Quel triste jour que ce samedi 17 septembre 2016 où La Libre, quotidien belge, titrait “Un mineur euthanasié pour la première fois en Belgique”[1] ! L’article rappelle que “cette possibilité existe légalement depuis le début 2014”. En une semaine l’affaire était pliée. Le dossier remis à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie la même semaine, validé puis acté par l’équipe que nous peinons à qualifier de soignante.
La mort, pour les enfants, est donc une possibilité, un choix comme un autre. La poire ou le fromage, la glace ou la crème au chocolat, la vie ou la mort. Quand on a pris la poire, on peut avoir un regret et prendre le fromage au repas suivant, ou pourquoi pas la crème au chocolat. Mais lorsque c’est la mort qui est choisie, on ne peut pas prendre la vie ensuite puisqu’il n’y a plus de choix possible.
“Les enfants aussi ont droit à voir abréger leurs intolérables souffrances. Je trouve même ordurier qu’on ose s’y opposer”, dit Françoise dans les commentaires de cet article. Comment pourrait-on être contre cet avis !? Sauf que Françoise s’est trompée de moyen. La finalité est la même pour tous, abréger la souffrance. Abréger la souffrance, ce n’est pas abréger la vie. C’est permettre la vie en faisant disparaître la souffrance. Nous voyons aussi le sacro-saint principe d’autonomie et la liberté allègrement détournés et remplacés par le libertarisme où la responsabilité dans l’exercice de la liberté disparait, où l’autonomie fait force de loi et empêche toute protection de l’individu au nom du respect de ses désirs. Il n’y a donc pas de protection de l’enfant qui, dans cette situation précise, devient le prescripteur de sa propre mort. Respectons sa liberté, son autonomie dont il n’est pas entièrement possesseur, ni au sens de la loi ni au sens psychologique, social,… Cependant la mort est une possibilité pour lui. Pas dans le sens où elle arriverait fortuitement, fatalement mais planifiée, préméditée. La mort s’organise comme toute notre vie qui se désenchante en ne laissant aucune place à l’aléatoire, au surprenant. Et parce que ce surprenant est parfois infiniment regrettable, nous le refusons en bloc.
Cette mort possible est le signe d’un double abandon. Celui des Hommes devant la souffrance. Ils capitulent, croyant avoir gagné, mais ils se sont fait avoir en signant un faux traité de Paix. Celle-ci se défile. La souffrance augmente, s’accumule. Et l’on ne cesse de courir après le seul moyen qui paraît envisageable pour “abréger” cette souffrance qui envahi tout l’être : faire disparaître celui qui souffre. Nous nous esquivons devant elle, nous louvoyons pour ne pas l’affronter. Tuer celui qui souffre n’est pas et ne sera jamais affronter la souffrance mais c’est affronter celui qui nous rend la présence et l’existence de cette souffrance intolérable.
Le deuxième abandon est celui des adultes devant la souffrance des enfants, devant les enfants, devant leur responsabilité première. Les adultes abandonnent la place essentielle qui permet aux enfants de croître et de s’affirmer enfin comme adulte, c’est-à-dire comme celui qui fait face, qui prend à bras le corps le problème présent et connaît l’obligation à laquelle il est tenu, celle de répondre de ses actes devant ces générations futures. Il accepte ses devoirs en particulier envers les enfants. Il les accepte et retranscrit son intention dans ses actes, dans son devoir de protection, dans le devoir qu’il a de se battre contre la souffrance et non contre l’enfant. Ces enfants sont abandonnés. La société, les adultes leur disent qu’ils ne peuvent plus rien faire pour eux, que l’unique chose qu’ils peuvent encore proposer est la mort.
Le 6 octobre 2013, CNN diffusait un reportage sur l’euthanasie des mineurs en Belgique[2]. Deux enfants, deux mères et deux situations radicalement différentes. Ella-Louise et Isabella. Ella-Louise n’a ni l’âge, ni les capacités intellectuelles et cognitives pour entrer dans le cadre de la loi. Ici le choix ne peut être fait que par les parents. Ella-Louise est rentrée à la maison pour y mourir. Ses parents ayant décidé de ne pas la nourrir, regrettent l’absence de cadre légal et se posent la question de l’utilité de la vie de leur fille. Le petit corps souffreteux d’Ella-Louise ne peut laisser personne indifférent, de même que la douleur et la détresse de sa maman. Les images sont insoutenables, mais cette mère ne pouvait affronter cette épreuve seule au milieu d’une société qui lui dit que la seule issue pour sa fille est la mort.
Isabella, ensuite. Nous y voyons sa mère lui expliquer ce qu’est l’euthanasie. On est gêné par la manière dont sa mère lui présente l’euthanasie. Elle lui explique qu’elle ira dans un endroit où elle ne souffrira plus, là où il y Dieu mais que c’est pour toujours. Isabella dit que ce n’est pas bien. Sa mère regarde la journaliste en souriant et répétant la phrase que sa fille vient de prononcer : “Ce n’est pas bien”. Mais sa mère reproche amèrement à la société son dédain pour ce qu’ils sont, ce qu’ils représentent, pour la gêne qu’ils provoquent chez chacun de nous. Pour l’abandon dont ils sont l’objet.
L’euthanasie ne règlera nullement le problème de la souffrance de l’enfant et de ses parents. Elle majorera l’angoisse des enfants, leur fera choisir la mort pour que leur maman arrête de pleurer. Elle leur fera craindre l’abandon et surtout craindre de ne pas être aimer juste pour qui ils sont mais pour ce qu’ils ont ou n’ont pas. Elle leur fera craindre le mésamour de leurs parents, l’insuffisance d’amour devenu conditionné à l’avoir plus qu’à l’être, dans cette société qui pousse sans cesse plus vers la mort pour éviter à l’Homme d’affronter ses responsabilités, l’aléatoire, le surprenant.
Source Généthique.org