Mgr Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay, est responsable de la Cellule permanent de lutte contre la pédophilie. A ce titre, il célébrait la messe du jour à Lourdes, pour la journée de pardon des évêques. Voici son homélie :
Chers Amis,
Les paroles du Christ nous touchent tout particulièrement ce matin par leur actualité et par leur vérité: « Il est inévitable que surviennent des scandales, des occasions de chute mais malheureux celui par qui cela arrive! » (Lc 17, 1)
Oui, il nous faut oser regarder en face les scandales du péché qui atteignent l’Eglise toute entière.
Oui, il nous faut sortir du trop long silence coupable de l’Eglise et de la société et entendre les souffrances des victimes: les actes pédophiles, ces crimes si graves, brisent l’innocence et l’intégrité d’enfants et de jeunes.
Oui, il nous faut oser prendre tous les moyens pour que la Maison Eglise devienne un lieu sûr.
Oui, il nous faut comme le demande le Pape François, « demander pardon pour les péchés commis par les autorités ecclésiastiques qui ont couvert les auteurs d’abus et ignoré la souffrance des victimes ».
Quand il s’agit des plus fragiles, des plus faibles, des « petits », Jésus parle haut et fort. Ainsi les enfants sont la figure même des vrais disciples: « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. » (Mc 10,14) D’où, dans l’Evangile que nous venons d’entendre, cette condamnation si claire et si vigoureuse de ceux qui scandalisent et méprisent les petits: « Il vaut mieux qu’on lui attache au cou une meule en pierre et qu’on le précipite dans la mer, plutôt qu’il ne soit une occasion de chute pour un seul des petits que voilà. » (Lc 17, 2). Il n’y pas d’excuses ou de demi-mesures pour les actes commis sur un seul de ces petits! Il y a cette condamnation sans appel du Christ face au scandale vis-à-vis d’un seul de ces petits. L’Evangile ne transige pas avec ce qui porte atteinte et méprise la dignité de tout homme, et plus encore quand il s’agit des plus faibles.
Ainsi Jésus invite ses disciples à la vigilance: « Prenez garde à vous-mêmes ! » (Lc 17, 3). Tenez-vous sur vos gardes, gardez votre cœur en éveil, maintenez vive votre volonté et forte votre conscience face à ce mal qui brise la vie d’un être fragile. Ce mal, nous avons pu en être complices, nous évêques, par notre silence, notre passivité ou notre difficulté à entendre et à comprendre la souffrance que nous pensions oubliée chez ceux qui avaient été blessés dans leur chair, il y a longtemps. Nous avons voulu sans doute sauvegarder l’image de respectabilité de l’Eglise, par peur du scandale, en oubliant qu’elle est sainte et composée de pécheurs. En cela, nous avons failli à notre mission en n’étant pas meilleurs que le reste de la société qui gardait aussi le silence.
Dans l’Evangile, face à ceux qui commettent le scandale, Jésus en vient à parler du pardon: il nous demande d’interpeller vivement le frère qui a péché, de l’inviter à reconnaître sa faute, aussi grave soit-elle, et, seulement alors, s’il se repent, de lui pardonner. « Si ton frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches et, s’il se repent, pardonne-lui. » (Lc 17, 3) Par deux fois, Jésus affirme que le pardon ne peut être accordé au pécheur que s’il se repent. Ce pardon, comprenons bien que pour les victimes, il est souvent si difficile, parfois impossible, à donner. Car ce pardon s’écrit au terme d’un long chemin, dans la mémoire douloureuse des souffrances qu’ont vécues les victimes.
Pardonner n’est pas oublier. Pardonner demande, d’abord, ce temps nécessaire où peu à peu se fait la vérité, où peu à peu des mots sont possibles pour dire l’indicible douleur, où la justice et le droit sont convoqués et désignent clairement la faute et le coupable. Pardonner est en premier lieu l’affaire des victimes, mais cela n’est possible que si les auteurs sortent de tout déni, prennent véritablement conscience du mal commis et manifestent un repentir qui ne soit pas seulement des mots, mais une profonde repentance et une volonté ferme d’un travail profond sur eux-mêmes.
En écoutant le Christ nous parler ainsi du scandale, du mépris des plus petits mais aussi du pardon et de la repentance des pécheurs, nous avons envie de dire – peut-être même de supplier – comme les disciples : « Augmente en nous la foi ! » (Lc 17, 5) Chez Luc, la foi peut déraciner les arbres, chez Matthieu et Marc la foi peut déplacer les montagnes.
Aussi petite qu’un grain de moutarde, la foi au Christ peut nous aider à déraciner l’arbre du mal qui parfois pousse sans vergogne dans nos communautés. La foi au Christ peut nous aider à transporter les montagnes qui obscurcissent la lumière dans notre Eglise et barrent le chemin de la vie. La foi au Christ, mort et ressuscité pour le pardon de nos péchés et le salut de tous, est une force qui nous donne d’avancer sur un chemin de purification, sur un chemin de justice et de vérité face aux abus sexuels, sur un chemin où la souffrance des victimes est pleinement entendue. Ce chemin demande beaucoup d’écoute et d’attention. Et nous, évêques, nous devons nous y engager fermement et prendre toute notre part à cette lutte contre ces actes scandaleux et criminels qui touchent les plus petits.
Faisons nôtre cette prière: Seigneur, fais de ton Église un lieu de vérité et de liberté, de justice et de paix, pour que l’humanité tout entière renaisse à l’espérance.