Mgr Jean-Marc Eychenne, évêque de Pamiers, écrit sur son site :
De l’hospitalité faite à la vie…
“Seigneur, saisis nous par ta puissance et ta lumière
pour protéger toute vie,
pour préparer un avenir meilleur,
pour que vienne ton Règne de justice et de paix,
d’amour et de beauté. »
(Pape François – Laudato si)
Notre société, en manque ou en recherche de repères éthiques, s’engage parfois dans des évolutions de son droit qui mettent à mal la conception de l’homme qui dominait jusqu’alors. Celle-ci avait été chèrement acquise par des siècles de culture religieuse et philosophique. On peut parler à juste titre de choc civilisationnel.
Le respect de la dignité, de la sacralité, de toute personne humaine.
Quand le ventre de la maman s’arrondit nous pourrions dire : « il y a quelque chose qui grandit en elle. » Nous croyons qu’il convient de dire plutôt : « il y a quelqu’un qui grandit en elle. » Une personne humaine accède à la vie. Nous sommes face à une «pure Présence». Que cet événement ait été désiré ou non, que son surgissement soit le fruit de l’amour ou parfois, malheureusement, la conséquence du contraire de l’amour, il y a là une nouvelle personne humaine. La culture dont nous sommes les héritiers nous invitait jusqu’alors à tout mettre en œuvre pour être hospitalier à son égard.
« Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance ». (Genèse 1, 26)
Choisir d’interrompre une grossesse n’est jamais un acte anodin, dans cette approche de la dignité ou de la sacralité de la personne humaine. Banaliser cette pratique en allant parfois jusqu’à en faire un simple moyen de régulation des naissances constitue une évolution considérable de notre rapport à la vie et à la dignité de la personne, dans la toute première étape de son chemin d’humanité. Concevoir une sorte de « droit sur l’enfant » de la part de ses parents ou de la société, quand sa venue n’est pas désirée ou quand il n’y a pas, le concernant, de projet parental, pose tout de même un très grave problème éthique. De façon analogue la notion de « droit à l’enfant » quand on désire en accueillir un pour soi-même ou pour répondre à l’attente du couple, est porteuse de grandes ambigüités. On peut concevoir des droits sur des choses mais pas sur des personnes. La personne n’est pas un moyen me permettant de satisfaire mes attentes.
Le philosophe Kant, réfléchissant à ce qui nous met en situation de respecter la dignité humaine écrivait : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ».
Certes, l’appel à la Miséricorde nous conduira à accueillir des personnes qui (pour des raisons qui parfois peuvent être entendues avec compassion), ont porté atteinte à la vie. Et nous serons témoins auprès d’elles du pardon du Seigneur. Mais nous ne pouvons pas adhérer à cette culture sociétale qui nous ferait dire : « ce n’est rien ».
Certains objectent en disant que l’on ne peut pas parler de personne humaine ou de dignité humaine alors qu’il n’y a pas encore de conscience de soi ou de conscience d’être au monde. Mais la dignité de la personne ne dépend pas de son état de conscience. Une personne très blessée dans son intelligence, ou empêchée d’avoir (en apparence) une quelconque conscience d’elle même par la maladie, le handicap, la sédation profonde, ou le non développement de ses capacités cognitives, n’en garde pas moins une pleine dignité humaine. Nous pourrions même dire que plus la personne est fragile, plus elle doit devenir l’objet de notre attention. C’est comme si sa dignité grandissait (mais ce qui est infini ne peut pas grandir…) de façon inversement proportionnelle à sa faiblesse. Christian Bobin relisant l’expérience de l’accompagnement de son père, atteint par la maladie d’Alzheimer, parlera de « Présence pure ». Nous pourrions relire ici aussi tout Jean Vanier, pour nous convaincre que l’indicateur de l’état de la santé (humaine et spirituelle) d’une société, se trouve dans la place que l’on accorde aux personnes les plus fragiles. Or c’est souvent au début et à la fin de notre vie que nous sommes les plus fragiles. Nous somme alors, plus qu’à l’habitude, sacrement de la présence de Dieu au monde, Lui qui, dans son abaissement, s’est établi auprès du plus petit et du plus rejeté. (Ph 2, 5-11) À chaque fois que l’on n’est plus maître de son destin et que notre devenir dépend entièrement de la capacité d’accueil, du sens de l’hospitalité de nos frères, nous sommes de ces humbles derrière lesquels le Seigneur se cache.
Le maître mot, peut-être, des défis que nous avons à relever pour être accueillant à la vie, au plus faible, au plus marginalisé, est le mot « hospitalité ». C ‘est cette même vertu, fruit de la grâce du Christ, qui nous pousse à accueillir l’enfant non désiré et le réfugié jeté sur les routes avec sa famille, par la guerre ou la grande misère.
Comme il est paradoxal notre monde qui est capable de déployer des trésors d’ingéniosité pour sauver des oiseaux englués dans des résidus d’hydrocarbures ou étouffés par des plastiques et qui, dans le même temps s’habitue à voir des hommes, des femmes et des enfants, se noyer par milliers, sans s’émouvoir plus que cela. « Mondialisation de l’indifférence » disait le Pape François à Lampedusa. « Culture du déchet » répètera-t-il souvent, en se référant tantôt à l’avortement, tantôt aux autres atteintes à la dignité humaine.
Le Pape Benoît XVI dans « Caritas in Veritate » attirait notre attention (reprenant l’enseignement de Paul VI dans « Humanæ Vitæ » et du Pape Jean-Paul II dans « Evangelium Vitæ »), sur les liens très forts existants entre éthique de la vie et éthique sociale. C’est le même mouvement intérieur, fruit de l’amour du Saint Esprit présent au cœur du baptisé qui le pousse à accueillir l’enfant à venir et à ne pas laisser dans la rue le sans abri. Nous ne pouvons nier la présence, l’existence, la dignité, d’aucun de nos frères en humanité au prétexte que l’on ne le voit pas, qu’on ne le connaît pas, ou encore que l’on n’a pas de place ou de projet pour lui.
« N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges».
(Lettre aux Hébreux 13, 2)