« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », mettait déjà en garde Rabelais. Une belle phrase pour nous chrétiens, pour l’homme spirituel, pour l’homme de bien. Une phrase réconfortante même, tant elle sent la raison. Une phrase, pourtant, vide de sens pour la plus grande partie des hommes d’aujourd’hui. Ni les mots, ni leur connexion logique, ni leur rapport de dépendance ne sont réellement accessibles à l’immense majorité de nos contemporains. Et les chrétiens ne sont pas systématiquement exempts. De fait, l’homme d’aujourd’hui ne sait pas vraiment ce que signifie ces mots : science, conscience et, bien moins encore, âme.
L’un des problèmes fondamentaux aujourd’hui est un problème de vocabulaire et donc d’amalgame, de définition, et donc en définitive de sens. Tout philosophe, tout penseur, sait bien que pour penser, pour dialoguer, il faut s’entendre au préalable sur le sens que l’on donne aux mots. Ne pas sacrifier à un tel préambule, c’est courir le risque presque inévitable du dialogue de sourds. Tout idéologue, tout tyran sait, lui aussi, que pour manipuler, désorienter et diviser, il suffit simplement de brouiller les sens, de travestir les définitions pour mieux jouer de l’amalgame avec des coques vides.
La baisse indéniable du niveau de connaissances des populations – même si quantitativement les hommes sont mieux formés, qualitativement ils le sont moins – ouvre aux manipulateurs, aux sophistes de nos jours et aux médiocres penseurs, une vaste plaine qu’il est trop facile d’investir. Il est alors courant, d’entendre des syllogismes qui n’en sont pas, des déductions de vérités erronées ou incomplètes qui reposent sur des fantômes de concepts.
« Mon peuple est en exil / périt[1] faute de Connaissance[2] » s’attriste Dieu auprès du prophète Osée. Ce n’est pas une plainte à prendre à la légère. C’est le drame le plus profond de l’homme, car aimer Dieu – vocation ultime de l’homme et source de son bonheur – c’est le connaître, nous dit saint Bernard. Il y a un rapport étroit, essentiel[3], entre connaissance, volonté, moralité, bonheur et conscience. Et ce rapport qui unifie toutes ces réalités intellectuelles, c’est le sens, le but de l’agir humain.
Nous agissons toujours en vue d’un but. Poser un acte est toujours quelque chose d’intermédiaire pour obtenir l’effet escompté. Mais, pour agir, il faut donc au préalable identifier le but. Dans quelle direction vais-je? Le problème fondamental est donc celui d’identifier mon but, car c’est lui qui donnera sens et valeur – qualitative et morale – à mes actes et donc, en définitive, à ma vie. Car clairement, ce qui me permet d’atteindre mon but est bon, ce qui m’en éloigne est mauvais.
La question est donc pour chaque homme d’identifier le but en vue duquel agir, d’en avoir connaissance. Mais si le but de mon action détermine ce qui est bien ou mal dans mes actes qu’est-ce qui détermine si ce but est bon ou non ? Précisément la conscience comme nous le rappelle Rabelais.
[1] Selon le choix de traduction, on retrouve l’un ou l’autre
[2] Os. 4,6
[3] C’est-à-dire de nature même de l’être.