Le 29 septembre dernier, un tribunal de Singapour a condamné Amos Yee, un adolescent singapourien de 17 ans, à six semaines de prison ferme et 2 000 dollars d’amende (1 300 euros), pour avoir « offensé les sentiments religieux des musulmans et des chrétiens » dans plusieurs vidéos postées sur Internet (voir ici et ici). En 2015 déjà, Amos Yee, né dans une famille catholique, baptisé dans la religion catholique mais revendiquant haut et fort son athéisme, avait été condamné à quatre semaines de prison pour avoir fait des remarques jugées offensantes envers les chrétiens.
Selon différents acteurs de la société civile locale, cette affaire illustre à nouveau le climat général de restrictions envers la liberté d’expression à Singapour. Les débats sur des sujets sensibles tels que la politique, le racisme ou la religion sont surveillés de près par les autorités singapouriennes et soumis à une législation très répressive en cas de débordement. Le gouvernement n’a aucune tolérance pour les insultes raciales ou religieuses. Ainsi, le Sedition Act est une loi qui criminalise tout discours « qui tend à promouvoir des sentiments de malveillance et d’hostilité entre les différentes races ou les classes de la population de Singapour ».
L’année dernière, Amos Yee avait été inculpé notamment pour avoir enfreint la section 298 du Code pénal qui, au chapitre 224, stipule qu’on ne peut faire de remarques contre une religion avec l’intention délibérée de heurter les sentiments religieux des croyants de cette religion. Peu de temps après le décès de Lee Kuan Yew (Premier ministre de 1959 à 1990 et fondateur du Singapour moderne), l’adolescent avait mis une vidéo sur YouTube intitulée « Lee Kuan Yew est enfin mort ! » (« Lee Kuan Yew Is Finally Dead »), dans laquelle il pestait contre ce dernier, mais aussi contre les chrétiens. Une vingtaine de personnes avaient alors porté plainte contre lui, il avait été reconnu coupable devant les tribunaux et condamné à quatre semaines de prison. Ayant déjà passé cinquante jours en détention préventive, il fut remis en liberté le jour de sa condamnation. Dans sa vidéo, avec l’outrance de son jeune âge mais non sans talent et beaucoup d’humour, Amos Yee avait comparé Lee Kuan Yew à Jésus, en disant que les deux étaient « avides de pouvoir et malicieux : ils ont trompé les gens en se faisant passer pour des êtres à la fois plein de compassion et gentils. Leur impact et leur héritage finalement ne dureront pas car de plus en plus de gens découvrent qu’ils racontaient n’importe quoi. »
A l’époque, le Premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong, avait déclaré dans un entretien avec l’hebdomadaire américain Time Magazine que « la religion est une bonne chose à condition que nous soyons en mesure de combler les différences entre nos diverses croyances, à condition de faire des concessions mutuelles, à condition de bien s’entendre ensemble et de ne pas offenser l’autre par un prosélytisme agressif, en dénigrant les autres religions, en étant séparé et, par conséquent, en ayant des soupçons les uns sur les autres, ce qui peut facilement se produire ». Les « autorités sont ouvertes à la critique », avait-il ajouté, mais la « capacité d’exercer la liberté d’expression vient avec des limites ».
Quatre mois après avoir été condamné pour cette première infraction à la loi, Amos Yee récidiva en ciblant cette fois-ci les musulmans dans une vidéo où on peut le voir maltraiter le Coran et en citer des passages pour en ridiculiser le contenu. Le jeune homme de 17 ans a continué à défier les autorités et, par la suite, a refusé de se présenter à deux reprises au commissariat de police. En septembre dernier, Amos Yee, qui refusait jusqu’ici les accusations qui pesaient sur lui, a fini par plaider coupable et a donc été condamné à six semaines de prison et 2 000 dollars d’amende. « Il a, à plusieurs reprises, délibérément choisi de faire du mal en utilisant des mots injurieux et outrageants et des gestes profanes pour blesser les sentiments des chrétiens et des musulmans. Ses remarques méprisantes et irrévérencieuses ont tendance à générer des troubles sociaux et saper l’harmonie religieuse dans notre société », a déclaré le juge le 29 septembre dernier, dans les attendus accompagnant la sentence.
Ce deuxième procès s’est déroulé en présence d’observateurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et de l’Union européenne. « En poursuivant Amos Yee pour ses commentaires, quel qu’en soit le côté scandaleux, Singapour a malheureusement mis les bouchées doubles en poursuivant une stratégie qui viole clairement la liberté d’expression », a commenté Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie de Human Rights Watch.
En 2015, des intellectuels singapouriens, des artistes et des militants pour les droits de l’homme avaient critiqué le traitement sévère imposé par le gouvernement à l’adolescent. Dans une lettre ouverte au Premier ministre, 77 signataires avaient écrit : « Nous pouvons prétendre encourager l’indépendance de la pensée et la créativité [NDLR : un des objectifs affichés des autorités singapouriennes pour soutenir la croissance économique], mais si nos actions révèlent une incapacité à tolérer les non-conformistes, les jeunes vont voir nos exhortations à prendre la parole comme de simples platitudes. »
Avec une population de 5,5 millions d’habitants, Singapour compte 18 % de chrétiens et environ 15 % de musulmans.
Source : Eglises d’Asie