Homélie du cardinal André Vingt-Trois à la Messe de rentrée de l’Institut Catholique de Paris – St François d’Assise, Mardi 4 octobre 2016 – St Joseph des Carmes :
Frères et Sœurs,
Il peut sembler paradoxal d’avoir choisi cette date pour la messe de rentrée puisque la fête de saint François d’Assise nous met en face d’une parole du Christ qui semble un peu décalée par rapport aux objectifs d’une université catholique ! Je pense que, parmi vous, certains peuvent se réclamer sages et beaucoup espèrent devenir savants… Deux corporations qui sont désignées par l’Évangile comme ceux à qui demeurent cachés les mystères du Royaume de Dieu. Alors à quoi bon ? A quoi bon cet investissement long, aride et difficile, si ce n’est pour pénétrer les mystères du Royaume de Dieu ? A quoi bon investir dans une étude méthodique de l’Écriture si c’est pour aller piocher un verset au hasard de la lecture et décréter que ce verset devient volonté de Dieu pour le monde ? Nous sommes là devant une sorte de paradoxe de la tradition chrétienne qui est à la fois tout entière orientée vers l’annonce de la bonne nouvelle aux pauvres et tout entière passionnée par le désir de mieux pénétrer les logiques internes de la révélation et leurs portées possibles dans l’univers de la réflexion humaine sur l’avenir du monde.
Alors il nous faut une fois de plus assumer ce paradoxe et essayer d’en tirer quelque enseignement pour nous-mêmes. Peut-être le premier enseignement serait-il de nous aider, chacune et chacun dans notre propre démarche, à déchiffrer la finalité de l’investissement érudit. Il y a une finalité immédiate : il s’agit d’obtenir les diplômes et pour cela faire preuve d’une certaine érudition, du moins suffisamment pour que les professeurs qui vont juger les candidats pensent que leur enseignement a été utile ! Cela demande donc une certaine capacité de présentation. Mais plus profondément, quelle est la finalité, la mission de quelqu’un qui investit dans la recherche intellectuelle, au point de dépasser simplement la vulgarisation en entrant dans une étude directe des sources, des textes et des contextes ? A quoi bon tout cela ? Pour quoi faire ? Comment le plus grand esprit se situe-t-il à l’ultime moment de sa vie ? Comment affronte-t-il la mort ? Est-ce que toutes ces études y contribuent ?
Il me semble que nous avons une sorte d’éclairage par la parole que le Christ vient de nous adresser et qu’une des finalités de l’érudition, de la science, de l’académisme, est précisément de devenir un médiateur, c’est-à-dire quelqu’un qui possède suffisamment la connaissance approfondie des mystères de la foi pour en être un pédagogue averti et accessible. Ce serait une grave erreur de croire qu’on ne peut toucher les simples, les tout-petits que par de l’infantilisme. Ce serait une erreur de croire que s’adresser aux tout-petits dispense de savoir où l’on va et ce que l’on propose. Si l’Église investit tant d’efforts pour scruter les Écritures, la Tradition, la pensée humaines, les sciences de l’homme et de la nature, ce n’est pas simplement pour défendre une certaine image d’elle-même, mais c’est parce qu’elle est convaincue qu’elle ne peut vraiment apporter une parole utile aux simples, aux tout-petits que si elle possède réellement une connaissance approfondie des mystères de l’humanité et de la foi.
Cet investissement devient une sorte d’offrande du travail de l’intelligence pour ouvrir des portes à ceux que les conditions de l’existence ou les talents dont ils disposent n’ont pas permis de le faire eux-mêmes. Le théologien n’est pas un « champion olympique » de la connaissance destiné à fournir de belles images, mais qu’on ne peut pas suivre… Il doit dire quelque chose aux tout-petits -et de préférence aux tout-petits- mais quelque chose qui soit authentiquement le message de la foi. Cet engagement dans une mission de pédagogie, d’introduction, de médiation, demande une possession affinée de ce dont on parle.
La deuxième remarque concerne ce que l’épître aux Galates a évoqué : on ne peut être un véritable témoin du Christ si le Christ n’est pas le centre de toute notre vie. On peut connaître beaucoup de choses, être un exégète performant, un théologien très affiné, un philosophe très savant…, mais ce qui détermine la fécondité de notre investissement, c’est la manière selon laquelle cet investissement nous conduit à être identifiés au Christ. Saint Paul évoque comment le Christ est inscrit dans sa chair. Saint François d’Assise a été marqué par les stigmates du Christ. Pour nous, ce n’est pas d’abord le phénomène extraordinaire des stigmates qui est en cause, c’est l’identification profonde de notre vie baptismale à celui qui nous a conformés à lui par l’onction de l’Esprit au moment du baptême.
Ainsi, ce qui compte pour nous, c’est la reconnaissance de la personne de Jésus, la connaissance du mystère du Christ, la volonté de le suivre partout où il ira et nous entraînera, le désir de faire connaître au plus grand nombre ce qu’il a dit de lui et tout ce qu’il nous a dévoilé des mystères de Dieu, puisque seul il peut nous faire connaître le Père.
Frères et sœurs, que cette communion intime à la personne de Jésus fortifie l’énergie que vous investissez dans votre travail universitaire, qu’il éclaire la finalité de transmettre la connaissance aux plus petits, qu’il console les aridités d’un chemin qui, s’il est réservé aux savants, leur réserve aussi quelques croix pour y parvenir.
Amen.