directeur de la communication de la CEF, assure sur Twitter que « le MRJC ne peut s’extraire ainsi de l’Église » et exige le retrait du communiqué”
Vous pourrez constater ici:
http://www.mrjc.org/index.php/notre-philosophie-nos-actions/
Que le MRJC se définit lui même comme un mouvement chrétien ET laïque.
C’est bien le mot “chrétien” qui est utilisé, pas le mot “catholique”
Un financement de 500 000 € de la part de la CEF par an ne devrait être accordé qu’en échange de certaines garanties, dont le caractère catholique du mouvement.
D’autre part le mot “laïque” signifie “Qui n’est pas membre de l’Église ou du clergé” dans ces conditions, le MRJC n’a pas à s’extraire de de l’Église car on ne peut s’extraire d’une Église dont on proclame ne pas faire partie.
La CEF a fait donc preuve ici d’une extrême naïveté !