Mgr Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay :
Demeurer attentif aux choses d’en haut en célébrant cette grande fête mariale, telle est la prière de l’Église. Marie entre dans la gloire de Dieu avec tout ce qui fait son existence de femme, avec sa foi et sa confiance indéfectible en Celui qui a fait des merveilles pour son humble servante (Lc 1, 48). La gloire de Dieu se reflète dans notre monde, qu’Il a tant aimé (Jn 3,16), et transfigure ce qu’il y a de beau et d’aimant dans notre humanité. Le mystère de l’Incarnation – « En Jésus, Dieu s’est incarné, il est devenu homme comme nous, et ainsi, il nous a ouvert la voie vers son Ciel, vers la pleine communion avec Lui » – trouve dans l’Assomption de Marie un éclat unique : la Vierge, en qui Dieu a pris corps et visage humains, entre dans la vie de son Fils, « premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis » (1 Co 15, 20). L’entrée définitive de Marie, corps et âme, dans la gloire, est pour nous le signe que tout ce qui fait notre humanité est irrésistiblement appelé à se tourner vers « le haut ».
Mais ne nous trompons pas, chercher les « choses d’en haut » n’est pas se détourner des contingences de la vie de tous les jours ou tomber dans un idéalisme religieux d’où l’ombre de la Croix serait absente. Sans cesse dans le quotidien, souvent si chargé, de nos vies, il est nécessaire de nous recentrer sur ce qui est le plus important, sur ce qui nous anime et nous fait vivre. Le chemin, que trace la venue de Dieu parmi nous en Jésus, nous offre, dans la foi, de donner aux « choses de notre vie » un sens et une espérance. Marie conservait tout dans son cœur (Lc 2,51) : comme elle, nous sommes, de jour en jour, appelés à intérioriser cette bonne nouvelle de la proximité et de l’amour de Dieu révélés en son Fils.
L’Évangile, « navigateur » de nos vies
Ainsi, loin de nous éloigner du monde où bien des conversions et des combats sont à mener, tourner notre regard vers « le haut », c’est inscrire dans l’ordinaire de notre existence l’Évangile, dans sa force et sa nouveauté… c’est permettre à l’Évangile de devenir le « navigateur » de nos vies, comme disait le pape François aux jeunes à Cracovie.
Dans la dynamique même de l’Incarnation, l’attention aux choses d’en bas et l’attention aux choses d’en haut se mêlent et s’entremêlent pour ne faire qu’une seule trame où Dieu, seul, cerne les fils et les nœuds. Dans l’Évangile de Luc (Lc 1, 39-56), après l’annonce de l’ange, Marie se rend rapidement chez sa vieille parente Élisabeth. Celle-ci s’écrie : « D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? », reconnaissant en cette simple jeune fille, celle qui porte le Fils du Très-Haut. Marie, à son tour, exulte de joie : le Très-Haut, dans sa miséricorde, se penche sur les petits, renverse les puissants et élève les humbles. Dans l’heureuse salutation de ces deux femmes et dans leur maternité porteuse d’espérance pour tous, le Salut s’écrit de manière si humaine, si belle et si simple… C’est ce qui touche tant de pèlerins, venant prier et fêter Marie en ce jour du 15 août, dans mille et un petits et grands sanctuaires !
Deux cœurs unis
Finalement, la fête – le dogme – de l’Assomption nous rappelle que Marie nous précède dans la pleine et joyeuse union au Christ ressuscité. Cette union au Christ commence dès maintenant – dans et par notre vie de baptisés. Saint Jean Eudes ne cessait d’affirmer combien méditer sur la vie de la Vierge Marie et la prier nous fait prendre conscience que la gloire de Marie réside dans l’union à son Fils, dans l’union de leurs deux cœurs. Ainsi : « il faut honorer Jésus en elle, et elle en Jésus…il nous faut regarder et adorer son Fils en elle, et n’y regarder et adorer que lui. Car c’est ainsi qu’elle veut être honorée, parce que d’elle-même et par elle-même elle n’est rien, mais son Fils Jésus est tout en elle : il est son être, sa vie, sa sainteté, sa gloire, sa puissance et sa grandeur ». C’est en laissant le Christ prendre place en nos vies et en nos cœurs que nous empruntons le même chemin que Marie, elle qui nous précède dans la vie sans fin de l’amour du Père.
La religion n’est pas la fuite du monde. La contradiction n’est pas le signe que nous nous éloignons de Dieu.
Au contraire, la lutte pour la justice est consubstantielle au chrétien. Mais au milieu des combats de ce monde, des luttes, des mépris, nous devons toujours garder notre regard fixé sur le ciel “unique but de nos travaux” (sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus).
Notre-Dame savait très bien que le combat de son fils pour la vérité et la justice allait lui susciter de terribles inimitiés et pour finir être la raison de son assassinat judiciaire. Elle n’a jamais tenté de le dissuader de continuer son combat.
Monseigneur, merci de nous rappeler cette vérité que le désir du ciel n’est pas prétexte à une lâche fuite du combat pour la vérité et la justice.