Sur son blogue, Philippe de Saint-Germain décortique le document épiscopal relatif aux élections :
C’EST UN RITUEL. Avant chaque grande échéance électorale, les évêques de France invitent les catholiques à réfléchir à leur responsabilité politique. Par leur propre réflexion, ils appellent aussi les Français à prendre du recul sur l’actualité pour se poser les questions qu’ils pourraient ne pas se poser…
Pari réussi avec l’édition 2016 du message politique épiscopal, qui a rencontré un réel succès médiatique, et très élogieux, y compris dans la classe politique, ce qui n’est pas habituel. Les réserves sont plutôt venues du troupeau des fidèles qui sont restés un peu sur leur faim. Des réserves qui ne sont pas sans autorité, la responsabilité politique étant le champ propre de la mission des baptisés laïcs dans le monde.
« Quelque chose d’essentiel s’est perverti »
La France vit une profonde crise sociale qui engage la responsabilité de tous, écrivent les évêques. « Ce qui fonde la société est remis en cause. » La société se fragmente, les tensions s’accroissent entre les personnes et les groupes particuliers. L’insécurité n’est plus seulement « sociétale », elle est aussi marquée par la tension entre les groupes sociaux d’origine multiples, où prospère désormais la menace terroriste. La vie est de plus en plus difficile pour de nombreux Français. Pour eux, l’État ne remplit plus sa mission : l’inflation des lois, des normes et des contrôles trahit l’impuissance d’une société qui a perdu ses repères éthiques et culturels fondamentaux. Les réformes peinent à aboutir : elles se heurtent aux corporatismes de toutes sortes.
Dans ce contexte, la politique a perdu tout crédit : « Elle s’est faite gestionnaire, davantage pourvoyeuse de droits individuels et personnels de plus en plus étendus que de projets collectifs. » « Quelque chose d’essentiel s’est perverti. » La transmission des « valeurs et des orientations partagées » devient si problématique que même le socle des valeurs communes est contesté. « Il n’y a plus de vision anthropologique commune dans notre société » constatent les évêques.
Les limites de la logique du contrat
Dès lors, « le contrat social est à repenser ». Il faut retrouver ses fondements à travers notamment le retour « du » politique. Le politique, c’est ce qui précède la politique, ce qui « définit les conditions de la vie en société », « l’existence d’un “nous” qui dépasse les particularités ».
La difficulté à laquelle s’exposent les évêques est qu’ils inscrivent la refondation du politique dans la seule logique de la société fondée sur le « contrat ». « La recherche du bien commun et de l’intérêt général, écrivent-ils, doit trouver son fondement dans un véritable débat sur des valeurs et des orientations partagées. » Il s’agit de « veiller aux conditions d’une négociation toujours à refaire de ce qui fait tenir ensemble un pays ».
Pas de juste compromis sans principes non-négociables
La méthode peut se justifier : s’il n’y a plus de valeurs communes, il ne reste que l’éthique de la discussion pour rebâtir un « commun ». Le défi est de surmonter la « tentation du passage en force et du repli sur ses positions », ou de répondre aussi bien à ceux « qui n’y croient plus » qu’à ceux qui, « pleins de colère, veulent renverser la table et se tourner vers les extrêmes ». Comment donc « arriver à parler et à être entendu dans une démocratie d’opinion dans laquelle tout — même l’anthropologie — est soumis au vote » ? La solution est dans le retour au juste sens du compromis, qui est la définition même de la politique, mais à condition que celle-ci soit orientée vers une fin bonne, selon des principes qui précèdent la politique.
Or il ne peut exister de valeurs pré-politiques reconnues pour elles-mêmes et fondatrices du droit que si elles échappent précisément à la négociation. Ces fondements communs, porteurs de justice et d’intégration sociale, ne se trouvent que par la raison dans la nature de l’homme. Et c’est la mission de l’Église, par sa réalité même, d’éclairer la raison dans son discernement du vrai et du juste au-delà de la procédure démocratique. Sur ce terrain, les évêques du Conseil permanent sont fort discrets alors mêmes que c’est ici qu’ils sont le plus légitimes à s’exprimer clairement et fortement.
La culture qui intègre
Une autre dimension concourt à la reconstruction du tissu social, c’est la culture comme expression historique et vivante des idées et des valeurs qui identifie la vie de la communauté politique. Cette question de l’identité prend une gravité particulière en raison de la proportion grandissante des populations d’origine étrangère qui non seulement subissent l’épreuve du déracinement, mais se trouvent accueillie dans un pays en proie au doute. L’identité de la France est devenue « malheureuse », selon le mot d’Alain Finkielkraut.
Pourtant, le texte des évêques prend ses distances avec la matrice culturelle des « valeurs et des orientations partagées » qui fondent l’unité du corps social, comme si celle-ci était un contenu nécessairement synonyme de fermeture. « Le risque est de n’appréhender les questions légitimes de sécurité qu’à travers un prisme culturel. » « Il convient donc de redéfinir ce que c’est que d’être citoyen français et de promouvoir une manière d’être ensemble qui fasse sens. »
La construction d’un peuple peut-elle se penser dans le multiculturalisme négocié, dans une sorte d’éthique du ni-ni, ni ouverture sans héritage, ni cohésion sans pluralité ? La question devrait nous conduire plutôt à revenir à la vision chrétienne de la nation et donc de l’identité vertueuse, comme « alliance », mais aussi comme dimension constitutive de l’humanité à travers les « communautés de culture » (Jean-Paul II) dont les valeurs historiquement reconnues transcendent les différences. L’identité ne se négocie pas, elle se reçoit. C’est ce sens de la nation intégratrice qui pourrait nous aider aussi à retrouver le sens du politique.