L’ex-évêque aux Armées et nouvel archevêque de Strasbourg répond à Famille chrétienne :
Des catholiques américains disaient, pendant leur élection présidentielle, qu’il était impossible de choisir entre Trump et Clinton. Sommes-nous dans la même situation ?
Sur le second tour tel qu’il se présente aujourd’hui entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, nous sommes en demeure de faire un choix. Le catholique qui agit en tant que citoyen mais en catholique, comme disait Jacques Maritain, doit voter et ne peut pas s’abstenir… Par ailleurs, la difficulté du vote blanc, dans notre pays, est qu’il n’est pas considéré comme un acte politique. On pourrait modifier notre droit électoral – c’est une autre affaire – mais, actuellement, s’abstenir ou voter blanc, c’est la même chose. Je le regrette, mais c’est la réalité. Voter blanc, c’est accepter que notre suffrage ne compte pas.
Aujourd’hui, tel qu’est fait notre code électoral, j’ai le sentiment qu’un chrétien doit choisir un nom. Il doit mettre un bulletin pour un candidat ou un autre, faute de quoi son choix ne comptera pas. Si le vote blanc était pris en compte, ce serait un vote négatif avec une signification très claire : nous ne voulons ni de l’un, ni de l’autre. Or, aujourd’hui en France, un tel vote blanc n’a pas impact politique.
Entre l’abstention et le vote blanc, vous reconnaissez qu’il y a quand même une différence notable !
Le vote blanc témoigne d’une forme d’investissement, contrairement à l’abstention qui signifie un désengagement. Mais, malheureusement, je le répète, un vote blanc n’est aujourd’hui pas considéré comme un acte politique puisqu’il n’est pas pris en compte. Le code électoral français nécessiterait sans doute d’intégrer un vote blanc, dont souffriraient peut-être certains candidats, surtout dans un climat de défiance.
Mais s’il est impossible à un électeur de choisir entre deux candidats ? S’il ne veut pas voter pour un candidat qui fera voter une loi contraire à ses convictions pour ne pas avoir les « mains sales » ?
À ceux qui disent « Je préfère ne pas avoir les mains sales », je rappelle que la doctrine spirituelle et sociale de l’Église affirme qu’il vaut mieux avoir les mains sales que les mains vides ! Quand vous donnez à un pauvre dans la rue, vous ne savez pas ce qu’il va faire de son argent.
Je rappelle aussi qu’il faut voter en conscience. Pour un chrétien, voter en conscience n’est pas seulement le fruit d’une réflexion – elle l’est –, ni seulement le fruit d’une émotion, c’est aussi prier et demander l’inspiration de l’Esprit Saint. La conscience, selon la définition du concile Vatican II, est ce sanctuaire sacré et secret où Dieu dialogue avec l’homme. Donc, n’oublions pas de prier ! Bien que tenus par des programmes, nos candidats sont aussi des êtres de conscience au sein desquels agit l’Esprit Saint. Nous devons donc prier pour eux. C’est l’intuition fondamentale de saint Pierre et saint Paul au moment où les rois et les gouverneurs commencent à les persécuter (première lettre de saint Pierre). Toute autorité venant de Dieu, y compris l’autorité politique, nous devons prier pour qu’ils écoutent l’action de Dieu en eux.
On doit admettre qu’un choix soit inachevé, inabouti, et tolérer un certain mal potentiel ?
La grande question du chrétien est de savoir s’il est hors du monde, lequel monde est conduit pour une part par son prince, Satan, ou s’il est quand même dans le monde avec cette conscience lucide que des forces du mal traversent nos sociétés. Chaque fois que j’ai posé un acte politique dans mon vote, je savais que chaque candidat était, par définition, imparfait. Il est imparfait en lui-même, comme chacun de nous. Il est imparfait du fait de son appartenance à un parti politique ou par les compromis ou les compromissions qu’il a été obligé de faire.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que la situation est de pire en pire ?
La grande réponse est donnée par le pape François dans tous les éléments de notre pastorale : nous travaillons avec le temps. Ce dernier ne travaille pas toujours contre nous. Le pape François nous dit que le temps prime sur l’espace. Si le Seigneur n’était pas entré dans un processus, le royaume de Dieu serait survenu brutalement, d’un seul coup, avec son incarnation et sa rédemption. Or, ce n’est pas le cas. Il nous a tout donné en semence, Il a fondé l’Église et, progressivement dans l’Histoire, le royaume de Dieu progresse ou régresse suivant les périodes.
Un catholique peut-il diaboliser un candidat ou un projet ?
Diaboliser un programme ou un projet, oui totalement ! Et l’Église ne s’est jamais gênée de le faire face aux grandes idéologies. Un projet peut être idéologique et intrinsèquement pervers en s’appuyant sur une anthropologie – le pape Benoît XVI a souvent insisté dessus – sectaire ou sur une anthropologie fermée à la valeur transcendante de la personne humaine. Tout programme, si c’est vraiment un programme cohérent, repose sur une certaine conception de l’Homme et de la société, sinon c’est une succession de promesses pour récupérer un électorat.
Par contre, on ne peut jamais diaboliser une personne. Une personne peut changer, elle peut regretter son projet ou ne pas l’appliquer. Il ne faut pas diaboliser les personnes, en sachant qu’il y a chez les hommes politiques un sens du service et de l’abnégation.