Un lecteur nous encourage à diffuser cette tribune de l’abbé Michel Simoulin, FSSPX, dans son bulletin Le Seignalou :
Pendant plus de 20 années, j’ai occupé des postes d’autorité: recteur, directeur, prieur-doyen, supérieur… Par la grâce de Dieu, depuis 2004 je suis en position de réaliser que je ne suis pas plus malin que les autres et de voir les choses avec plus de détachement. Quand on est supérieur, on risque facilement de croire qu’on a nécessairement raison, et, si l’on a un tempérament scrupuleux, pessimiste, méfiant, inquiet, susceptible, voire prétentieux ou arrogant – ce qui est un signe de médiocrité – , on peut même en venir à donner des leçons à ses propres supérieurs ! Et j’ai appris à redouter ce faux-pli intellectuel qui porte à considérer que tout autre supérieur est nécessairement dans l’erreur quand son jugement est différent !
Pourquoi vous confier cela ? Parce qu’il m’est arrivé de me tromper lorsque la crainte de me tromper (ou l’humilité) ne se mêlait pas à mes réflexions et à mes choix ! Je n’en suis pas spécialement fier mais cela m’a rendu peut-être plus prudent (à défaut d’humilité !) Mais ce retour en arrière m’a remis en mémoire certains souvenirs.
Je me souviens par exemple que, dans les débuts, Monseigneur encourageait ses prêtres à chercher des curés de paroisse disposés à les accueillir pour les mariages et recevoir les consentements, afin d’éviter les risques de contestation. Il nous est arrivé à tous de procéder ainsi, et nul n’y a trouvé à redire.
Ou encore, alors que j’étais tout jeune sous-diacre, j’avais accompagné Mgr Lefebvre aux obsèques de sa belle-sœur. Monseigneur avait hésité puis choisi d’assister à la messe (nouvelle) avant de donner l’absoute. Quelques jours plus tard, dans certains bulletins paraissait un article : Rallions-nous ! L’exemple vient d’en haut ! Née de l’église Conciliaire par Mgr Charrière, le 1er novembre 1970, dans le diocèse de Fribourg, la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX) retourne aujourd’hui à l’église Conciliaire ! Son fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, donnait un bel exemple, le 30 juin 1980 en participant « activement » au rite Conciliaire… etc… Rien de nouveau sous le soleil !
Un autre souvenir plus récent est celui de certaines réflexions d’un vénérable correspondant, évoquant le thème trop connu de la communion à l’Eglise spirituelle, à la foi de l’Eglise sans nécessité de recours à la communion hiérarchique. C’est ce que les hétérodoxes de la fin du Moyen-Âge réclamaient et que le Concile de Constance a condamné en Jean Huss. Selon saint Thomas d’Aquin et ses meilleurs commentateurs, comme la nécessité n’a pas de loi, si le cas de nécessité se présente, la loi de l’Eglise n’empêche plus que le prêtre absolve même sacramentellement, dès lors qu’il a la puissance des clefs. C’est ce que l’on nomme la suppléance de l’Eglise : Ecclesia supplet. Mais quand nous parlons de l’Eglise, il s’agit de l’Eglise non séparée de sa tête visible. Cette suppléance de juridiction ne s’exerce que par la relation essentielle que tout ministre doit entretenir dans l’Eglise au moins avec le chef suprême.
Se dispenser du lien avec Pierre, vivre et agir comme s’il n’existait pas, reviendrait à se priver de ce pouvoir de suppléance.
Bref, je ne veux pas vous assommer avec mes souvenirs, mais ils font partie de la formation de mon esprit, sans doute limité et moins éclairé que d’autres… ce qui me préserve de vouloir donner des leçons à mes supérieurs.
Cela dit, j’observe que les actes de Jean-Paul II avec l’indult de 1984 et Benoit XVI avec le motu-proprio de 2007, qui avaient pour objet de reconnaître que la Messe Tridentine n’avait pas été abrogée et d’en permettre donc la célébration, souffraient d’un profond illogisme, en accordant la faculté de cette célébration à ceux qui ne contestent pas les doctrines du Concile Vatican II. Pourquoi illogisme ? Parce que la fidélité à la messe est intrinsèquement liée à la fidélité à la doctrine dont elle est l’expression et le rempart : Trente et sa Messe, ou Vatican II et sa messe. Le choix doit être total pour être cohérent. Et l’indult de 1984 était déjà incohérent : Qu’il soit bien clair que ces prêtres et ces fidèles n’ont rien à voir avec ceux qui mettent en doute la légitimité et la rectitude doctrinale du Missel Romain promulgué par le Pape Paul VI en 1970 et que leur position soit sans aucune ambiguïté et publiquement reconnue. C’est l’illogisme du fameux nullam partem, que ne démentira pas le motu-proprio de 2007. Si nous refusons le NOM, ce n’est pas parce qu’il est moins beau, ou pour une histoire de latin ou d’orientation, mais bien parce que, comme l’affirmait le Bref examen critique de 1969 : le nouvel ORDO MISSAE s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXème session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les “canons” du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte l’intégrité du Mystère.[…] II est évident que le nouvel ORDO MISSAE renonce en fait à être l’expression de la doctrine que le Concile de Trente a définie comme étant de foi divine et catholique. Il n’est pas possible de séparer la Messe et la doctrine, et il est illogique de se contenter de la Messe sans combattre les doctrines qui la contredisent ! Certains s’en accommodent, je le sais, mais c’est une attitude boiteuse, qui ne fut pas celle de Mgr Lefebvre et n’est pas celle de la Fraternité. Alors, que Rome nous fasse quelques faveurs nous est agréable, mais cela ne peut pas nous satisfaire, et tant que Rome n’acceptera pas de nous donner une doctrine conforme à la Messe que nous célébrons, celle qui n’a jamais été abrogée, nous attendrons des heures plus favorables pour cesser notre résistance.
Quant à François, ses arguments sont différents, et ses actes sont d’une tout autre nature. En fait, il n’a pas d’arguments, et bouscule tout à son gré : doctrine, morale, droit canon, etc. La situation est vraiment inédite et théologiquement absurde : « malgré la persistance objective, pour le moment, de la situation d’illégitimité dans laquelle se trouve la Fraternité Saint Pie X », il est reconnu que nous avons le droit de faire ce que nous faisons depuis quarante ans sans rien changer dans nos positions ! Bref, cela sous-entend, sans le dire, que l’état de l’Eglise est tel que nous pouvons administrer les sacrements validement ; c’est ce qui s’appelle l’état de nécessité, qui fonde la juridiction de suppléance !
Car le plus anormal est bien dans le fait que le pape n’a rien changé à ce que nous sommes : il ne nous a rien concédé, mais il dit aux fidèles que nos confessions sont valides (ce qui revient à admettre l’état de nécessité) et il dit à présent aux évêques qu’ils peuvent nous « concéder des permissions pour la célébration de mariages de fidèles qui suivent l’activité pastorale de la Fraternité ».
Pour faire cela, il n’invoque que son désir « d’éviter les débats de conscience chez les fidèles qui adhèrent à la FSSPX et les doutes sur la validité du sacrement de mariage, tout en facilitant le chemin vers la pleine régularisation institutionnelle ». Il s’agit donc d’une disposition en faveur des fidèles, et non d’un droit nouveau accordé à nos prêtres ! Ces actes ne sont en rien le fruit d’un accord quelconque entre Rome et la Fraternité, mais sont des actes unilatéraux, non sollicités ni obtenus par quelque manœuvre secrète. La Fraternité en a été informée comme tout le monde, par la presse ! Et leur raison d’être est clairement affirmée : il s’agit du bien des âmes, et non de la situation de la Fraternité ! Il est clair, et, en cela François est logique, qu’il espère que cela nous conduira à une régularisation institutionnelle, mais cela n’est pas inscrit dans les actes eux-mêmes.
Certains évêques, dont celui de Carcassonne et celui de Fréjus ont déjà suivi les indications de Rome en accordant à nos prêtres la faculté de célébrer les mariages, et je ne vois pas comment nous pourrions nous opposer à cela ! Pour demeurer purs de toute compromission, faudrait-il retourner son décret à notre évêque ? Dire à nos fidèles que nos confessions ne valent rien, puisque leur validité est admise par le Pape ?
Ne soyons pas idiots à force de vouloir être plus intelligents que les autres, et admettons que la situation est simplement absurde sans nous être défavorable : alors que nous sommes « hors-la-loi » nos sacrements sont reconnus valides et conformes au droit de l’Eglise ! Nous sommes toujours dans une situation d’illégitimité, mais compétents ! L’état de nécessité perdure et Rome n’y change rien mais déclare que ce que nous faisons en raison de cette nécessité correspond au droit de l’Eglise ! Certes, Rome souhaite que nous nous adressions aux évêques, et reconnaissions ainsi qu’il n’y a plus de nécessité, mais cela ne trompera personne : l’état de l’Eglise est chaque jour plus désastreux !
Tout cela a été clairement rappelé dans l’analyse du document faite par nos supérieurs le 8 avril 2017 : Cet état de grave nécessité dans l’Eglise n’a pas disparu. Il ne s’agit pas d’en nier la terrible réalité. […] Pour toutes ces raisons, les fidèles se trouvent dans une situation de nécessité qui leur permet de recourir aux prêtres de la Tradition. En vertu de la législation de l’Eglise, leur mariage est certainement valide. Qu’aujourd’hui le pape demande aux évêques de faciliter ce recours à la juridiction ordinaire, en assurant la régularité du témoin autorisé qu’est le prêtre recevant le consentement des époux, ne fait pas cesser cet état objectif de crise de l’Eglise.
Et nul doute que, dans l’hypothèse où l’Ordinaire refuserait et de désigner un prêtre délégué, et de « concéder directement les facultés nécessaires au prêtre de la Fraternité », celui-ci célébrerait validement en vertu de cet état de nécessité, tandis que l’évêque s’opposerait manifestement à la volonté du chef suprême de l’Eglise.
Que tous se rassurent donc : nous conservons toujours la possibilité de confesser et de célébrer nos mariages comme toujours, sans rien demander à l’ordinaire ou au curé du lieu, en raison de cet état de nécessité. Le texte n’impose aucune obligation, et se limite à offrir une possibilité. Libre à nous d’en user ou non.
Alors, comme disait Mgr Ducaud-Bourget : on continue, sans nous laisser troubler par les inquiets semeurs d’inquiétude et de méfiance ! N’oublions pas de prier avant de parler ou d’écrire, et de prier encore après l’avoir fait.
Par les mérites infinis du Très Saint Cœur de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs que nous sommes.