Voici le premier de deux posts sur le motu proprio Mitis Iudex Dominus Iesus, par Henri Hude
Le pape François vient de réviser le Droit canonique en matière de reconnaissance de nullité de mariage entre baptisés. Cette révision allège, accélère et rend gratuite la procédure pouvant conduire à une telle reconnaissance de nullité, aussi bien qu’au rejet d’une telle demande, devant les juridictions d’Eglise.
Cette réforme est publiée dans un texte intitulé Mitis Iudex Dominus Iesus, qu’on pourrait traduire Le Seigneur Jésus juge avec douceur.
En date du 11 septembre 2015, le texte n’était encore téléchargeable, sur le site du Saint-Siège, qu’en latin et en italien. Je l’ai lu en italien, vérifiant au besoin le sens du texte en me reportant à la version latine officielle.
Le moins qu’on puisse dire est que ce texte n’a pas été jugé avec douceur par certains lecteurs plus catholiques que le pape[i]. Il a aussi été reçu avec condescendance par d’autres, qui voudraient y voir un « petit pas » de Rome dans le sens du relativisme libéral en matière de mœurs[ii]. A mon avis, des deux bords on se trompe lourdement et de la même façon, bien qu’on valorise diversement la démarche papale, objet d’une égale incompréhension – volontaire ou involontaire.
Voici donc quelques pensées au sujet de ce motu proprio qui soulève tant d’émotion et qu’il importe de bien comprendre.
N’étant ni canoniste, ni théologien, je lirai surtout ce texte dans la lumière propre de la philosophie de l’Histoire et de la philosophie morale politique. Elle me semble ici très éclairante. Cela ne m’empêche pas de le recevoir aussi avec la docilité confiante du catholique fidèle.
A ces titres, je me permets les observations suivantes.
Le texte d’une douzaine de pages comporte trois parties.
La première expose les considérants de cette réforme du droit interne de l’Eglise ;
dans la seconde en est donné le contenu, c’est-à-dire la nouvelle rédaction d’un chapitre du Code de Droit Canonique[iii] ;
la troisième fournit des normes pour la bonne compréhension et l’application correcte du droit ainsi révisé.
Rien de changé dans la doctrine
Dans la première partie, le pape commence par rappeler avec solennité le pouvoir des clés » de l’évêque de Rome, successeur de Pierre, autorité plénière et universelle de l’Eglise[iv].
Puis, il inscrit le motu proprio dans la méditation séculaire de l’Eglise sur « l’indissolubilité du lien sacré du mariage ».
Il continue en rappelant la mise en place progressive, au cours de l’Histoire, de la procédure disciplinaire de reconnaissance de nullité.
En évoquant alors « la nullité du consentement », il rappelle un point tout à fait central de la doctrine catholique du mariage, à savoir que le consentement libre des époux à s’engager dans les liens du mariage constitue la cause humaine indispensable de celui-ci, que Dieu consacre par le lien sacramentel[v]. La forme du sacrement se trouve justement dans l’échange des consentements.
C’est pourquoi, il y a mariage là où existe un véritable accord entre vrais consentements, et un tel mariage est toujours indissoluble. Cette doctrine catholique remonte, sur ce point, aux paroles mêmes de Jésus-Christ[vi]. Par contre, là où les consentements font défaut, là ne peut exister un mariage.
La question de savoir si un homme et une femme sont mariés est donc une question de fait, à apprécier en cas de désaccord, par le juge compétent. Cette question de fait est détachable de la question théologique et de droit : savoir si le mariage est en soi indissoluble. Cette dernière a été tranchée dès le début de l’Eglise et par le Christ en Personne. Un mariage ne peut donc jamais être rompu, mais on peut reconnaître qu’un mariage apparent n’a jamais existé en réalité.
Il n’y a donc rien de changé dans la doctrine. Doit-on maintenant s’attendre à une révolution dans la pratique, qui équivaudrait à un rejet hypocrite de cette même doctrine ?
Révolution dans la pratique ?
Tenir à la fois l’indissolubilité du mariage et la possibilité de reconnaître des nullités ne comporte en soi aucune espèce d’hypocrisie de la part de l’Eglise. Un homme et une femme ou bien sont mariés ou bien ne sont pas mariés. Reconnaître ce qu’il en est réellement, quand cela devient nécessaire, n’est que le simple respect de la vérité des faits et de la justice envers les personnes.
Qu’il puisse y avoir, dans un tel processus judiciaire, fraude des parties, ou laxisme des juges, manœuvres dilatoires, ou autres fautes individuelles, cela fait partie de la misère inévitable de toute réalité humaine. Il en résulte pour les parties comme pour les juges un devoir strict de vérité et de justice, excluant tout mensonge, toute ruse, toute intention d’abuser du droit. Le motu proprio le rappelle fortement : « Il est de la responsabilité de l’évêque, dans l’exercice de son propre pouvoir judiciaire, de s’assurer qu’on ne se permette aucun laxisme[vii]. »
Qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? Qu’il n’est pas permis de déclarer nul un mariage sans avoir acquis la « certitude morale » qu’il était objectivement nul. Ceci est précisé dans l’Article 12 des normes pratiques formant la troisième partie du motu proprio. Cet article dispose : « Pour obtenir la certitude morale nécessaire pour statuer, il ne suffit pas d’indices et de preuves d’importance supérieure, mais il faut que demeure tout à fait exclu n’importe quel doute prudent et positif d’erreur, dans le droit et dans le fait, bien que ne puisse être exclue la simple possibilité du contraire. »
Voici donc que la réforme se trouve solidement encadrée, d’un côté par la doctrine traditionnelle, de l’autre par des normes pratiques dépourvues de toute équivoque.
Il n’y a donc lieu, ni de se réjouir d’une évolution de l’Eglise dans le sens du relativisme moral libéral et libertaire, ni de s’en attrister. Par contre il faut comprendre la raison de ce changement dans la pratique juridique et pastorale. C’est là qu’il convient d’avoir recours aux clartés de la philosophie. (Voir second article)
Henri Hude
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[i] Jean-Marie Guénois, Le Figaro, 9 septembre 2015.
[ii] Le Point, 8 septembre 2015. http://www.lepoint.fr/societe/mariage-le-petit-pas-du-vatican-08-09-2015-1963033_23.php
[iii] Livre VII du Code de Droit Canonique, Partie III, Titre I, Chapitre I, sur les causes pour la déclaration de nullité du mariage.
[iv] Code de Droit Canonique, canon 331 et suivants.
[v] Commentaire sur les Sentences, Livre IV, Distinction 27, Question 1, Article 2 etpassim (non moins de 305 occurrences dans le traité sur le mariage).
[vi] Mt., 19, 3-9.
[vii] Première Partie, Critères Fondamentaux, II.
Texte du 14 Septembre 2015