Dans l’Homme Nouveau, un moine de Triors revient sur l’audience du pape consacrée à la propriété privée.
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Après une longue série d’audiences sur la famille, le Pape vient d’en commencer une autre ce 24 février, dans le cadre de l’Année jubilaire, sur la miséricorde. Pour le Carême, il a commenté l’épisode biblique bien connu du livre des Rois, celui de Nabot. Recommandant d’en lire le commentaire fait par saint Ambroise, il en tire des conclusions importantes sur les relations sociales entre les riches et les pauvres. Pour bien en mesurer la portée qui s’inscrit dans la droite file de l’enseignement social de l’Église, il faut d’abord se rappeler que si le prophète Élie est intervenu alors, c’est que la religion lui apparaissait bel et bien comme la garantie de l’ordre social ; la justice reste pour lui essentiellement affaire religieuse. Nous retrouvons la même pensée chez Amos à propos de l’oppression des humbles ; ou encore chez Isaïe à propos du luxe excessif, texte sur lequel s’appuie aussi le Pape.
Nabot possédait près des murs de Yizréel une vigne. Le roi Achab lui proposa de l’acheter. Nabot refusa d’aliéner l’héritage de ses pères. Ce refus de Nabot prouve qu’il était resté fidèle à YHWH et qu’il n’avait pas plié les genoux devant Baal. Il prouve surtout que Nabot ne croyait pas devant Dieu pouvoir céder sa vigne, tant était vif chez les Juifs la loi fondamentale de garder à tout prix les biens de famille. Il considérait donc de son devoir de garder son bien. Achab irrité s’en revint chez lui et en parla à son mauvais génie Jézabel qui, raillant sa manière d’entendre le pouvoir, s’engagea à lui obtenir le bien convoité. L’acceptation tacite d’Achab le fait complice du crime futur. Jézabel ne tarda pas en effet à passer à l’action. Elle prescrivit un jeûne public et soudoya deux faux témoins qui devaient accuser Nabot d’avoir maudit Dieu et le roi. Le stratagème réussit et, les apparences de la justice étant sauvegardée, Achab entra en possession de son bien. Alors la parole de Dieu fut adressée à Élie qui arriva aussitôt sur le lieu du crime pour reprocher à Achab son péché et lui annoncer du même coup le châtiment divin.
Respecter la vie en tout
Ce récit biblique permet au Pape de dénoncer avec force toute autorité qui s’exerce sans respect pour la vie (ce qui revient pratiquement à dénoncer toutes les autorités politiques actuelles !), sans justice et sans miséricorde aussi, les deux devant rester toujours étroitement unies pour demeurer vraies. La soif de pouvoir dénoncée ici par le Pape est aujourd’hui une véritable calamité, mais elle n’est en fait que la conséquence logique de l’apostasie du monde tout dévoué désormais à Satan et sous l’esclavage tyrannique des trois concupiscences. Mais le Pape note à juste titre qu’il ne faut pas désespérer pour autant. Du temps de Nabot, Dieu dans sa miséricorde a envoyé Élie et le châtiment fut un temps repoussé. Achab s’est repenti et le Seigneur a accepté son repentir. Il reste cependant qu’un innocent a été tué et d’ailleurs Jézabel le paiera de sa propre vie. Cela est pour nous une grande leçon. Le péché est une révolte contre Dieu, mais il est aussi une blessure contre soi-même car il dénature notre image de Dieu et, enfin, il blesse gravement autrui et à ce titre mérite réparation. Si celle-ci n’est pas accomplie sur terre, elle devra l’être dans l’au-delà. Mais Dieu a offert son pardon, car il est miséricordieux. Demandons à Marie de nous apprendre à bien lire ce passage de Nabot et à en tirer les conséquences pour notre vie spirituelle. Souvenons-nous que si le péché conduit à la mort, le pardon offert par Jésus conduit à la vie.
Le commentaire du Pape :
Nous poursuivons les catéchèses sur la miséricorde dans l’Écriture Sainte. Dans différents passages, l’on parle des puissants, des rois, des hommes qui se trouvent « en haut », et aussi de leur arrogance et de leurs abus. La richesse et le pouvoir sont des réalités qui peuvent être bonnes et utiles au bien commun, si elles sont mises au service des pauvres et de tous, avec justice et charité. Mais quand, comme cela se produit souvent, elles sont vécues comme un privilège, avec égoïsme et arrogance, elles se transforment en instruments de corruption et de mort. C’est ce qui se produit dans l’épisode de la vigne de Nabot, décrit dans le Premier Livre des Rois, au chapitre 21, sur lequel nous nous arrêtons aujourd’hui.
Dans ce texte, l’on raconte que le roi d’Israël, Akab, veut acheter la vigne d’un homme du nom de Nabot, car cette vigne était voisine du palais royal. La proposition semble légitime, voire généreuse, mais en Israël les propriétés foncières étaient considérées comme étant presque inaliénables. En effet, le livre du Lévitique prescrit : « La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m’appartient et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes » (Lv 25, 23). La terre est sacrée, car c’est un don du Seigneur, qui en tant que tel doit être préservé et conservé, comme signe de la bénédiction divine qui se transmet de génération en génération et garantie de dignité pour tous. L’on comprend alors la réponse négative de Nabot au roi : « Yahvé me garde de te céder l’héritage de mes pères » (1 R 21, 3).
La méchanceté de Jézabel
Le roi Akab réagit à ce refus avec amertume et dédain. Il se sent offensé – il est le roi, le puissant –, diminué dans son autorité de souverain, et frustré dans la possibilité de satisfaire son désir de possession. En le voyant si abattu, sa femme Jézabel, une reine païenne qui avait accru les cultes idolâtres et faisait tuer les prophètes du Seigneur (cf. 1 R 18, 4) – elle n’était pas laide, elle était méchante ! –, décide d’intervenir. Les paroles avec lesquelles elle s’adresse au roi sont très significatives. Écoutez la méchanceté qui est derrière cette femme : « Vraiment, tu fais un joli roi sur Israël ! Lève-toi et mange, et que ton cœur soit content, moi je vais te donner la vigne de Nabot de Yizréel » (v. 7). Elle met l’accent sur le prestige et sur le pouvoir du roi qui, d’après sa façon de voir, est remis en question par le refus de Nabot. Un pouvoir qu’elle considère au contraire absolu, et pour lequel chaque désir du roi puissant devient un ordre. Le grand saint Ambroise a écrit un petit livre sur cet épisode. Il s’appelle « Nabot ». Cela nous fera du bien de le lire en ce temps de Carême. C’est très beau, c’est très concret.
Jésus, rappelant ces choses, nous dit : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous ; au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier d’entre vous, sera votre esclave » (Mt 20, 25-27). On perd la dimension du service, le pouvoir se transforme en arrogance et devient domination et oppression. C’est précisément ce qui se produit dans l’épisode de la vigne de Nabot. Jézabel, la reine, décide sans scrupules d’éliminer Nabot et met en œuvre son plan. Elle se sert des apparences mensongères d’une légalité perverse : elle expédie, au nom du roi, des lettres aux personnes âgées et aux notables de la ville en ordonnant que de faux témoins accusent publiquement Nabot d’avoir maudit Dieu et le roi, un crime puni par la mort. Ainsi, après la mort de Nabot, le roi peut se saisir de la vigne. Et cette histoire n’est pas celle d’autres temps, c’est aussi l’histoire d’aujourd’hui, des puissants qui pour avoir plus d’argent exploitent les pauvres, exploitent les gens. C’est l’histoire de la traite des personnes, du travail esclave, des pauvres gens qui travaillent au noir et avec un salaire minimum pour enrichir les puissants. C’est l’histoire des politiciens corrompus qui veulent plus, et plus, et plus ! C’est pourquoi je disais qu’il nous fera du bien de lire ce livre de saint Ambroise sur Nabot, car c’est un livre d’actualité.
Les méfaits de l’avidité
Voilà où conduit l’exercice d’une autorité sans respect pour la vie, sans justice, sans miséricorde. Et voilà où conduit la soif de pouvoir : elle devient avidité qui veut tout posséder. Un texte du prophète Isaïe est particulièrement éclairant à ce propos. Dans celui-ci, le Seigneur met en garde contre l’avidité les riches propriétaires fonciers qui veulent posséder toujours plus de maisons et de terrains. Et le prophète Isaïe dit : « Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison, qui joignent champ à champ jusqu’à ne plus laisser de place et rester seuls habitants au milieu du pays » (Is 5, 8).
Et le prophète Isaïe n’était pas communiste ! Mais Dieu est plus grand que la malveillance et que les manigances conçues par les êtres humains. Dans sa miséricorde, il envoie le prophète Élie aider Akab à se convertir. À présent, tournons la page, et comment se poursuit l’histoire ? Dieu voit ce crime et frappe également à la porte du cœur d’Akab, et le roi, placé devant son péché, comprend, est humilié, et demande pardon. Comme il serait beau que les exploiteurs puissants d’aujourd’hui fassent de même ! Le Seigneur accepte son repentir ; toutefois, un innocent a été tué ; et la faute commise aura des conséquences inévitables. Le mal accompli, en effet, laisse ses traces douloureuses, et l’histoire des hommes en porte les blessures.
La miséricorde montre également dans ce cas la voie maîtresse qui doit être poursuivie. La miséricorde peut guérir les blessures et peut changer l’histoire. Ouvre ton cœur à la miséricorde ! La miséricorde divine est plus forte que le péché des hommes. Elle est plus forte, c’est l’exemple d’Akab ! Nous en connaissons le pouvoir, lorsque nous rappelons la venue du Fils de Dieu innocent qui s’est fait homme pour détruire le mal par son pardon. Jésus Christ est le vrai roi, mais son pouvoir est complètement différent. Son trône est la croix. Ce n’est pas un Dieu qui tue, mais au contraire, il donne la vie. En allant vers tous, en particulier vers les plus faibles, il vainc la solitude et le destin de mort auquel conduit le péché. Jésus Christ, à travers sa proximité et sa tendresse, conduit les pécheurs dans l’espace de la grâce et du pardon. Et cela est la miséricorde de Dieu.
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