Alors que la censure revient, que les opérations de collages s’achèvent parfois au poste, le souvenir d’un rôle “pas très catholique” de la police, un certain 26 mai 2013 me revient en mémoire.
Les discours étaient terminés depuis une petite heure. Boitillant comme toujours depuis quelques mois, je me suis assis au pied des marches d’Air France après avoir remonté l’esplanade des Invalides parsemée de ses reconnaissables policiers en civil. Comme des badauds peu convaincus, ces derniers sont passés devant moi, lâchant un laconique ‘la manifestation est terminée, il faut vous diriger vers la sortie’. De toute évidence, ils n’avaient nullement l’intention de forcer les manifestants à s’en aller. Ils répétaient tous les trois mètres leur petite invitation, sans avoir l’air d’y croire vraiment. Et de fait, personne n’avait l’intention de partir. Il faisait beau et chacun trainassait sur les pelouses, pavassant sereinement.
Trois groupes de veilleurs se sont installés sur la seconde partie de l’esplanade vers les Invalides, de part et d’autre de l’avenue ouvrant sur le pont Alexandre III. L’ambiance était bon enfant et je déambulais à la recherche de visages connus quand vers 20h00 ou 20h30 un mouvement de foule s’est esquissé. Peu bruyant, il ne se distinguait des autres rassemblements que par sa masse compacte dessinant un mouvement de vague en direction de la rue de l’Université. Comme la plupart de ceux qui m’entouraient, je me suis rapproché fendant une foule de plus en plus dense, mais composée surtout de curieux à mon image. Arrivé à hauteur de la bouche de métro, l’ambiance avait changé. Des jeunes étaient là, face aux CRS, derrière leur palissade. Des chants divers furent entonnés avant qu’en un instant les slogans anti-forces de l’ordre et anti Hollande prennent le dessus. Des fumigènes furent lancés par-dessus le barrage, accompagnés de très bruyants pétards. Il ne me semble pas que des bouteilles furent jetées à ce moment-là. Plus loin, rue saint Dominique, les policiers en civil observaient. Puis, en une seconde, la tension est montée très nettement aux cris de ‘Socialistes, dictature’ ! Des jeunes s’aventuraient jusque sous le barrage. L’affrontement était palpable et je me souviens m’être dit : « Ils vont charger les CRS ». Le temps de l’écrire par sms à quelques amis et, de fait, ils ont foncé, déclenchant la riposte des bleus et par la même un repli stratégique de cette foule composée de quelques centaines (et probablement moins) de jeunes excités. Ce qui donnait l’impression de masse était le nombre des curieux comme moi, agglutinés autour. Très vite la foule s’est à nouveau ramassée devant des policiers plutôt malmenés et sans doute crispés face à une multitude si remontée. Puis le bruit a circulé de l’approche à revers d’une autre compagnie de gendarmes ou CRS, j’avoue ne plus savoir. La foule de mes curieux semblables s’est dans un premier temps écartée, comme si elle n’était pas concernée. Mais quelques jeunes de bonne famille, sur un ton joueur ont lancé l’idée de prendre cette deuxième escouade en tenaille. Et les badauds se sont pris au jeu en refermant le cercle sur le passage des forces de l’ordre. Ainsi, une ligne de CRS à l’abri derrière ses barricades de la rue de l’Université faisait face à une ligne de manifestants excités prise à revers par une seconde ligne des forces de l’ordre, elle-même prise en tenaille par les badauds devenus d’actifs protagonistes. En me reculant je pouvais voir ce ballet dans lequel la seconde escouade des bleus se trouvait en très mauvaise position, sans doute surprise de la témérité de la foule désormais complice. Dans ce face-à-face un déplacement incontrôlé s’est opéré en direction des Veilleurs assis tranquillement et dont le mot d’ordre était de ne pas bouger. Ici, il faut rendre justice à la vérité. Les forces de l’ordre sont intervenues avec des gaz lacrymogènes sans sommation il me semble, mais sans cette initiative, les Veilleurs auraient sans aucun doute été piétinés par cette foule qui jouant, à son avantage, au chat et à la souris n’avait pas pris conscience du danger que ce mouvement incontrôlé représentait pour les Veilleurs. Le gazage a, un temps, dispersé le groupe des assaillants dont la plupart, comme lassée par le jeu, est retournée à ses occupations, tandis que les Veilleurs rescapés sont allés rejoindre un autre groupe.
Très vite un nouvel attroupement s’est reconstitué sur la base du premier, face au pont Alexandre III. La même valse a repris, permettant au passage aux glorieux manifestants de s’emparer d’une matraque. Les veilleurs veillaient tranquillement dans un coin, tandis que les badauds enfermés dans le périmètre allaient et venaient sans trop se soucier d’un éventuel danger venu des « casseurs ». En deux temps trois mouvements, la foule, toujours volumineuse mais désormais solidaire, s’est à nouveau retrouvée face aux CRS de la rue de l’Université. Les gazages réguliers provoquaient une ondée dans un sens puis dans l’autre. Toujours aussi curieux, je me suis approché de cette rue quand j’ai reconnu nos casseurs professionnels tout de noir vêtus, gants et foulards bien arrimés. Ils tentaient de déplacer les manifestants vers la rue saint Dominique. Mais ils n’avaient visiblement pas compris que ceux qui entouraient massivement les excités étaient des curieux ou des jeunes en recherche d’un peu d’émotion et que ce n’était pas en excitant des pacifiques qu’ils obtiendraient un nouveau mouvement de foule. M’approchant un peu plus, j’entendis un ou deux slogans franchement racistes et sans aucun rapport avec les slogans anti Hollande. Exaspéré, je cherchai d’où venaient ces deux trois voix, pas plus. Les mêmes blousons noirs étaient là ! Jusqu’à la charge des CRS, une quinzaine de minutes plus tard, ils ont tenté de lancer ces slogans qui n’ont jamais pris. Toujours un « Taubira, ta loi, on en veut pas » ou « Socialistes dictature » l’a emporté tant c’est bien là la préoccupation des manifestants. Parti à la recherche de l’ami avec qui j’étais venu, je me suis à nouveau retrouvé au cœur du noyau d’excités à deux mètres des CRS. Mais les couleurs avaient changé. Le bleu, blanc, rose et les vareuses bretonnes de nos bonnes familles avaient fait place aux blousons noirs qui désormais criaient « CRS SS ». J’ai alors tiré mon ami de ce traquenard, in extremis. Les CRS chargeaient la seconde qui suivit.
Nous nous sommes alors retirés de l’autre côté de l’esplanade où j’ai lu un tweet annonçant que la préfecture de police faisait cerner le périmètre pour en finir avec les casseurs. Le temps de relever la tête et de fait, un nombre impressionnant de tortues casquées avait envahi méthodiquement l’esplanade tandis que des dizaines de camions et de bus de CRS arrivaient du côté de La Tour Maubourg. Nous avons donc décidé de sortir du périmètre pour aller dîner avant de venir rejoindre les Veilleurs. Il devait être 22h00-22h30. Comme nous le craignions, nous n’avons pu rentrer lorsque nous sommes revenus. Nous avons alors discuté avec quelques passants qui nous ont dit (et ont écrit leur témoignage) avoir été témoins vers 20h00 du tabassage d’un jeune qui voulait entrer et qui, voyant qu’un groupe avait pu passer, s’insurgeait. Il se trouve que ce groupe, tout de noir vêtu, est celui que j’avais vu tenter d’influencer la foule avec leurs slogans extrémistes et provoquer violemment les CRS.
En recoupant les témoignages et les tentatives calomnieuses du gouvernement des jours précédents, il apparaît très clairement que la police joue un double jeu inique. Le surnom de police politique ne lui semble pas usurpé. Cela est si vrai qu’en reprenant le métro à La Tour Maubourg, les CRS, nombreux devant l’entrée, discutaient très librement avec ces blousons noirs qui arboraient désormais un beau brassard orange.