Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, signe une tribune dans La Croix :
Les chrétiens sont entrés il y a quelques jours dans le temps du Carême. Ils sont invités au combat spirituel, c’est-à-dire à un effort pour une plus grande maîtrise d’eux-mêmes. En dehors des moyens habituels pour vivre ce combat, le jeûne, la prière et le partage avec les pauvres, l’actualité désigne chaque année de nouveaux lieux de ce combat ; en 2017, pour nous, Français, je perçois que je dois combattre, comme d’autres sans doute, les tentations de résignation et de désengagement.
Désenchantement du politique
Pour être plus clair, c’est la situation politique de notre pays qui fait naître en moi de tels sentiments. Le processus des primaires a en effet ouvert à un scrutin permanent : ce qui devait éviter les manœuvres d’appareils en a suscité de bien plus féroces. Le second tour des primaires, tant de la gauche que de la droite n’ayant pas donné satisfaction, on joue depuis janvier une sorte de troisième tour dans le but, bien improbable, de trouver un candidat qui satisfasse… on ne sait qui, et on ne sait à quoi.
Cet état de fait, qui pourrait susciter des rires désabusés, ajoute surtout à la désorientation de la population : les propositions des candidats sont inaudibles, et nos institutions apparaissent aussi fragilisées, sans parler des personnes censées les incarner. Le colloque qu’organisa l’Observatoire Foi et Culture de la Conférence des évêques de France le 28 novembre 2015, Le désenchantement du politique. Irréversible ? (Éditions Parole et Silence, 2016) trouve, hélas, ici un appui et voit disparaître le point d’interrogation de son titre.
Au-delà des événements de cette fin d’hiver 2017, l’enjeu réside plus globalement dans la difficulté à voir ce que sera l’avenir du pays. Celles et ceux qui doivent proposer des chemins sont empêchés de le faire, englués dans des « affaires » et surtout couverts par le bruit médiatique. Tout ceci était-il nécessaire alors que l’on sait le sentiment d’insécurité qui taraude beaucoup ?
Médias et objectivité
On peut lors être tenté de faire reproche aux médias d’entretenir un brouhaha continuel, voire un manque d’objectivité.
Ce dernier reproche est-il justifié ? N’est-ce pas le rôle des moyens d’information de faire connaître des événements, mais aussi d’en proposer des lectures diverses ? Attendre de l’objectivité de la part des médias est un leurre, surtout une attente infondée : ils sont dans leur rôle lorsqu’ils proposent un angle de vue, voire une interprétation. J’aime à rappeler cette formule de Jean-Luc Godard : « Un travelling est une affaire de morale ». Autrement dit, même un angle de vue, a fortiori le choix de telle image plutôt que de telle autre interprète un fait d’une manière ou d’une autre. Dès lors, il revient à chacun de se mettre à distance de ce qui est dit et montré pour élaborer son propre jugement. L’esprit critique est de l’ordre de la responsabilité personnelle, il est plus que jamais nécessaire.
La crise, l’incertitude, la colère même peuvent alors avoir ceci de bénéfique qu’elles soulignent d’autant le rôle de chacun et sont un appel à un engagement plus résolu. Il ne suffit pas de prendre acte d’une situation délétère, notre lieu d’expression, ce seront les élections qui se dérouleront d’avril à juin. Arrive un moment où il ne faut pas ajouter du bruit au bruit, se gardant pour ces jours où c’est dans le silence d’un isoloir que de vrais choix seront à poser.
Les institutions de la Ve République
L’actualité présente devra cependant conduire à s’interroger, au-delà de ces échéances électorales, sur les conséquences de changements qui altèrent le fonctionnement des institutions de la Ve République, telle qu’elle fut voulue et mise en œuvre par le général de Gaulle. Je pense ici à la fois au quinquennat et à la concomitance des élections présidentielles et législatives, ainsi qu’aux primaires, que tous les candidats n’ont pas choisies d’ailleurs. Des institutions sont toujours le résultat d’un savant et subtil équilibre, on ne peut impunément y ajouter et y retrancher, à moins d’avoir le projet, qui peut être tout à fait légitime, de doter le pays de nouvelles règles institutionnelles. Mais celles-ci doivent être élaborées de manière réfléchie et non l’objet de seuls « ajustements ».
L’Observatoire Foi et Culture de la CEF organisa également, le 3 décembre 2016, un autre colloque, ayant cette fois-ci pour titre Dignité et vocation chrétienne du politique (actes à paraître chez Parole et Silence) ; j’aimerais qu’il en soit désormais ainsi. À défaut d’attendre cela des autres, puisse mon attitude et mes pensées y contribuer.