Avec Histoire d’un silence (Seuil), la journaliste de La Croix Isabelle de Gaulmyn témoigne sur l’affaire Preynat, prêtre lyonnais mis en cause dans plusieurs dossiers de pédophilie. Elle explique au Point :
“Je suis née à Sainte-Foy-lès-Lyon, et j’ai été scoute – comme mes trois frères – pendant quatre ans, à la fin des années 70, dans la troupe de Saint-Luc, dont le père Preynat était l’aumônier. Il avait beaucoup de charisme. C’était un prêtre classique, super organisateur, plutôt autoritaire, mais fort apprécié des parents, qu’il arrivait très bien à mobiliser.
À l’époque, pouvait-on déjà penser qu’il commettait des agressions pédophiles ?
Tout le monde le savait, même de manière implicite. C’est pourquoi je suis convaincue d’une culpabilité collective sur cette affaire. Quand un prêtre me l’a avoué, en 2005, cela n’a pas surpris la petite fille qui est en moi. Je me suis souvenue que le père Preynat n’aimait pas les filles. On se le disait entre nous : « Il nous fiche une paix royale, car il est toujours fourré avec les garçons. » Des parents s’en étaient plaints au cardinal Decourtray, alors archevêque de Lyon, au début des années 80. Le père Plaquais, qui avait créé cette église nouvelle de Saint-Luc, dont dépendait notre troupe, savait aussi. Mais les dispositifs d’alerte, en 1991, n’ont pas joué. À l’époque, on ne portait pas le même regard qu’aujourd’hui sur ces affaires. Maintenant, la grande interrogation pour moi est : comment se fait-il que, dans l’Église, on n’ait rien dit pendant vingt ans, et que, pendant vingt ans encore, on n’ait pas demandé de comptes à ce prêtre ? C’est ce qui m’a poussée à écrire ce livre.
Vous-même saviez, donc. Pourquoi n’avez-vous pas réagi ?
Je savais, c’est exact. Et j’ai éprouvé aussi un sentiment de culpabilité, qui m’a incité à démarrer cette enquête. Je fais partie des personnes qui ont alerté le cardinal Barbarin, de manière non formelle, quand nous l’avons appris, en 2005. Mais moi-même, à l’époque, je n’ai pas cherché à en savoir plus. Pourquoi la journaliste catholique que je suis n’a-t-elle pas mieux réagi ? Parce que, comme pour beaucoup de monde, tant qu’on n’y est pas directement confronté, la pédophilie est quelque chose de théorique. Tant qu’on n’a pas écouté les victimes, on ne comprend pas bien. Et chez nous, catholiques, il y a aussi peut-être une forme de docilité ou de répugnance à critiquer l’Église. Ces sentiments sont très ancrés chez les fidèles ; ce que combat fortement le pape François en réclamant davantage de débats internes. Il existe une forme de révérence vis-à-vis des prêtres, on les met sur un piédestal, alors qu’il n’y a plus de raison de le faire depuis le concile Vatican II. La pédophilie du père Preynat, c’était une sorte de secret de famille, un peu comme un inceste. C’est pourquoi je pense que nous avons tous une responsabilité collective dans ce dossier. Pas la peine de faire porter le chapeau au seul cardinal Barbarin… […]
Mgr Barbarin arrive en bout de chaîne, à la suite d’une succession d’erreurs d’appréciation commises par ses prédécesseurs, Mgr Decourtray et, surtout, Mgr Billé, qui, à la tête de la conférence des évêques de France, a mis en place les dispositifs contre la pédophilie en 2001 et n’a jamais jugé bon de demander des comptes au père Preynat. Pour moi, c’est le grand point d’interrogation de cette affaire. Le cardinal Barbarin a estimé que ses prédécesseurs avaient fait le travail, et il n’a pas cherché à en savoir plus. C’est cela sa grande erreur. Mais il a agi comme beaucoup d’évêques à l’époque, qui ont traité les cas nouveaux, pas les affaires anciennes. L’enquête pour “non-dénonciation” d’agressions sexuelles sur mineurs et “non-assistance à personne en danger” contre le cardinal Barbarin a été classée sans suite par le parquet au début du mois d’août. S’il y a une responsabilité, elle est d’ordre managériale. Le diocèse a très mal géré cette affaire depuis quarante ans. Je ne comprends pas que l’Église de Lyon n’ait pas lancé un appel solennel afin que les victimes témoignent. On a le sentiment que l’on ne dit rien. L’institution aurait dû poser un geste fort. Elle ne l’a pas fait. Pourquoi ?”