Le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, parraine la neuvaine de prière pour la France, qui démarre le 15 novembre 2014, durant lesquels les Français vont invoquer la Sainte Vierge afin de confier leur pays à son intercession. Il déclare à Famille chrétienne :
“Pourquoi est-il important de prier pour la France ? La situation est-elle particulièrement grave ?
N’inversons pas les choses : la prière n’est pas un dernier recours, mais le premier devoir du chrétien. Vous connaissez le passage où Jésus « dit une parabole pour montrer à ses disciples qu’il faut prier sans cesse et sans jamais se décourager » (Luc 18, 1).
Dans les demandes que nous adressons à Dieu, il y a d’abord ce qui est de première nécessité : « le pain de chaque jour », puis l’essentiel (un toit, la santé, le travail…), puis ce à quoi nous sommes le plus attachés (la famille, notre pays, la paix dans le monde…). Nous ne prions pas parce que la situation serait catastrophique, mais par amour pour cette terre, pour cette culture dont nous avons tant reçu.
La foi chrétienne y est présente depuis si longtemps : la France a donné tant de saints, a envoyé tant de missionnaires dans le monde… C’est un pays que de nombreux étrangers admirent. Jean-Paul II au Bourget avait parlé de « la France éducatrice des peuples ».
À la synagogue, les Juifs, eux, prient toujours pour la France et ceux qui la gouvernent. Nous, nous le faisons au moins dans la grande prière universelle du vendredi saint : « Prions pour les chefs d’État… » C’est une tradition très ancienne, et enracinée dans la Bible.
Mais il est vrai que cette prière redouble en période de guerre, de violence ou, aujourd’hui, de grande fragilité. Nous pensons aux jeunes générations ou à ceux qui viendront demain, et nous demandons à Dieu que notre pays sache leur donner autant qu’à nous, ou davantage.
Revenons à l’urgence de la situation. La comparaison avec les apparitions de L’Île-Bouchard, en 1947, vous semble-t-elle pertinente ?
Depuis 1947, les circonstances ont changé, certes, mais la réaction spirituelle n’est peut-être pas si différente. À l’époque, le pays était bloqué par les communistes. Aujourd’hui, nous sommes face au bouleversement introduit par des lois dites « sociétales ». Nous avons été heureusement surpris du ressort spirituel de la France.
Quand la loi autorisant le mariage entre deux personnes de même sexe s’est annoncée en Espagne, nous avons vu un million de personnes rassemblées pour une messe sur une place de Madrid. Nous savions bien que cela n’aurait pas lieu à Paris. Mais nous espérions que ce ne serait pas comme au Portugal, au Canada ou en Belgique… où il n’y a rien eu !
Dans ma prière, je demandais à Dieu que quelque chose se passe, mais je ne savais pas quoi. Et c’est arrivé !
Ce sursaut est donc d’ordre spirituel ?
Oui, et ce fut, je crois, un sursaut typiquement français. Nous avions beaucoup travaillé sur le plan intellectuel, rassemblant juristes et pédagogues, politiques et médecins, représentants des différentes religions… Le nonce me disait que ça n’avait rien à voir avec ce qu’il avait vu quelques années plus tôt, au Canada.
Et tout à coup ont surgi des manifestations gigantesques. On a fait semblant d’ignorer leur impact, mais ce fut une surprise pour tous, pour nous comme pour beaucoup d’autres pays qui regardent la France. Au conclave de mars 2013, les cardinaux de Boston, Munich ou Madrid, me demandaient : « Mais que vous est-il arrivé, en France ? » Ils avaient sans doute l’image d’un pays spirituellement assoupi… Tout le monde alors a pris conscience qu’il y avait, en France, un ressort incroyable !
Même si la loi Taubira est passée, tout n’est pas perdu pour autant. D’ailleurs, le Seigneur ne nous a pas dit que nous gagnerions ; il nous a simplement laissé comme dernière consigne : « Vous serez mes témoins » (Ac 1, 8). Nous avons donné un témoignage, et le message a été bien compris : « Il ne faut pas cette loi pour la France. Vous en avez le pouvoir, mais vous n’en avez pas le droit. C’est un mensonge dont les conséquences seront graves ». C’est le signe que ce pays n’est pas si endormi que cela. Spirituellement, il est bien vivant. Plus qu’on ne l’imaginait !
Est-ce véritablement un témoignage chrétien ? La Manif pour tous se dit aconfessionnelle…
Tout le monde sait que les catholiques étaient la cheville ouvrière de ce mouvement. Mais il a également drainé – et cela aussi était inattendu – des athées, des musulmans. Les Juifs aussi ont clairement dit leur désaccord. C’est quelque chose qui venait du fond de la France, pays qui est très varié aujourd’hui, mais dont le fond culturel ne renie pas ses racines chrétiennes, présentes et visibles dans son paysage, avec ses cathédrales et ses églises au cœur de ses villes et de ses villages.
L’Église, toujours brocardée, reste regardée et, en un certain sens, respectée, qu’elle agisse pour sauver le mariage et la famille ou qu’elle s’occupe des Roms, des SDF et, intensément depuis l’été, des chrétiens d’Orient. Les gens voient la cohérence de son témoignage et de ses engagements.
Est-ce un simple sursaut, ou croyez-vous à la renaissance spirituelle de la France, comme l’ont prédit des papes et des mystiques ?
Ce que je sais, c’est que Dieu est Dieu. Il nous a tellement aimés qu’il nous a envoyé son Fils, et Jésus nous a demandé d’être ses témoins. Certes, comme Pierre le soir du jeudi saint, nous l’avons souvent trahi, mais on ne peut pas dire que la France manque toujours de courage. Durant ces événements, je pensais aux belles pages de Péguy sur Saint Louis et le courage des Français.
La France a-t-elle une vocation surnaturelle particulière ?
La France a de très belles figures de proue : sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint Vincent de Paul, saint François de Sales, du roi de France jusqu’au plus petit, comme sainte Germaine de Pibrac : nous avons tout ! C’est notre patrimoine spirituel.
Prenez les Veilleurs ; ils étaient là, devant nos palais de justice, interrogeant la France : « Es-tu sûre que ta justice est juste ? » C’est une bonne question… Beaucoup d‘entre eux étaient croyants et leur interrogation était une prière, il n’y a pas de doute là dessus.
Faut-il prier pour les dirigeants qui nous apparaissent comme « pas très catholiques » ?
Évidemment ! Il faut prier deux fois plus pour ceux que l’on aime moins, et pour ceux qui s’égarent ou qui abusent de leur pouvoir…
Prier pour la France, est-ce être réactionnaire ?
Image d’Épinal… ou question de journaliste ! Être chrétien, c’est imiter le Christ qui priait chaque jour : « Le matin, bien avant le jour, il sortait, il allait dans un endroit désert et là, il priait » (Mc 1, 35).
Faut-il se décourager maintenant que la loi Taubira est passée ? Certainement pas ! Notre mission continue. Je ne vais pas m’arrêter d’évangéliser ni de célébrer la messe. Il faut arrêter de penser en termes de stratégie. Jésus ne nous assure pas la victoire. Aux yeux des hommes, sa vie s’est terminée par un échec… Il nous demande de témoigner de la vérité avec amour. Nous savons bien qu’au dernier jour, nous serons jugés sur l’amour ; c’est la seule chose qui compte et qui demeure.
Lors d’une session de jeunes engagés dans les manifestations, on m’a demandé de leur proposer un examen de conscience. Et je l’ai fait à partir des Béatitudes. Je leur ai dit : « Merci, bravo, mais avez-vous été des doux, des cœurs purs, des miséricordieux… ? » Dans tous les engagements extérieurs, il ne faut pas perdre de vue, comme le dit saint Augustin, que le combat est d’abord intérieur.
Quelle est votre prière pour la France ?
D’abord, que tout le monde soit respecté et se sache aimé. Ensuite, je pense à tous ceux qui souffrent. Des moines chrétiens, mais aussi des musulmans fervents, se lèvent chaque nuit pour confier à Dieu tous ceux qui sont dans les ténèbres (prison, désespoir, maladie, situations de violence, chômage…). En ce qui concerne la loi autorisant le mariage de deux personnes du même sexe, je ne doute pas que la vérité sera reconnue, et qu’un jour ou l’autre, elle finira par être abolie. Car c’est un mensonge qui en entraîne d’autres, comme de faire croire qu’un enfant peut avoir deux papas ou deux mamans ! Cela s’appelle même un mensonge d’État.
La parole que nous avons à dire n’est pas un « principe », un couperet, mais c’est un témoignage, une parole de vie. Saurons-nous la dire dans la charité ? Je dois dire que les débats de ces dernières années m’ont souvent amené à parler avec des personnes homosexuelles et à avoir des témoignages directs de violences ou d’humiliations qu’elles ont subies. La Bible nous parle souvent de la difficile rencontre entre l’amour et la vérité. C’est alors que la justice et la paix adviennent !
Ma prière est donc que la France reste humble, fidèle, énergique, obéissante à Dieu, et à la grâce qu’elle a reçue. Nous l’avons vue à l’œuvre, alors qu’elle était oubliée.”
“la difficile rencontre entre l’amour et la vérité” : tu m’étonnes !
Magnifique témoignage et analyse de Mgr Barbarin
“La Bible nous parle souvent de la difficile rencontre entre l’amour et la vérité. C’est alors que la justice et la paix adviennent !” : Magnifique Mgr !!! Prions pour que l’Esprit Saint nous conduise à l’amour sans laisser de côté la Vérité et à la Vérité sans délaisser l’amour….
C’est tout de même réconfortant de lire un évêque qui parle clair et net, et en même temps qui nous appelle à l’humilité et à la douceur. Ferme mais doux, pas facile… mais nécessaire en effet pour être respectés, donc entendus.