Vous vous souvenez certainement du tollé médiatique qui avait accueilli la décision de l’évêque de Phoenix, Arizona, de sanctionner une religieuse qui avait en tant que responsable du bureau d’éthique de l’hôpital catholique Saint-Joseph accepté que soit pratiqué un avortement direct « pour sauver la vie de la mère », atteinte d’une hypertension pulmonaire que sa grossesse pouvait aggraver. (Dernier post sur l’affaire ici.)
Le Comité de la doctrine de la Conférence épiscopale des Etats-Unis a publié, le 24 juin dernier, une explication sur l’affaire où il prend clairement parti pour le prélat en rejetant l’affirmation de certains selon laquelle la procédure constituait un « avortement indirect » qui, par conséquent, constitue une « procédure médicale légitime ». « D’autres encore ont argué que même l’avortement direct d’un enfant à naître est parfois autorisé par la doctrine catholique », s’appuyant sur les directives éthiques et religieuses publiées par la Conférence épiscopale américaine.
Ces positions ayant reçu une certaine publicité médiatique, le comité pour la doctrine a jugé important de lever tous les doutes sur cette « matière importante » (qui nous renvoie ici, soit dit en passant, au débat qui a entouré des déclarations de cet ordre par Mgr Jacques Suaudeau dans La Nef, qui ont fait l’objet de mises au point sur lesquelles je reviendrai également par la suite).
Que faire, donc, si la santé ou même la vie d’une femme est menacée au cours de sa grossesse ? Et d’abord, comment distinguer entre avortement direct et l’action qui provoque indirectement la mort de l’enfant, ni recherchée, ni désirée ?
Cette distinction apparaît dans les n° 45 et 47 des Directives éthiques et religieuses pour les établissements de soins catholiques. ERD n° 45 : “L’avortement (c’est-à-dire, mettre fin directement et intentionnellement à une grossesse avant la viabilité, ou détruire directement et intentionnellement un fœtus viable) n’est jamais permis. Chaque procédure dont le seul effet immédiat est l’arrêt de la grossesse avant la viabilité est un avortement, qui, dans son contexte moral, comprend l’intervalle entre la conception et l’implantation de l’embryon.” L’avortement direct n’est jamais moralement licite. On ne doit jamais tuer directement un être humain innocent, quelle que soit la raison.
A l’inverse, dans certaines situations, il peut être licite d’accomplir une procédure médicale sur une femme enceinte en vue de traiter directement un problème de santé grave, et qui aurait comme effet secondaire de conduire à la mort de l’enfant qui se développe. ERD n° 47 : « Les opérations, soins, médicaments dont l’objectif direct est de traiter une condition pathologique d’une gravité proportionnelle chez une femme enceinte sont licites lorsqu’ils ne peuvent pas en toute sécurité être retardées jusqu’au moment où l’enfant sera viable, même s’ils ont pour résultat la mort de l’enfant à naître. »
On peut percevoir cette distinction dans deux scénarios où l’enfant à naître n’a pas encore atteint l’âge où il peut survivre en dehors de l’utérus. Dans le premier scénario, la femme enceinte rencontre des problèmes sur un ou plusieurs de ses organes, apparemment en raison du stress supplémentaire de la grossesse. Le médecin recommande l’avortement pour protéger la santé de la femme. Dans le deuxième scénario, la femme développe un cancer de l’utérus. Le médecin recommande une opération chirurgicale pour enlever l’utérus comme seul moyen d’empêcher la diffusion du cancer. Enlever l’utérus aboutira également à la mort de l’enfant à naître qui ne peut survivre à ce stade en dehors de l’utérus.
Le premier scénario décrit un avortement direct. L’opération a pour cible directe la vie de l’enfant à naître. C’est l’instrument chirurgical dans les mains du médecin qui cause la mort de l’enfant. Cette opération ne vise pas directement le problème de santé de la femme, par exemple, en réparant l’organe qui fonctionne mal. La chirurgie va probablement améliorer le fonctionnement de l’organe ou des organes, mais seulement de manière indirecte, en allégeant le stress général sur l’organe ou les organes, puisque la charge créée par la grossesse va être enlevée. L’avortement est le moyen par lequel l’allégement de la charge va être obtenu. Comme l’Eglise l’a dit maintes fois, l’avortement direct n’est jamais licite parce qu’une bonne fin ne peut justifier un mauvais moyen.
Le deuxième scénario décrit une situation où une procédure médicale urgente va résulter indirectement et sans intention (quoique de manière prévisible) dans la mort d’un enfant à naître. En ce cas l’opération vise directement le problème de santé de la femme, c’est-à-dire l’organe qui ne fonctionne pas bien (l’utérus cancéreux). La santé de la femme va tirer un bénéfice direct de l’opération, par l’enlèvement de l’organe cancéreux. L’opération n’a pas pour cible directe la vie de l’enfant à naître. Celui-ci ne pourra vivre longtemps après l’enlèvement de l’utérus du corps de la femme, mais la mort de l’enfant n’est que l’effet secondaire non voulu et inévitable et non point le but de l’opération.
Il n’y a aucun mal intrinsèque à pratiquer une opération pour ôter un organe qui fonctionne mal. Cela est moralement justifié lorsque la présence de l’organe est cause de problèmes pour le reste du corps. Une opération visant à mettre fin à la vie d’une personne innocente, au contraire, est intrinsèquement mauvaise. Il n’existe pas de situation où on puisse la justifier. Le pape Pie XII a résumé l’enseignement de l’Eglise en disant : « Tant qu’un homme n’est pas coupable, sa vie est intouchable, et par conséquent tout acte visant directement à la détruire est illicite, que cette destruction soit voulue comme une fin en soi ou seulement en tant que moyen en vue d’une femme, qu’il soit question de la vie au stade embryonnaire ou dans un stade de plein développement ou déjà à son stade final. »
La clarification cite ensuite Jean-Paul II qui s’exprimait de la même manière contre « la mise à mort délibérée d’un être humain innocent », même dans la circonstance très difficile d’une menace sur la vie de la mère.
Autrement dit, les évêques américains ont voulu clairement affirmer que Mgr Olmsted ne s’est pas rendu coupable d’inhumanité en disant que, même si la vie de la mère souffrant d’hypertension pulmonaire était directement menacée par sa grossesse, l’avortement direct n’était pas envisageable pour assurer sa survie.
Ils ont pris le risque d’un nouveau tollé.
Lien vers le texte des évêques sur LifeSite.
Je suis, biensûr d'accord que l'avortement “directe” est illicite.
Mes doutes sur Pie XII sont sur la licéité de ce qu'est ici appelé “avortement indirecte”, p ex hystérectomie par rapport à enlever un fibrome.
St Gianna Beretta Molla a fait un grand sacrifice. Probablement il était obligatoire, je ne crois pas que j'aurais pu conseiller l'hystérectomie (voir le wiki anglais qui est plus détaillé que le français):
Final pregnancy of St Gianna Beretta Molla
Et l'hystérectomie aurait quand même été ce qu'est ici applé un “avortement indirecte”.