Beaucoup de bruit, dans le monde catholique, en ce temps électoral. La « bête immonde », tapie dans l’ombre, serait de retour sous la forme du « catholique identitaire ». Sur ce fantasme, des points de vue très clairs ont été exprimés, ici et là. Mais il n’y a pas de fumées sans feu. Derrière ces gargouillis, il n’est pas très difficile de distinguer sinon une manœuvre coordonnée, du moins quelques manigances d’arrière-cours, entre l’avenue de Breteuil et le Gave de Pau.
Disons-le clairement. Les élites catholiques souffrent du même mal que les autres. Leur aveuglement et leur arrogance les ont totalement décrédibilisées. Le pape François nous avait promis de « nettoyer les écuries d’Augias », et rien ne vient. En France, la vieille garde s’affole, arc-boutée sur les ruines de son pouvoir. Il y a de quoi. Plus de 25% de catholiques pratiquants s’apprêtent à voter FN sans état d’âme, si j’ose dire. Des dizaines d’initiatives politiques, sociales et autres, jaillissent de la matrice LMPT, sans qu’aucun clerc « officiel » n’y soit associé (et les initiateurs ne se préoccupent nullement de le faire). La reprise ad nauseam de vieilles analyses complètement dépassées achèvent de décrédibiliser leurs auteurs. Les mises en garde moralisantes ne servent plus à rien. Oubliée la sage recommandation de Benoît XVI : « La politique est aussi un art complexe d’équilibre entre des idéaux et des intérêts, mais sans jamais oublier que la contribution des chrétiens est décisive uniquement si l’intelligence de la foi devient intelligence de la réalité. » (21 mai 2010). Il faut bien dire, comme Marcel Gauchet, que : « … le sentiment d’être du bon côté moralement et d’avoir toutes les sortes de raisons pour soi ne pousse pas à la curiosité intellectuelle ». Alors, on tente le tout pour le tout. Récupérer l’ambition des uns en leur déroulant le tapis rouge éditorial et médiatique. Effrayer les autres, en coulisses, par des manœuvres d’intimidation de basse police. Multiplier anathèmes et excommunications contre les « catholiques auto-proclamés », « fermés », « sans compassion » qui « jouent sur la peur ». Un fumet assez fade de fin de règne flotte sur la marmite.
Le constat qui précède n’est pas un jugement des personnes, ni une rébellion contre les autorités. Il n’aurait pas d’intérêt s’il ne pointait pas, dans une période de tension propice à éclairer les lignes de force, un état d’esprit plus global, une attitude devant la vie, voire une vision du monde implicite, à défaut d’une philosophie claire. Soyons plus précis : la clarté, la netteté, font peur. Il faut être consensuel. Pas un cheveu de travers, pas d’extrémisme. Appelons cette maladie du catholicisme moderne le « modérantisme ». En deçà de ses avatars politiques (Zentrum allemand, Sillon, démocratie chrétienne italienne, européisme) ou religieux (modernisme, apologie unilatérale et instrumentalisée de la « miséricorde », « compassionite » aiguë), c’est l’essence du modérantisme et de l’identité modérée — dont le caractère fluctuant, polymorphe cotonneux, difficile à saisir, n’altère en rien la capacité de nuisance — qui tient lieu de pensée politique au « ventre mou » de l’Église depuis des décennies.
Une fois que l’on a compris cela, il est assez aisé d’en repérer les trois types de métastases qu’elle provoque, envahissantes et mortelles pour le corps ecclésial :
– l’optimisme niais qui recouvre la réalité, qui évite le travail de réflexion approfondi, par le sentimentalisme et l’affectivité, Il n’y a pas d’ennemi, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil : « les « réfugiés » violeurs, sont nos amis (qui s’ignorent) ». Sans se douter un instant de quels pouvoirs maléfiques (mafias, prédateurs néo-libéraux, mondialistes et nihilistes sociétaux), ces optimistes sont les marionnettes.
– la collaboration avec les « structures de péché », au nom de l’entrisme et des bonnes intentions, visant à combattre et rectifier le mal de l’intérieur en ayant de la compassion pour les personnes. Marqueur absolu : l’avortement. « Je ne suis pas pour, mais… vous comprenez… ». Avec les résultats que l’on voit…
– Enfin, option plus subtile et non moins démobilisante, une forme sociale de quiétisme, qui s’incarne aujourd’hui par un retrait du monde dans le jardin de la « mission » tous azimuts, de l’évangélisation (après avoir rejeté « l’esprit de Compostelle »). Il y là, pour certains laïcs, une sorte de tentation de s’approprier la tâche propre aux « apôtres », après avoir razzié la liturgie, parce que, évidemment, c’est moins difficile que « de pénétrer l’ordre temporel d’esprit évangélique et de travailler à son progrès » (Vatican II).
Tout cela ressemblerait assez étroitement, que l’on me pardonne, à un ralliement (pour ne pas dire capitulation) à « l’esprit du monde ». Les « catholiques identitaires », à leur façon, que l’on dit maladroite, encore que cela reste à démontrer, tentent d’y échapper. Ils lancent un débat nécessaire. Ils appellent au réveil des consciences. Cela ne plait pas. La nouveauté, c’est qu’ils « ne lâchent rien ». Grâce en particulier à internet, leur voix passe et… finie l’intimidation ! Comme si la devise de ces esprits libres était devenue : « Cause toujours, tu m’intéresses… »
Gaston Champenier