L’abbé Grosjean, curé d’une paroisse des Yvelines, bien connu des réseaux sociaux pour son intérêt pour les questions politiques, est intervenu sur le Padreblog dans une contribution intitulée « Halte au feu ».Il appelle les personnes engagées politiquement à davantage de mesure dans les débats, et fustige les réactions négatives suscitées par le ralliement de Sens commun à François Fillon.
Liberté Politique a interrogé Fabien BOUGLÉ, Conseiller Municipal de Versailles:
En tant qu’élu de Versailles, et appartenant donc au même diocèse que l’abbé Grosjean, quelle est votre réaction à la lecture de son texte ?
Ma première réaction a été une réaction agacée : de quoi se mêle-t-il ? Enfin, quelle réaction auraient prêtres ou évêques si un élu rédigeait une tribune sur la division des prêtres dans l’Église, sur les coups bas qu’ils peuvent se faire entre eux, sur la bienveillance pastorale entre prêtres ?
Alors que la laïcité a été inventée par le christianisme sur la base de « Rendons à César ce qui est à César, et à Dieu sur ce qui est à Dieu», cette immixtion par un homme d’église dans un débat purement politicien me semble choquante. L’abbé Grosjean n’en n’est d’ailleurs pas à son coup d’essai…
Par ailleurs, cette volonté de défendre Sens commun n’est-elle pas inappropriée pour un homme d’église, sauf à ce que l’abbé Grosjean se déclare officiellement aumônier de Sens Commun ou des Républicains.
Un prêtre doit-il entrer publiquement dans des débats entre les hommes politiques sur des divergences d’options fondamentales ? Je crois que ce n’est ni sa place, ni son rôle. Notre abbé, me semble-t-il, a franchi la ligne jaune…
Mais alors, quel doit être l’attitude d’un prêtre dans le débat politique ?
Je crois d’abord qu’un prêtre n’a pas faire de politique au sens politicien du terme : je pense que l’abbé Grosjean a outrepassé le stade de la recommandation ecclésiale.
Depuis que je suis élu, et en tant qu’élu catholique, c’est pour moi une question importante. Je constate tous les jours qu’Il existe une grave contradiction entre une véritable passivité générale ecclésiale, à quelques exceptions près bien sûr, sur les questions fondamentales (l’avortement, la liberté scolaire, le « mariage homosexuel » etc.) et une très forte implication de l’Église lorsqu’il s’agit de lutter contre « l’extrémisme ». N’est-ce pas se tromper de combat ? Car ce qui doit primer, ce sont les enseignements fondamentaux de fonds.
L’abbé Grosjean cite opportunément des textes de la doctrine sociale, mais oublie étonnement ce qui est le cœur de cette doctrine, à savoir les fameux trois points non négociables rappelés par le pape Benoit XVI, qui sont, je le rappelle : le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, le respect de la vie du commencement jusqu’à sa fin, et la liberté scolaire.
De même, il ne fait pas référence à la note doctrinale de la Congrégation pour la doctrine de la foi, émise à l’époque par le Cardinal Ratzinger, concernant l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique.
Que retenir des propos de l’abbé Grosjean ?
S’il me semble être allé au-delà de l’acceptable, certains de ses propos sont très justes, notamment lorsqu’il parle de polémiques ou de tensions excessives. Le débat, parfois passionné dans le contexte politique actuel, rend difficile la nuance. Cela dit, critiquer la passion excessive est une bonne critique, qu’il doit s’appliquer à lui-même…Il faut également qu’il continue à interpeller les catholiques sur l’engagement politique : cela est très positif.
Mais, de grâce, qu’il laisse les citoyens catholiques engagés dans la cité batailler à leur façon, et qu’il ne s’immisce pas dans ces combats, d’autant plus compliqués pour nous que nos plus proches amis se transforment souvent en ennemis implacables de ce que nous disons ou faisons…
En outre, il doit nous rappeler sans cesse les points non négociables. A cet égard, si les prêtres nous rappelaient continuellement la base de notre engagement, de nombreux malentendus n’auraient pas lieu : en tant que Catholiques, devraient-ils marteler, voici les points non négociables qui, par définition, ne sont pas optionnels… La note de la Congrégation pour la doctrine pour la foi rappelle, par exemple, qu’un catholique ne peut en aucun cas suivre un politique ou une législation pro avortement : il faut le dire, il faut le claironner !
De la sorte, la question n’est pas de savoir si telle ou telle option doit être respectée dans le débat politique, mais de se demander si un mouvement comme Sens commun respecte la doctrine sociale de l’Église et les points non négociables rappelés par Benoit XVI, lorsque ce mouvement, par exemple, soutient François Fillon.
La réponse va de soi, puisque François Fillon se félicite que l’avortement soit un droit fondamental, et estime que le « mariage » homosexuel ne pose pas de problème en tant que tel. Par souci de vérité, et pour nous aider dans notre discernement personnel, le rôle de l’abbé Grosjean est de nous dire : l’alliance opérée par Sens commun s’oppose évidemment à la doctrine sociale de l’Église, et aux fameux points non négociables. Les stratégies, tactiques ou autres habiletés ne peuvent masquer cette réalité.