Le cardinal Antonio Rouco Varela, archevêque de Madrid et président de la Conférence des évêques d’Espagne, a fait savoir son opposition à la « loi de santé sexuelle et reproductive et d’interruption volontaire de la grossesse » en indiquant qu’il espérait – modestement – que « certains de ses aspects soient déclarés inconstitutionnels ».
Mais il a ajouté ceci :
« Un gouvernant doit appliquer la loi et s’il ne le fait pas, il devra renoncer à se charge. »
Le cardinal faisait allusion aux réticences de certains présidents de régions autonomes qui ont fait connaître leur volonté de ne pas appliquer la loi qui institue un droit d’avortement pendant les quatorze premières semaines de la grossesse.
« C’est la règle générale, mais ensuite il faut l’appliquer à des situations concrètes parce qu’un gouvernant a l’obligation d’exécuter la loi, il n’est pas au-dessus de la loi ; (…) autre chose est de savoir ce qu’il fait par rapport à sa conscience devant une loi qui est injuste, (…) un problème qu’il faudrait résoudre au cas par cas. »
Le cardinal se déclare « confiant » par rapport à la décision du Tribunal constitutionnel – qui a pourtant déjà refusé de considérer que sa saisine devait suspendre l’application de la loi comme cela lui était demandé au nom des droits de ceux qui sont tués en attendant sa décision : favorable, elle ne leur servirait plus à rien. Mgr Rouco Varela est « confiant » parce qu’en évaluant la précédente loi d’avortement qui dépénalisait le crime à certaines conditions pendant les 22 premières semaines, le Tribunal constitutionnel « garantissait le droit à la vie pour tous ». C’était en 1984 : pour le cardinal, il n’y a pas de raison que ce « bien constitutionnellement protégé de l’embryon » puisse être nié au point que l’avortement soit de plein droit pendant 14 semaines.
Il n’empêche : pour l’ancienne loi, le Tribunal avait abouti à un jugement de constitutionnalité au motif qu’elle mettait en balance le droit constitutionnel de l’embryon et celui, en certaines circonstances celui d’un « bien supérieur ».
On retrouve dans les actuelles déclarations du cardinal, à mon sens, une part de ce légalisme et de ce positivisme juridique qui imposent à nos sociétés des lois iniques qui en réalité ne lient personne. Il n’est pas question de mettre l’individu – fût-il le gouverneur d’une province – au-dessus de la loi, mais de dire qu’une loi qui autorise et organise le massacre d’innocents n’est pas acceptable au regard d’une loi qui nous dépasse tous et nous oblige, chacun.
Le cardinal pose la question en termes de conscience individuelle, en invitant discrètement les gouvernants – au cas par cas – à avoir éventuellement le courage de démissionner de leur charge. Cela ressemble à un langage de défaite, un langage de vaincu. Pourquoi exiger le respect d’une loi qui tue ? A moins qu’il ne s’agisse déjà d’une reconnaissance qu’en dictature (du relativisme !) il n’y a plus aucune solution à l’intérieur du système ?
Pout une lecture plus roborative, je préfère l’un des derniers messages de La Cigüeña de la Torre, blog catholique espagnol de Francisco José Fernandez de la Cigoña (que pense-t-il, au fait, des déclarations de Rouco Varela ?).
Il y dénonce la « loi inique de l’avortement » qui succède à une loi tout aussi unique qui a déjà entraîné vers la mort un million de tout-petits. Et aussi cet « engagement des avorteurs qui prostitue le plus éminent des amours humains, l’amour d’une mère, jusqu’à en faire l’assassin de son propre enfant », qui « nous entraîne vers des abîmes d’abjection qu’il semblait difficile d’imaginer ». « Puisqu’aussi bien la loi a sacralisé ces abîmes. Comme si elle pouvait transformer le mal en bien par le simple fait d’une déclaration »… Il note que certains gouvernements autonomes « récusent des aspects particulièrement scandaleux de cette loi. Mais n’importe quel avortement est un scandale. »
Aujourd’hui les mineurs en Espagne ne peuvent acheter un paquet de cigarettes ou commander un verre d’alcool dans un bar, mais les jeunes filles peuvent se rendre à la clinique pour se faire avorter, « même sans que leurs parents le sachent » :
« On ne peut justifier que si moi, je souffre d’un mal de dents, et que je me rends à la pharmacie pour demander un antibiotique, on me le refuse si je n’ai pas d’ordonnance, et qu’ils donnent à ma petite-fille de quatorze ans la pilule abortive à sa simple demande. Il est absurde que cette même petite-fille ait besoin d’une autorisation parentale pour un piercing ou un tatouage, alors qu’on ne lui en réclame pas pour la pilule du lendemain ou pour lui faire un avortement.
« Mais toute cette accumulation de monstruosités n’est que le pire aspect de quelque chose qui est en soit très mauvais même sans ces éléments aggravants. Tuer son propre enfant dans un sanctuaire qui en théorie était le plus sûr pour pour sa vie, par la mère elle-même, telle est la malignité suprême de l’avortement ».