Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la Divine liturgie en rite arménien à ND de Paris pour la Commémoration du centenaire du Génocide arménien de 1915, le dimanche 26 avril 2015 :
“Excellence,
Messeigneurs,
Mes révérends pères,
Mesdames, messieurs,
Chers frères, chers amis,
Chaque année la commémoration du Génocide de 1915 rassemble la communauté arménienne à travers le monde, et singulièrement à Paris dans cette cathédrale. En cette année du centenaire, je suis particulièrement heureux et fier de pouvoir vous y accueillir et m’adresser à vous par quelques mots.
S’il est des pays, des nations, dont l’identité se rattache très profondément à leur foi, l’Arménie en est certainement un des meilleurs exemples, tant son identité comme nation arménienne et son identité comme peuple chrétien sont historiquement unies et liées intimement, tant les membres de la communauté arménienne ont conscience qu’il y a entre la foi chrétienne et leur propre nationalité un lien très profond et indissoluble. Aussi, cette unité profonde entre la foi et l’identité nationale peut nous permettre de jeter un regard plus affiné sur le massacre perpétré en 1915 et dans les années qui ont suivi.
Comme tous les événements de l’histoire humaine, il peut être l’objet d’une double interprétation. On peut l’interpréter simplement dans le registre des causes et des effets de l’action politique, de la naissance d’idéologies nationalistes, ou dans le cadre du premier conflit mondial qui en était l’arrière-fond. Autrement dit, on peut l’interpréter simplement comme des analystes politiques peuvent le faire, à condition d’être un peu avertis des réalités historiques. Mais on peut aussi l’interpréter en se trouvant confronté à une question qui interroge la foi chrétienne : est-ce qu’il s’agit simplement de la naissance d’un nationalisme ? Est-ce qu’il s’agit simplement de la volonté de purification ethnique ? Ou bien est-ce qu’à travers ces éléments observables, analysables et analysés, est en train de s’accomplir quelque chose de beaucoup plus profond qui est un acte d’agression à l’égard de la foi chrétienne ? Il ne s’agit pas simplement de faire disparaître une ethnie, il s’agit d’exterminer des croyants, et des croyants qui ont une foi particulière.
Si nous essayons de comprendre cet événement, nous pouvons le voir simplement dans la lumière de la triste succession des persécutions qui ont marqué l’histoire des chrétiens à travers les siècles, à travers le monde, et qui continue de la marquer. Mais nous pouvons aussi essayer de discerner si cette persécution nous permet de découvrir un message plus ajusté à notre condition présente. En effet, si nous réfléchissons à ce qui s’est passé dans la première période de la vie de l’Église telle que le Livre des Actes des Apôtres nous la rapporte, nous voyons bien comment les événements entraînés par les responsables publics et militaires qui agissaient dans la province de Palestine, avaient des effets douloureux pour les disciples de Jésus. Ils furent arrêtés, emprisonnés, et finalement dispersés à travers les pays voisins. Nous pouvons voir dans cette première persécution, si l’on peut dire, une sorte de prototype de ce qui se passera plus tard. Ceux qui voulaient éradiquer la présence chrétienne de Jérusalem et de ses alentours ont réussi à faire partir les chrétiens. Cependant, le résultat final n’a pas été l’extinction de la foi chrétienne, mais au contraire sa propagation à travers des populations et des provinces qui n’en n’auraient jamais eu connaissance. De ce point de vue, le récit de la visite de Pierre chez le centurion Corneille nous aide à comprendre comment la lecture de la foi révèle une signification particulière. C’est poussé par Dieu que Pierre va chez Corneille. C’est appelé par Dieu que Corneille accueille Pierre. Et dans cette relation entre Pierre et Corneille, la tradition chrétienne voit clairement une des étapes par lesquelles la foi chrétienne passe aux nations païennes.
Le martyre qu’ont subi les Arméniens au cours du Génocide de 1915 a eu un effet immédiat, visible et mesurable qui était effectivement l’extermination d’un million et demi de personnes. Aux mesures de l’histoire humaine, cela ne peut être constaté que comme une sorte de catastrophe inexplicable et impossible à compenser. Mais qu’en est-il si l’on se place sous le regard de la foi ? Cette épreuve extraordinaire du peuple Arménien a aussi une autre signification. Elle a une signification de témoignage, car ils ont préféré rester fidèles à leur foi plutôt que de la rejeter ou de la renier. Elle a une signification de propagation, car à partir de cet événement, un nombre important d’Arméniens se sont répandus à travers l’Europe et le monde, où ils ont été les porteurs et les témoins d’une culture originale, spécifique et d’une foi indissociable de cette culture.
On peut alors se référer à la parole de Dieu, comme Jésus le dit dans l’évangile de saint Jean : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il ne porte pas de fruit ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24). C’est à la lumière de cette parole que Jésus éclaire les événements qui vont marquer sa propre vie. C’est à la lumière de cette parole qu’il veut éclairer ce qui va marquer la vie de ses disciples. C’est à la lumière de cette parole que nous pouvons regarder ce qui se passe dans le temps du XXe siècle qui a été marqué par tant de massacres et d’horreurs. Les événements récents qui marquent l’histoire des pays du Moyen-Orient, la chasse aux chrétiens enclenchée par DAECH pour extirper le Christianisme de cette région du monde, nous incitent à regarder avec beaucoup de ferveur celles et ceux qui ont précédé les victimes d’aujourd’hui, celles et ceux qui ont été au début du XXe siècle les premiers d’une longue série de martyrs dont le sang marquera non seulement les déserts du Moyen-Orient mais encore les terres de l’Europe Orientale et de l’Asie.
Frères et sœurs, la foi nous invite à faire mémoire de ce sacrifice et en même temps à rendre grâce à Dieu, car à travers l’offrande que nos frères et nos sœurs ont fait de leur vie, c’est une fécondité mystérieuse qui est lancée à travers l’histoire du monde. Amen.”
La “fécondité mystérieuse” des crimes de DAECH me laisse perplexe. D’une manière générale, je crois que, pour se réjouir d’une persécution, il vaut mieux attendre qu’elle soit déjà passée. Tandis qu’il est encore possible de l’arrêter, c’est sur cet objectif qu’il faut se concentrer.
Mais c’est un très bon point d’avoir dénoncé la christianophobie du massacre des Arméniens. Par ricochet, c’est un beau coup porté contre l’islomophilie des dirigeants politiques français, qui leur est inspirée par un multi-culturalisme laïciste et anti-chrétien. Une telle déclaration ne va pas faire avancer l’entrée de la Turquie dans l’UE, et ça, c’est très bon. Mais il ne faudrait pas s’imaginer que la peur de favoriser l’expansion de la chrétienté en persécutant les Chrétiens puisse jamais arriver à effleurer l’esprit des théoriciens du totalitarisme islamique. Elle en est aussi éloignée que, pour nous, celle de favoriser l’expansion de l’Islam en combattant DAECH. Pour faire réfléchir ces gens-là, il n’y a qu’un seul argument : l’écrasement militaire.
Merci, Mgr Ving-Trois, pour ces belles paroles, inspirées par la foi;
Je me sens totalement en accord avec le cardinal-archevêque de Paris dans cette comparaison entre les persécutions des Arméniens il y a un siècle et les persécutions des chrétiens d’Orient par l’Etat islamique. Le parallèle suppose que la gravité est la même et qu’il s’agit d’un véritable génocide culturel et religieux. On peut donc supposer que le carninal Vingt-Trois veut, par cette déclaration, inciter les plus hautes autorités de l’Etat, qui ont commémoré le centenaire du génocide arménien et condamné celui-ci avec fermeté (François Hollande s’est exprimé sans ambiguïté), à faire tout le nécessaire pour sauver les chrétiens d’Orient du massacre et à ne pas se contenter de belles et vaines paroles. Il s’agit bien d’un acte de “purification ethnique” et “d’agression de la foi chrétienne”, il n’y a pas de doute à avoir là-dessus.
Les propos de Mgr Vingt-Trois sont cependant un peu risqués. Oui, certes, ces événements relus à la lumière de la foi et de l’histoire de l’Eglise, peuvent être interprétés comme un signe de témoignage, celui du martyre, et un signe de propagation de la foi chrétienne, par la dissémination forcée des chrétiens de ces régions. Cette interprétation me met néanmoins mal à l’aise : elle suppose que de tout mal peut toujours sortir quelque “bien” ; mais qu’en penseront les chrétiens d’Orient dont les proches ont été massacrés et torturés ?
Par ailleurs, cette lecture des événements me paraît beaucoup trop optimiste : je ne crois vraiment pas que ces persécutions profiteront (du moins dans le court terme) à l’Eglise et au christianisme dans ces régions du Proche-Orient et dans les pays musulmans. L’islam est en position de force, le christianisme et le catholicisme sont en position de faiblesse. L’Eglise s’engage même, en Europe, sur une voie de déclin. Le sang versé par tous ces innocents risque de ne pas porter de fruits, s’il est permis d’user d’une métaphore cruelle. Il se peut, et c’est là ce qui est le plus insupportable, qu’ils soient morts pour rien et que le christianisme implanté depuis les origines dans ces régions en disparaisse définitivement. Autant que je sache (l’Espagne et la Sicile mises à part), partout où l’islam a chassé, persécuté et détruit d’autres religions et civilisations, celles-ci ont définitivement disparues : il n’y a pas eu de “revanche” de l’Histoire… L’effet est radical et irréversible.
Par la Volonté de Dieu et l’action de l’Esprit Saint, gardons confiance et espoir en osant dénoncer les crimes de notre humanité + + +
La disparition des chrétiens d’Afrique du Nord au 7,8e siècle, qui ne s’est pas faite sans mal quoiqu’on en dise ,n’a pas porté de fruits. Il faut sans doute des conditions pour cela: des rescapés qui emmènent au loin le témoignage des chrétiens disparus. Ce fut le cas pour le génocide arménien
Eh bien! pour une fois il dit quelque chose d’intelligent!
Vu la “fécondité mystérieuse” du génocide engagé contre de chrétiens actuellement, est-ce à dire qu’il convient de se croiser les bras devant toute cette barbarie?
Merci de nous donner ce texte dans son intégralité mais il faudrait rectifier la phrase d’introduction. Il ne s’agit pas de la divine liturgie en rite arménien mais du saint sacrifice en rite arménien. L’expression “divine liturgie” est byzantine, or les Arméniens ne sont pas Byzantins. L’expression utilsée par les Arméniens pour désigner la messe n’est pas “divine liturgie” mais “Sourp Badarak”, c’est-à-dire “saint sacrifice”. En matière d’Orient, c’est une lourde erreur de tout ramener à Byzance. Et puisqu’on commémore cette année le génocide de 1915, évitons d’effacer encore une fois l’identité arménienne en la ramenant à ce qu’elle n’est pas. Pour faire échec au génocide de 1915, laissons aux Arméniens leur identité. Merci.