Déclaration de la COMECE sur la pauvreté et l’exclusion sociale :
119 millions d’européens sont menacés de pauvreté et d’exclusion sociale. Parmi eux, les enfants et les familles sont toujours plus touchés. L’Eglise catholique en Europe est particulièrement impliquée dans la lutte contre ce fléau. Convaincue de l’urgence d’adopter une approche intégrale au niveau européen, la COMECE avance une série de propositions.Alors que la Commission européenne élabore actuellement un socle européen des droits sociaux, les évêques de la COMECE publient une Déclaration sur la pauvreté et l’exclusion sociale en Europe. Dans la ligne de l’économie sociale de marché promue par le Pape François, les évêques avancent 6 recommandations politiques à l’adresse de l’UE et des Etats membres.
Pour en éliminer les causes structurelles, la COMECE recommande à l’UE de mettre la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale au cœur de ses politiques « en particulier dans le cadre du semestre européen et en matière de fiscalité équitable ». La COMECE appelle les Etats membres à avancer vers plus de convergence en adoptant des normes sociales communes adéquates : garantir des conditions de rémunération décentes aux travailleurs, améliorer l’accès à l’éducation pour les enfants précarisés et soutenir les parents isolés.
Cette déclaration a été élaborée par les évêques des 28 Etats membres de l’UE au cours de leur assemblée plénière du 26 -28 octobre qui était consacrée au thème « la détresse des pauvres en Europe et les stratégies de l’UE pour éradiquer la pauvreté ».
La déclaration est notamment adressée au Président de la Commission européenne, M. Juncker, à la Commissaire en charge de l’emploi et des affaires sociales Marianne Thyssen, aux parlementaires européens ainsi qu’à la future Présidence maltaise du Conseil.
Dans le cadre du dialogue ouvert transparent et régulier qu’elle a pour mission de mener avec l’UE, la COMECE espère voir ses propositions reprises par les décideurs européens dans les prochains mois.
Voici le texte :
Le respect et l’aide aux plus démunis et aux plus vulnérables dans une société sont les critères fondamentaux de la justice sociale. Les évêques de la COMECE constatent que, dans une Union européenne fondée sur les valeurs chrétiennes, un quart de la population est encore aujourd’hui exposé au risque de pauvreté et d’exclusion sociale. Nous croyons qu’il est de notre devoir de réclamer une approche intégrée pour combattre la pauvreté et l’exclusion sociale. Seule une étroite complémentarité des politiques dans tous les domaines concernés et à tous les niveaux peut éliminer les causes structurelles de la pauvreté et promouvoir le développement intégral de chaque membre de la société, y compris des plus vulnérables.
La crise économique et financière a laissé une cicatrice profonde dans le processus d’intégration européenne. La conviction d’une Europe toujours plus unie a été ébranlée alors même que les écarts entre les États membres en matière de développement social et économique commençaient à grandir. Dans la plupart des pays, l’inégalité des revenus est croissante et le nombre de personnes exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale s’est élevé de 116 millions en 2008 à 123 millions en 20121. Bien que ces chiffres aient un peu baissé depuis lors, ils n’ont cessé de s’accroître dans les pays touchés par la récession. Le constat est clair : les plus pauvres payent les conséquences d’une crise causée par la spéculation, l’avidité et le manque de réglementation des marchés financiers.
Selon l’Enseignement social de l’Eglise catholique, la pauvreté est principalement le résultat d’obstacles structurels qui limitent les choix des citoyens et leur développement personnel et qui les privent d’une liberté réelle de vivre dans la dignité. Il s’agit d’un concept multidimensionnel faisant référence non seulement à un manque de revenus, mais aussi à tous les aspects qui entravent le bien-être social, tel qu’un accès insuffisant à l’éducation, aux services sociaux, à l’énergie ou au logement.
La pauvreté au cœur de notre société de consommation
Dans l’Europe d’aujourd’hui, la pauvreté revêt plusieurs visages et la crise l’a déplacée de la périphérie au cœur même de nos sociétés.
- Les enfants sont aujourd’hui exposés à un risque de pauvreté plus grand que tout autre groupe d’âge dans l’Union européenne2. En limitant leur accès à l’éducation, on leur refuse la possibilité de se sortir de la pauvreté. Alors que les populations décroissent, il est inacceptable que notre société ne soutienne pas de manière adéquate l’éducation des enfants, alors qu’elle expose en particulier les familles nombreuses et les parents isolés à un risque élevé de pauvreté.
- Les jeunes sont touchés par des taux de chômage élevés et un conjoncture économique défavorable. Ce sont des « agents de changement et de transformation » en Europe, comme l’a déclaré le Pape François3. Cependant, leur démarrage dans la vie est empreint d’incertitude et de frustration.
- Un nombre élevé constant de citoyens européens fait partie des chômeurs de longue durée qui font face à un manque de perspectives d’avenir et d’estime de soi.
- L’emploi ne suffit plus désormais à protéger les citoyens européens du dénuement. En effet, la pauvreté des populations actives tout comme les conditions de travail précaires sont en augmentation. Un nombre croissant de travailleurs se voit refuser une rémunération juste et équitable permettant à leur famille de vivre dignement.
- Les groupes sociaux soumis aux discriminations, parfois sous diverses formes, sont encore et toujours exposés à un niveau élevé de risque de pauvreté et d’exclusion sociale. Des groupes entiers, tels que les Roms, mais aussi les personnes vulnérables et marginalisées venues chercher refuge dans nos communautés, tels que les réfugiés et les demandeurs d’asile, sont privés de leur développement social.
La nécessité d’une approche intégrale
Nous encourageons l’Union européenne et ses États membres à développer, en collaboration avec la société civile et les acteurs de l’Eglise, une approche intégrale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale sous toutes ses formes.
Dans la ligne de l’agenda pour le développement durable des Nations Unies4 et de son principal objectif d’éradication de la pauvreté par le développement durable, une telle approche devrait avoir pour but ultime le bien commun, le respect de la dignité et la promotion du développement intégral de chaque personne humaine. Sur la base des principes de l’Eglise de l’option préférentielle pour les pauvres5 et de la responsabilité de chacun de prendre soin de son voisin, les plus faibles et les plus vulnérables devraient être au cœur des politiques européennes, nationales et locales. Tout ceci doit garantir que la revendication d’ordre moral de toute personne à la pleine participation à la société ne soit pas empêchée, mais aussi que chacun assume la responsabilité morale de contribuer au développement de la communauté.
À cette fin, les principes de solidarité et de subsidiarité devraient guider le rôle de chaque acteur au sein de l’UE. 6 Une articulation équilibrée des deux principes permettra que les décisions en matière de législations, politiques et allocation des ressources soient prises au niveau le plus local possible mais aussi élevé que nécessaire.
La crise économique et financière a révélé qu’une nation seule n’est plus en mesure de faire face aux enjeux économiques et sociaux pressants de notre économie mondiale interdépendante. Puisque les activités des entreprises sont transfrontalières, les gouvernements nationaux devraient coopérer, au moins au niveau européen, en matière de protection sociale, de politiques réglementaires et fiscales. Le Pape François appelle « au passage d’une économie liquide à une économie sociale » 7 en Europe et souligne spécifiquement la notion d’économie sociale de marché8, déjà consignée comme objectif dans les traités de l’UE9. Rappelant notre déclaration « Une communauté européenne de solidarité et de responsabilité » 10, nous renouvelons notre soutien à ce modèle qui lie le principe du libre marché avec les préceptes de la solidarité et des mécanismes au service du bien commun. Dans un monde où « tout est lié » 11, l’économie sociale de marché peut servir de base à une « une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature »12
Recommandations: Vers une communauté de solidarité et de responsabilité
- Promouvoir le développement intégral. Les plus pauvres et les générations futures sont les plus vulnérables à l’impact des changements climatiques, ce qui engendre une grave responsabilité éthique et morale.13 L’UE ne doit pas perdre de vue les objectifs en matière de pauvreté et de climat de sa stratégie Europe 2020 et placer les Objectifs de Développement Durable au cœur d’un nouvel agenda pour 2030. Il est donc essentiel que le suivi régulier de la stratégie dans le cadre du semestre européen ne néglige pas les indicateurs sociaux et environnementaux. En outre, nous encourageons l’UE a continuer à promouvoir les modes de consommation et de production alternatifs et à aspirer à une réévaluation de notre système de valeurs et de notre compréhension du développement.
- Assurer la cohérence des politiques. Conformément à l’art. 9 TFUE14, l’Union doit prendre en compte les exigences liées à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et activités. Les futures politiques, en particulier dans le cadre du semestre européen et en matière de fiscalité équitable, devraient donc être formulées et mises en œuvre de manière à contribuer à éliminer les causes structurelles de la pauvreté.
- Rééquilibrer intérêts économiques et droits sociaux. L’UE et ses Etats membres devraient veiller à ce que le projet de socle européen des droits sociaux, avec son idée de renouveler la convergence sociale sur la base de normes sociales communes adéquates, soit aussi complet que possible et doté de mesures de mise en œuvre concrètes afin de mettre un terme à l’accroissement des inégalités.
- Défendre les conditions de travail adéquates. Le Pape François nous a rappelé de favoriser les politiques créatrices d’emploi et qui garantissent des conditions de travail adéquates. 15 Même si nous reconnaissons que la garantie pour la jeunesse et l’initiative pour l’emploi des jeunes ont contribué à la création d’emplois pour les jeunes, nous encourageons l’UE à surveiller leur impact à long terme et à lier ces initiatives avec des investissements dans le secteur des entreprises dans les régions pauvres. L’UE et ses Etats membres devraient également veiller à ce que les travailleurs ne soient pas privés de leurs droits légitimes à des conditions de travail équitables et à « une rémunération suffisante pour leur assurer, ainsi qu’à leurs familles, un niveau de vie décent » 16. Nous recommandons donc à l’UE de renforcer ses législations sur le travail et de promouvoir, au niveau international, une meilleure mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme17.
- Reconnaître les familles comme des acteurs clés de la société. Les enfants vivant dans des ménages pauvres sont exposés à des obstacles importants qui limitent leurs possibilités dès la petite enfance. Nous recommandons de garantir l’égalité d’accès à l’éducation et de soutenir les parents isolés ainsi que les familles pauvres et nombreuses. En cas de difficultés, la famille est le premier recours. L’UE se doit donc de lui apporter un soutien plus important, de veiller à son unité et de promouvoir des politiques centrées sur elle.
- Favoriser le dialogue et la coopération. Nous invitons l’UE à favoriser le dialogue et la coopération avec tous les acteurs concernés. Ce dialogue devrait inclure les Eglises et leurs organisations mais avant tout donner la priorité aux pauvres, « non comme à un problème, mais comme à des personnes qui peuvent devenir sujets et protagonistes d’un avenir nouveau et plus humain pour tous »18.
La combinaison de l’ensemble de ces actions peut apporter le changement nécessaire pour relancer l’idéal d’une Europe toujours plus unie. Placer les personnes et en particulier les pauvres au cœur des politiques pourrait rendre nos sociétés non seulement plus inclusives, mais aussi plus résistantes aux crises futures. Face à une économie mondialisée, cela contribuera à notre effort commun pour « instituer un ordre politique, social et économique qui soit toujours plus au service de l’homme, et qui permette à chacun, à chaque groupe, d’affirmer sa dignité propre et de la développer » 19.