Le cardinal André Vingt-Trois aura 75 ans le 7 novembre. Il quittera ses fonctions d’archevêque de Paris dans quelques semaines. Il semble que sa succession soit ficelée et que le pape s’y soit intéressée de près. Dans un entretien à La Croix, le cardinal appelle à retrouver une identité chrétienne à travers la culture, ce christianisme populaire ,domaine qui a été abandonné par les chrétiens, portant préjudice au peuple :
Selon vous, qu’est-ce qui a le plus changé dans l’Église depuis vos premiers pas comme évêque auxiliaire de Paris, il y a près de trente ans ?
Le bouleversement principal réside dans le fait que, dans la société française, les traces du christianisme se sont insensiblement réduites. De ce fait, le particularisme du christianisme, par rapport aux autres grands courants de pensée, apparaît de manière plus marquée. C’est ce que le cardinal Ratzinger appelait le passage d’un « christianisme sociologique » à un « christianisme de choix ». Il y avait autrefois une certaine transmission culturelle de convictions chrétiennes, dont on ne percevait plus toujours la racine, mais qui faisaient partie du socle commun de la culture occidentale. Désormais, on n’est plus simplement chrétien parce que l’on naît dans une culture chrétienne, mais parce que l’on choisit de l’être. Cette évolution a une conséquence très forte, non pas pour la survie de l’Église qui n’est pas en question, mais pour la manière dont les catégories les moins armées culturellement peuvent accéder au christianisme. Ceux qui ont les moyens de comparer, peuvent exercer leur libre discernement. Mais les autres, non. D’où la perte d’une sorte de christianisme populaire, qui se rattachait à une forme de ritualité sociale. Dès lors que celle-ci se dissout, le christianisme populaire se trouve dévitalisé. Il faut donc retrouver des médiations culturelles pour rejoindre ceux qui ont le moins de facilités à entrer en contact avec l’Évangile.
Est-ce précisément le conseil que vous donneriez à l’Église de France ?
Oui, car cette évolution du catholicisme, conjuguée à la faiblesse des moyens dont dispose l’Église, comporte un risque : celui de consacrer l’essentiel des forces de l’Église à fortifier ceux qui ont choisi, d’autant qu’ils expriment de nombreux besoins. Tout ceci ne laisse guère de marge pour des initiatives en direction de ceux qui n’ont pas choisi le christianisme, non pas parce qu’ils le rejettent mais parce qu’ils n’ont pas eu les éléments du choix. Cela me paraît l’évolution la plus sensible, qui va d’ailleurs de pair avec une fracture culturelle et sociale dans la société elle-même.
À Paris, vous avez poursuivi l’élan de la nouvelle évangélisation, en compagnie d’autres capitales européennes. Quel peut-être le visage du christianisme dans les grandes métropoles ?
Le christianisme ne doit pas se réduire au patrimoine des églises. Il faut montrer de manière visible la vitalité des communautés chrétiennes. D’où l’idée de créer un événement manifestant que les grandes métropoles ont aussi quelque chose à échanger sur le christianisme. Au-delà de leurs différences, elles ont en commun une vie sociale dans laquelle le christianisme risque d’être enfoui et imperceptible. À mon arrivée à Paris en 2005, un an après Toussaint 2004, c’est cette intuition que j’ai développée. Si l’on dit que l’Église peut trouver une place dans la société du XXIe siècle, ce ne peut être que si les chrétiens trouvent leur mode d’intervention dans la vie de cette société, s’ils assument vraiment leur foi chrétienne. […]
Comme archevêque de Paris et président des évêques de France, vous avez souvent exprimé les positions de l’Église. Dans une société déchristianisée, comment peut-elle se faire entendre ?
Le principal n’est pas de parler ! Certes, dans une situation de pluralisme, comme la nôtre, il est important que nos références, nos convictions soient énoncées publiquement. Ce peut être la mission d’un évêque, de l’archevêque de Paris, ou de la conférence épiscopale. Le propos doit être exprimé clairement, non pas dans l’illusion que tout le monde va faire ce que l’on a dit, mais avec la conviction que les chrétiens, eux aussi, ont besoin de l’entendre dire. Car la communauté chrétienne forme un ensemble très diversifié : entre les convaincus, profondément attachés à la mise en œuvre de la parole de Dieu, et les sympathisants plutôt bienveillants, il existe une grande marge. Mais cette expression claire et forte de nos convictions ne résout aucun problème ! Elle plante seulement un étendard signifiant « attention, terrain miné ou fragile ». L’essentiel, ce n’est pas l’étendard, mais la manière dont se comportent les chrétiens, la cohérence entre leurs discours et leurs choix. Ce qui va changer la société, ce ne sont pas les déclarations de l’archevêque de Paris, mais la manière dont les chrétiens vivent de l’Évangile dans leurs choix et en témoignent.
Concernant la PMA, on a cependant le sentiment que le combat est perdu d’avance pour les chrétiens…
D’abord, reconnaissons que la médiatisation de la question n’est pas honnête. Toute la complexité de l’avis du Conseil national d’éthique (CCNE) sur le sujet est passée à la trappe dans le compte rendu qu’en ont fait la plupart des journalistes, qui se sont contentés de dire que le CCNE avait donné son accord. C’est malhonnête, on traite une question dont les enjeux humains sont considérables comme s’il n’existait pas d’enjeux. Pour moi, le plus important, c’est de savoir quel regard porter sur l’enfant. Est-il un objet qui doit satisfaire un désir ou un besoin ? Ou bien une personne qui a ses propres droits ? On crée des procédures qui sont objectivement des procédures de chosification de l’enfant. Il ne s’agit pas de porter un jugement sur le fait que des personnes prises individuellement soient capables d’élever un enfant. Ce n’est pas le problème ! La loi n’a pas à gérer des cas particuliers, elle doit dire quelque chose pour l’ensemble de la société. Dans le cas présent, on affirme qu’un enfant peut vivre sans avoir de référence paternelle même symbolique, sans connaître ses racines et savoir d’où il vient.
Ensuite, si on prend en considération l’argument de l’égalité pour justifier l’accès des couples de femmes à la PMA, on aboutit logiquement à la possibilité de la gestation pour autrui (GPA). Lorsque les femmes en couple auront le droit d’avoir des enfants, les hommes vont le revendiquer pour eux, sans que l’on ne se pose la question des moyens mis en œuvre pour satisfaire ce désir. Il faut sensibiliser les responsables politiques au travail qui avait été fait lors de la première révision des lois de bioéthique en 2009. Si la révision de 2018 veut changer quelque chose, il faut qu’elle prenne des moyens correspondants. Et en particulier que les positions divergentes ne soient pas caricaturées sur l’échiquier du modernisme et du conservatisme. […]