Il y avait plus de 200 personnes pour écouter le cardinal Sarah, à l’église Saint-Eugène, dont la conférence a surtout été l’expression d’un émouvant témoignage personnel. Dans la cadre de la présentation de son livre d’entretiens avec Nicolas Diat, Dieu ou rien (Fayard, 2015), le cardinal a parlé de sa foi et de son parcours, de la place de Dieu dans la vie du chrétien, de la liturgie et du mystère, de l’Église persécutée, mais aussi de la nécessaire réconciliation entre les catholiques… Ce compte-rendu ne prétend pas être exhaustif, mais essaye de restituer la tonalité de cette conférence intéressante.
Le cardinal a d’abord rappelé sa jeunesse de chrétien en Guinée. Il a ainsi parlé avec attachement des missionnaires, de ces hommes qui lui ont transmis la foi. Il a souligné la régularité avec laquelle les spiritains fréquentaient Dieu (vie d’oraison, importance du bréviaire, etc.). “Dieu était vraiment au cœur de leur vie”. C’est grâce à eux que le cardinal a fait part de sa vocation sacerdotale. On sait que les spiritains jouèrent un grand rôle en Afrique; peut-être s’agit-il d’un clin d’œil du cardinal à d’éminentes figures de cette congrégation missionnaire…
Le cardinal Sarah est allé au séminaire en Côte d’Ivoire, puis s’est rendu en France et eu Sénégal. Il a été ordonné prêtre le 20 juillet 1969. Il a été nommé évêque de Conakry par le pape Paul VI, ce qui fut l’occasion d’un long bras de fer entre le Saint-Siège et le gouvernement guinéen (le gouvernement étant communiste, et on se souviendra des persécutions de Sékou Touré). Les autorités guinéennes finirent par céder et Jean-Paul II confirma Mgr Sarah dans sa fonction épiscopale. Il a été secrétaire de la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples, ce qui lui permit de voir évoluer l’Église, dans différents lieux et contextes.
Le cardinal a rappelé l’importance des persécutions : “c’est quand l’église est persécutée que l’église vit son printemps.” Il a rappelé ces déportations, ces persécutions qui apparaissent déjà dans l’Ancien testament (déportation ordonnée par Nabuchodonosor). “C’est quand l’Église souffre qu’elle est belle.” Mais le cardinal constate que Dieu n’a plus sa place dans nos sociétés. Comme l’exprimait Nietzsche, Dieu est mort.
Sur Vatican II, le cardinal a voulu souligner une perspective théocentrique. Peut-être est-ce une manière d’élever le débat sur le concile en prenant de la hauteur. De ce constat que Dieu était de plus en plus éloigné de la société, il fallait recoudre les relations entre Dieu et l’homme. Le premier texte, Sacrosanctum concilium, est celui de la sainte liturgie: pour le cardinal Sarah, qui dit liturgie, dit adoration et qui dit adoration, dit Dieu. L’homme est grand quand il est à genoux. Il a ensuite souligné la constitution dogmatique Lumen gentium, qui parle de l’Église. L’Église n’a de constance que lorsqu’elle est liée à Dieu. L’Église c’est comme la lune: société sans lumière propre, elle est là pour refléter Dieu. La clarté du Christ doit se refléter sur le visage de l’Église. Le monde nous demande de montrer nous Jésus ! Je suis crucifié avec le Christ c’est le Christ qui vit en moi. Cet amour doit être visible. Comment nous nous aimons ? Nous portons mal cet amour. “Sans moi vous ne pourrez rien faire”, rappelle le cardinal. Le travail important est d’accueillir le Christ. Mais parler de Dieu n’est pas tenir un discours théorique: Dieu, c’est aussi Celui avec qui je dialogue: il me parle, je lui parle.
Le cardinal a rappelé les difficultés de l’Occident et de la réalité du péché: “c’est nous qui décidons qu’est ce qui est mal, qu’est ce qui est bien. Sans Dieu, l’homme ne sait qui il est, ni où il va”. De même, il a souligné que “nous voyons de plus en plus un Occident cramponne dans ses succès technologiques et scientifiques”.
Il a souligné le rôle de la prière, “signe de la grandeur de l’homme”. Nous devons soigner la prière . Il ne s’agit plus de parler, mais de crier: Abba père ! La prière, c’est laisser Dieu agir en nous. Elle est impossible lorsque l’homme est habité par la haine. Le cardinal a parlé de l’importance de la Charité, et de l’amour du prochain. Nous devons savoir nous réconcilier quand nous prions devant Dieu; sans être rempli de cet amour, c’est un blasphème. À cet égard, il a parlé de ce travail de réconciliation entre catholiques. Tous les papes ont essayé de travailler à cette réconciliation, notamment le pape Benoit XVI. Le cardinal a rendu un intéressant hommage au pape émérite, qui, aujourd’hui, montre le primat de Dieu, dans une sorte de vie monacale. (Le cardinal a également cité le témoignage d’un évêque africain, entré à la Trappe : “j’ai parlé de Dieu, mais maintenant je vais parler avec Dieu”.)
Sur les questions liturgiques, parlant du contexte actuel, le cardinal a reconnu que nous sommes divisés, et même opposés dans la liturgie. Il faut beaucoup de conversion à l’amour. Propos important: il faut continuer le travail de Benoit XVI; il a indiqué qu’il travaillerait dans ce sens. Il faut permettre aux chretiens d’entrer dans les mystères qu’il célèbrent, dans l’amour qui va jusqu’au bout. La liturgie, c’est aimer Dieu, le laisser nous aimer. “Dieu ou rien” : le cardinal veut donner le témoignage d’un simple africain qui a rencontré Dieu. Rappelant à nouveau l’exemple des missionnaires, il a relaté ces missionnaires français qui mourraient au bout de 3 ans… Le sang des missionnaires a ainsi créé cette Église d’Afrique. La question liturgique est étroitement liée à la question sur Dieu: Si Dieu n’est plus le Sauveur du monde, quelle liturgie nous pouvons organiser ? Il faut donc une liturgie qui nous porte vers Dieu. Liturgie, prière, vie ecclésiale: tout va ensemble.
Concernant l’Église africaine, le cardinal Sarah a rappelé ces propos de Paul VI pour qui la nouvelle patrie du Christ, c’est l’Afrique. L’Afrique s’ouvre à l’Évangile: en 1900, il y avait 2 millions de catholique; en 2015, il y 187 millions de catholiques. C’est l’Afrique qui a sauvé le petit Jésus fuyant les persécutions avec la Sainte famille, un autre africain, Simon de Cyrène, a aidé Jésus à porter sa croix.
Le cardinal a souligné la nécessité d’une vie chrétienne et incarnée: on vous reconnaîtra, si vous êtes mes disciples en vous aimant les uns les autres. Aujourd’hui, l’Église semble devenue tellement livresque, académique. Parlant ouvertement de certains débats, comme celui de l’accès des divorcés dits remariés à la communion eucharistique, le cardinal Sarah n’a pas hésité à affirmer: “on veut rabaisser l’évangile au minimum”. Il a souligné le témoignage de ces chrétiens parfois persécutés, qui vivent l’Évangile. Ainsi, au Moyen-orient, il a témoigné de la proximité du Saint-père aux chrétiens durement éprouvés. De même, il y au beaucoup de chrétiens au Nigeria qui vont à la messe, mais qui ne savent pas s’ils vont revenir vivants (allusion aux persécutions du groupe Boko Haram)… Il a parlé de ce “caillou” dans la vie des chrétiens, “caillou”, car il semble poser problème: ce “caillou”, c’est la prière.
Le cardinal a répondu à un certain nombre de questions. Il parfois semblé évasif, mais on peut rappeler que certaines questions semblaient trop terre-à-terre, et peut-être un peu trop militantes. On peut regretter que la vie de foi n’ait pas davantage été abordée par les auditeurs; la crise liturgique est un aspect qui aurait pu être placé dans un contexte plus général: celui de la sécularisation des sociétés et de la modernité triomphante…
Interrogé sur le rôle du pèlerinage, le cardinal a rappelé que Dieu veut que nous témoignions par le pèlerinage. Dans mon pays, il existe un pèlerinage de 150 kilomètres. Ce pèlerinage est éprouvant, mais veut manifester que l’effort physique exprime l’effort intérieur de conversion. Le pèlerinage est aussi un lieu de communion: on ne peut pas avoir la foi tout seul. Le pèlerinage est ainsi un lieu où l’on se réconforte mutuellement, où l’on se soutient mutuellement. Il faut encourager les pèlerinages pour rencontrer Dieu face à face. Nous sommes missionnaires. Il faut tout faire pour voir Dieu: ce que nous avons entendu contemplé nous l’annonçons. On ne peut être missionnaires sans avoir rencontré le Christ. Si nous n’avons pas rencontré le Christ, nous ne pouvons pas persévérer. Pèlerinage est important pour rencontrer Dieu face à face.
Une autre question, plus pointue, portait sur le fait que l’on soit passé, concernant la forme extraordinaire du rite romain, de l’interdiction à la décision de Benoît XVI. Si le cardinal n’a pas directement répondu à cette question sur l’évolution du statut officiel de la messe tridentine (elle semblait pointue, et trop liée au contexte de persécutions des années 1970 et 1980…), le cardinal a souligné le contexte de divisions qui a poussé le pape émérite à intervenir. Il a bien affirmé que l’on ne peut supprimer le rite de Saint-Pie V, rite qui a formé tant de saints. Le cardinal a pu faire un intéressant parallèle dans l’accueil de la diversité liturgique, concernant l’usage anglican de certaines communautés catholiques. Ainsi, il a rappelé la finalisation du rite romain pour les anglo-catholiques revenus dans le giron romain: il y a tout un patrimoine spirituel à prendre en compte.
Une question, relative aux chrétiens qui partaient former des unités combattantes en Irak ou en Syrie, a été posée. Le cardinal a préféré prendre de la hauteur en soulignant que la prière, c’est l’arme du chrétien. Il a avoué une certaine réticence à soutenir l’idée d’une armée combattante. (En revanche, la question de la légitime défense ou de la nécessité de désarmer l’agresseur, clairement abordée par un pape comme Saint-Jean-Paul II, aurait peut-être dû être mentionnée; le magistère récent s’est penché sur la question et le pape François a clairement estimé que l’on pouvait intervenir dans le cadre des exactions de l’État islamique en Irak.)
Sur la question d’aller vers les périphéries, le cardinal a rappelé la nécessité du “centre”. Ce “centre”, c’est le Christ, sa connaissance. Avant d’envoyer ses apôtres en mission, le Christ les a préparés à L’aimer. “Le centre de l’humanité, c’est la croix qui est le cœur de l’amour de Dieu”.
Une conférence intéressante: même si certains ont regretté que certains points n’aient pas davantage été développés, il faut bien reconnaître que c’est avec hauteur et foi que le cardinal aborde la vie de l’Eglise. Deo gratias ! Merci à la paroisse Saint-Eugène-Sainte-Cécile pour la qualité de son accueil.
Une des questions “un peu trop militante”, selon vous, à laquelle le cardinal n’a pas répondu :
“Eminence, vous avez dit que la catholicisme occidental avait rabaissé le message de l’Evangile. Ne peut-on pas dire aussi que ce catholicisme a rabaissé le message de la liturgie, disons depuis 40 ans”
Il ne s’agit pas de cette question, mais de questions plus terre à terre, comme celle sur l’indult de 1984 ou celle sur ces gens qui aidaient militairement les chrétiens d’Irak ou de Syrie. Comme si le cardinal Sarah allait répondre: “Benoît XVI a contredit Paul VI”, ce que Benoît XVI s’est par ailleurs gardé de faire. Le cardinal Sarah a quand même rappelé son opposition à l’interdiction du missel romain traditionnel.
Oui, Mgr Sarah a raison : l’Afrique sauvera l’Église !
2 millions de Chrétiens en Afrique en 1900 et 187 millions en 2000.
En simplifiant, pour la France (et l’Europe ?), les chiffres sont inversés : 35 millions en 1900, 0,35 millions en 2000. Et encore ces 350.000 chrétiens recensés par nos pasteurs ne vont pas à la messe tous les dimanches …
En 1900, 30 % des missionnaires dans le monde étaient français ; en 2015, 10% des prêtres de France sont des Africains …
Notre Pape émérite fut un exemple de charité et d’humilité.
Peut-on classer la destruction des Franciscains de l’Immaculée dans la catégorie des actes de Charité ?
Prions pour notre Pape, nos évêques, nos prêtres, nos religieux et nos religieuses !