Dans son homélie du 5 septembre dernier, le cardinal Parolin rappelait les propos “choquants” de la sainte du jour. Lors de la remise de son prix Nobel en 1979, Sainte Mère Térésa, s’exprimait sur la douleur. « Il est très important pour nous de comprendre que l’amour, pour être vrai, doit faire mal. Il a fait mal à Jésus de nous aimer, cela lui a fait mal. »
Il est intéressant de souligner ce contraste avec le regard de Douleurs sans frontière, une ONG soutenue par l’OMS, qui lançait en 2008 une pétition destinée à l’ONU en faveur d’une résolution “inscrivant la lutte contre la douleur comme un droit universel de l’homme” [1] . Au-delà de l’aspect très généreux de lutter contre la souffrance, une telle pétition coure le double risque d’une nouvelle restriction de la dignité humaine et d’ouvrir une autoroute à l’eugénisme et à l’euthanasie .
Par nature, la limite constitutive de la nature humaine suppose la douleur. Le simple fait de tomber cause une douleur. Perd on sa dignité humaine parce que l’on souffre ? La dignité humaine est intrinsèque à l’homme qu’il soit diminué par la souffrance ne lui retire pas sa dignité. Or avec de tels discours d’une part on refuse à l’homme le cadre naturel de son épanouissement qui de façon native inclut la douleur et d’autre part on porte un regard dénigrant sur l’ensemble des personnes qui souffrent . La compassion n’est pas la pitié. Un regard de compassion suppose une vision globale de l’homme qui au-delà de ses diminutions conserve la plénitude de sa dignité. La dignité n’est pas dans l’agir mais dans l’être. L’idéologie que porte une telle proposition réduit la dignité de l’homme à l’avoir et à l’agir, c’est une idéologie qui puise à deux sources, le libéralisme et le socialisme, pour qui la dignité de l’homme est dans la rentabilité économique ou sociale et non dans la personne elle-même indépendamment du faire et de l’avoir. Comme si une personne handicapée ou diminuée par la maladie perdait sa dignité. De là à l’euthanasie et à l’eugénisme il n’y a qu’un pas. On sait que la définition onusienne de la dignité humaine renversée à cause de l’OMS après 1995, nie à toute personne non productive la dignité de personne, justifiant ainsi ses politiques de stérilisations massives dans les pays en voie de développement. On voit dès lors clairement comment un pas similaire peut se faire par le biais de la douleur. On a tout lieu de s’inquiéter quand on sait que cette proposition émane d’un organisme soutenu par le même OMS.
Le problème de fonds n’est pas la douleur, mais l’incapacité à la gérer. Comme en 1995, alors que l’OMS ne parvenant plus à financer sa ‘santé pour tous’, a préféré botter en touche et modifier la notion de ‘tous’, en modifiant les fondements de la dignité humaine, encore une fois, incapable de gérer la question de la douleur, on cherche à la disqualifier. Il va bientôt être honteux de souffrir. Face à un monde qui refuse la douleur, l’OMS, ne parvenant plus à la faire accepter comme une réalité, la voit comme une fatalité. C’est la conséquence de cette longue désinformation sur la douleur, la finitude l’homme et la peur de la mort. A conforter les gens dans ce refus de la réalité, l’OMS et la science médicale dans son ensemble se sont réduites elle-même à l’impuissance. En se prétendant pompeusement la solution de tous maux, elles ont juste oublié qu’elles n’étaient pas Dieu et qu’elles n’avaient pas le pouvoir de changer la nature même des choses. Dans son refus orgueilleux de reconsidérer sa finalité, elle préfère une fois de plus incriminer des facteurs extérieurs et les détruire. Il est plus facile d’exterminer les sujets porteurs de souffrance que la souffrance elle-même. Le problème dans cette fuite en avant est que rien n’empêchera jamais l’homme de souffrir moralement et physiquement. Une vie aseptisée est impossible.
L’autre racine de ce problème est le rapport de la société à la douleur. Certes elle la nie, mais ce faisant, en refusant de la voir, elle refuse de la considérer. Une véritable politique de l’autruche qui consiste à dire, si je ne vois pas ça n’existe pas. Aussi cette résolution est d’abord un constat d’échec. Ne parvenant pas à sensibiliser à cette question qu’eux-mêmes ont contribué à nier, scientifiques et OMS en sont réduits à légiférer. Ils ne sont plus médecins, mais juristes. Cinglant échec de l’omnipotence de la science contrainte de faire appel dans sa détresse à une force extérieure. Ce n’est pas la coercition qui changera le problème de la douleur, mais le rapport de l’humanité à cette réalité qu’est sa propre limite. Ce n’est pas en niant une réalité, en la dénaturant qu’on usera du bon remède. A refuser la souffrance on a fait des souffrants des semi hommes, des parias, pire dans la conception onusienne, des poids pour la société. Alors, financer la lutte contre la douleur ? Et quand on en aura plus les moyens ? Bis repetita ! La solution facile de 1995. On change la définition et on élimine le risque potentiel de problème en éliminant les sujets à risques. Aussi, avant de réitérer la grave décision de 1995, il vaut mieux prendre conscience des risques qu’une telle idéologie sous jacente fait courir à l’humanité toute entière et le pas potentiel que nous sommes encore en train de faire dans la culture de mort.
Ce n’est pas une résolution qui aidera les souffrants, mais le rapport à la souffrance. Il faut donc au lieu de se dédouaner, se réapproprier les fondements de la dignité humaine. Mais voilà, cela passe par une reconsidération du paradigme onusien post 1995, donc une révolution des mentalités scientifiques et médicales, une conversion des milieux économiques. En un mot cela suppose d’accepter de reconnaître la course en avant de la culture de mort. Parce que l’unique solution pour lutter contre la souffrance c’est d’abord de l’accepter.
La sensiblerie dans laquelle on nous entraîne, l’émotivité avec laquelle une fois de plus on tente de nous duper, ne doit pas nous faire perdre de vue le réalisme de la vie. Si les chrétiens et tout ceux qui ont un peu de bons sens ne s’émeuvent pas maintenant d’un tel risque, l’humanité fera un pas de plus en arrière et les bonnes intentions des signataires de cette pétitions se retourneront contre ce pour quoi ils combattent. Car au final diminuer la dignité fondamentale de l’homme c’est ça la véritable douleur.