C’était le 4 octobre à Evron, nouveau séminaire de la communauté sacerdotale, désormais installée dans le diocèse de Laval. Voici l’homélie de Mgr Scherrer :
“C’est avec beaucoup de joie que nous entourons ce matin nos cinq frères qui, par le don de l’Esprit Saint signifié par l’imposition des mains de l’évêque et la prière consécratoire, vont être mis à part et rendus disponibles pour servir le Peuple de Dieu dans la triple diaconie de la Liturgie, de la Parole et de la Charité. Nous rendons grâce avec eux pour les chemins si divers par lesquels le Seigneur est venu les rejoindre dans leur vie et a touché leur cœur. Nous rendons grâce avec leurs parents, leurs familles, leurs amis qui leur ont offert un soutien dans leur cheminement respectif. Être diacre, faut-il le redire, cela signifie être configuré au Christ-Serviteur, Lui qui «n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude». La diaconie de l’Eglise, c’est la diaconie du Christ qui se tient au milieu de nous comme celui qui sert. Pour cette raison, il n’est pas anodin que nous célébrions l’engagement de nos frères au jour où nous fêtons saint François d’Assise. Nous savons en effet que saint François fut diacre et qu’il le resta jusqu’à la fin de sa vie. Par humilité, il avait renoncé à la prêtrise. C’est peut-être une première leçon à recevoir de lui. C’est vrai que lorsqu’on se prépare à devenir prêtre, on peut à ce point se «focaliser», si j’ose dire, sur le sacerdoce que la tentation pourrait naître de reléguer au second plan l’étape du diaconat en estimant un peu trop vite que cette étape ne serait que transitoire. Nous savons en réalité que la diaconie, parce qu’elle qualifie très profondément l’être sauveur du Christ, est par voie de conséquence une dimension essentielle du Mystère de l’Église, une dimension intérieure au christianisme lui-même : elle exprime la nature même de l’Eglise dans son rapport au monde, un rapport fondé sur le service et non sur le pouvoir. Aussi – et je le redis à nos cinq frères ici présents – , la grâce diaconale demeure toujours présente et active dans les prêtres, comme d’ailleurs dans les évêques également, qui ne l’ont point perdue et ne la perdront jamais.
Il est heureux, en ce sens, que l’un d’entre vous, Bruno, qui, par un appel personnel et singulier, ne se destine pas à la prêtrise mais souhaite rester diacre, puisse vous rappeler concrètement à la permanence de ce don que le Christ vous fait par son Église. Diacres, vous le devenez aujourd’hui, diacres vous le resterez pour la vie entière quand bien même votre appel spécifique était de servir l’Église comme prêtres au sein de la communauté saint Martin. En cette circonstance singulière, la liturgie nous fait réentendre la sublime prière de louange adressée par Jésus à son Père dans l’évangile de saint Matthieu, une prière que certains exégètes ont appelé le «logion johannique» en raison de son affinité particulière avec le Quatrième évangile. Cette courte péricope nous fait remonter jusqu’au point-source de la jubilation de Jésus. Elle nous fait percevoir à quel point le cœur de Jésus bat au rythme de l’amour du Père pour lui. Jésus est ce Fils chéri, l’Unique, qui jubile de partager l’intimité du Père, qui vit en permanence orienté vers la Source ; et il rend grâce en même temps , Jésus, d’être Celui en qui le Père ouvre aux pauvres et aux petits les richesses de son amour. C’est ce qui nous frappe dans cette prière. C’est comme si la joie de Jésus de recevoir l’amour du Père jaillissait au contact des pauvres, de ceux qui, ne possédant rien, ne peuvent que recevoir à la manière des enfants, des tout
– petits. Ainsi a vécu François, lui qu’on a surnommé «le Povorello», justement, pour avoir été, comme Jésus et avec Lui, dans l’émerveillement permanent de l’amour du Père et qui a compris que, pour accueillir à plein cet amour, il ne fallait rien posséder.
Mes amis, qui devenez diacres aujourd’hui, c’est dans cette double polarisation du Cœur de Jésus indissociablement tourné vers le Père et vers les hommes, spécialement les plus pauvres, que s’éclaire le sens de votre engagement. On ne peut pas prétendre en effet être disciple sans commencer par regarder Jésus, par regarder son Cœur, sans mesurer à quel point ce Cœur est un abîme d’humilité et de douceur et que c’est en lui que se réfugient tous ces pauvres, ces petits qui ploient sous le fardeau de l’existence. Et comme ils sont nombreux aujourd’hui encore. Regarder Jésus, regarder son Cœur : cela suppose que l’exigence de la prière quotidienne ne soit chez vous réduite ou compromise pour quelque motif que ce soit, car c’est seulement en allant puiser régulièrement l’amour à sa source que vous serez rendus capables d’aimer tous les hommes universellement. Permettez – moi de vous rappeler ici ce conseil de saint Charles Borromée à l’un de ses amis : « Tu ne pourras pas soigner l’âme des autres, lui disait-il, si tu laisses la tienne dépérir. À la fin, tu ne feras plus rien, pas même pour les autres. Tu dois avoir du temps pour toi pour être avec Dieu ». Plus vous garderez le contact avec Jésus et plus s’intensifiera dans votre cœur cette sensibilité intérieure, cette compassion évangélique, cet attrait miséricordieux pour les plus petits d’entre les hommes. Les tout-petits dont nous parle Jésus, ce sont tous ceux à qui l’on ne fait pas attention, tous ceux qui n’ont pas droit à la parole, ceux dont on n’attend rien, ceux qui n’ont aucun pouvoir, aucun moyen de se faire valoir et de se faire entendre. C’est vers eux, en priorité, que le Seigneur vous envoie comme diacres parce que ces petits, comme ne cesse de nous le redire le Pape François, sont la «chair souffrante du Christ» et que c’est Lui, Jésus, que nous touchons à chaque fois que nous approchons d’eux avec délicatesse et respect. C’est aussi dans la lumière d’une amitié forte avec le Christ que s’éclaire le choix du célibat que vous ratifiez solennellement en ce jour. Loin d’être une directive imposée par l’Église, comme on l’entend souvent dire, le célibat en réalité est un charisme que l’on reçoit de l’Esprit pour une plus grande disponibilité à servir et à aimer. Sans doute le célibat n’est-il pas un choix facile, et le vivre dans l’environnement permissif qui est le nôtre est un défi permanent et un véritable combat. Mais c’est un combat pour la liberté, un combat qui ouvre à la conquête et à la domination de l’amour dans toutes les dimensions de notre être, corporelles et spirituelles. Si le célibat suppose un équilibre humain et une maturité suffisante pour affronter la solitude qui lui est inhérente, c’est une grâce aussi d’en vivre les exigences avec l’aide des autres. C’est une caractéristique de la communauté Saint Martin, justement, que de conférer au ministère ordonné une forme communautaire radicale qui s’offre comme un appui salutaire à qui désire partager l’état de vie de Jésus. Lorsqu’il est ainsi vécu dans le cadre d’une fraternité effective et affective, le célibat décuple les énergies de l’amour. Par voie de conséquence, il est aussi le gage d’un vrai dynamisme missionnaire et d’une fécondité extraordinaire pour les communautés chrétiennes dans lesquelles prêtres et diacres se trouvent accueillis.
Frères et sœurs, nous avons entendu tout à l’heure l’apôtre Paul déclarer : «Que la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ reste mon seul orgueil ». En écho à ces paroles, le cardinal Journet aimait citer cette prière de saint François d’Assise dont je n’ai pu malheureusement retrouver les références, mais peu importe. François disait à Jésus : «Autant qu’il est possible à un homme d’avoir l’amour que tu avais sur la Croix, donne-le moi». Quelle prière merveilleuse ! Que pourrions-nous demander de plus juste et de plus approprié à l’adresse de nos frères qui reçoivent aujourd’hui l’ordination ? Puisqu’ils vont maintenant devenir diacres, serviteurs du Christ pour son Église, prions le Saint-Esprit d’investir leur cœur de sa force d’amour. Qu’Il prenne possession de tout leur être et de toutes leurs facultés, de leur intelligence, de leur mémoire, de leur volonté. À la suite de Jésus, qui a fait de toute sa vie d’homme un « Je t’aime », à la suite de Marie, qui a cru que rien n’était impossible à Dieu, qu’Il les entraîne loin, très loin sur les chemins du don.”