L’évêque de Tarbes et Lourdes livre une réflexion de 8 pages (à lire ici) sur l’avis rendu récemment par le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE). Il dénonce les disjonctions :
Disjonction entre sexualité et procréation, la procréation ne résultant plus d’un acte sexuel mais d’une insémination arti- cielle grâce à un donneur de sperme anonyme (IAD). L’enfant n’est plus le fruit d’une union physique amoureuse mais d’une manipulation technique avec l’intervention d’un tiers.1
1 C’est précisément pour cette raison que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a exprimé son désaccord dès 1987 sur la procréation médicalement assistée. « L’enfant a le droit … d’être le fruit de l’acte spécifique de l’amour conjugal de ses parents. » DV, 8
Disjonction médicale : puisque la demande d’AMP ne fait pas suite à une situation d’infertilité, comme c’est le cas actuellement pour les couples d’hommes et de femmes qui demandent l’AMP. C’est-à-dire que l’on convoque la médecine et sa technique, non pour faire face à une infertilité dans un couple d’homme et de femme, mais pour concevoir un enfant en dehors d’un couple hétérosexuel, « en absence de père institutionnalisé ». L’AMP n’est pour l’instant autorisée par la loi que pour les couples composés d’ « un homme et d’une femme vivants en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et confrontés à une infertilité pathologique. »
Disjonction entre procréation et filiation : c’est le principe même de l’AMP ; le donneur (ou géniteur) est distinct du « père ». La nouveauté étant ici qu’il y aura toujours un donneur mais plus de « père », d’homme ayant juridiquement la place du père.
Disjonction entre maternité génétique et maternité gestationnelle : dans les couples de femmes certaines veulent alterner les grossesses. D’autres voudraient avoir recours à la fécondation in vitro de telle sorte que l’une puisse donner l’ovocyte et l’autre porter l’enfant.
Pour Mgr Brouwet, “le bien de l’enfant est finalement sacrifié aux désirs des adultes. Il n’y a peut-être pas de violence faite à une tierce personne adulte dans l’AMP proposée aux couples de femmes ou aux femmes seules. Mais il y a très certainement une violence faite à l’enfant privé délibérément de père.”
Aussi
On peut s’interroger par ailleurs sur la pérennité des conclusions du CCNE qui déclarait dans son avis n°90 de novembre 2005 :
« L’AMP a toujours été destinée à résoudre un problème de stérilité d’origine médicale et non à venir en aide à une préférence sexuelle ou à un choix de vie sexuelle. L’ouverture de l’AMP à l’homoparentalité ou aux personnes seules ouvrirait de fait ce recours à toute personne qui en exprimerait le désir et constituerait peut-être alors un excès de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif. La médecine serait simplement convoquée pour satisfaire un droit individuel à l’enfant. » (§ I.3.5).
En 2005, donc, le comité d’éthique proscrit la légalisation de l’AMP pour les couples homosexuels ou pour les personnes seules, en soulignant qu’on ne peut pas utiliser la médecine pour satisfaire un droit à l’enfant. En 2017 le même comité autorise l’AMP en estimant que le désir des femmes de procréer passe avant toutes les questions relatives à l’enfant.
Les fondements de la réflexion éthique changent donc en quelques années. Cela pose un problème de méthode. Recourir à l’éthique, c’est nous inviter à prendre du recul, de la hauteur, nous extraire des modes et des polémiques pour distinguer ce qui est durable, permanent, et ce qui est provisoire, passager ; c’est faire reposer la réflexion sur des principes qui dépassent les intérêts particuliers et les désirs individuels. A moins, bien sûr, que cette éthique ne repose plus que sur la satisfaction des attentes de chacun. Il suffit alors qu’un groupe réclame ce qu’il considère comme un nouveau droit pour le justifier moralement. Si la technique le permet, si le financement est assuré, si des demandes sont faites en nombre suffisant, pourquoi ne pas légaliser ?
Ce qui est légal devient moral
Une autre question se pose : faire travailler un comité d’éthique avant de voter une loi est tout à l’honneur de nos institutions. Mais on renforce alors l’idée que ce qui est légal est moral ; il l’est d’autant plus qu’un comité d’éthique a donné son aval. On passe alors d’un droit accordé à des groupes extrêmement minoritaires à la reconnaissance et à la banalisation de comportements qu’on jugeait jusque-là contraires au bien de la personne humaine. On passe de la légalisation de désirs particuliers à la normalisation morale de ces désirs. Légaliser revient à moraliser. On présente alors sans discernement aux générations les plus jeunes des pratiques extrêmement contestables moralement et que les familles n’ont pas du tout envie de proposer comme modèle à leurs enfants.
Voter de telles lois aura des conséquences sur la manière dont on va ensuite envisager les relations familiales, le regard sur l’enfant à naître, l’humanisation du désir, la place du père, la différence sexuelle. La légalisation de telles pratiques a une portée culturelle.