Contre la volonté du peuple
Un homme contre 7 millions : le juge en chef de la cour du district du Nord de la Californie, Vaughn Walker, vient de renverser le résultat du référendum de 2008, la « proposition 8 » par laquelle la majorité des votants – 52,24 % – avaient rejeté le « mariage » gay qui avait été légalisé dans leur Etat à la suite d’une longue procédure judiciaire. Sa décision, longue de 138 pages, révèle un mépris constant de tous les arguments présentés par les défenseurs du mariage traditionnel, présentés comme manquant de « toute base rationnelle », tandis que le ressenti des deux couples homosexuels qui avaient engagé la procédure contre la modification constitutionnelle introduite par le référendum est systématiquement mis en valeur.
Un homme peut avoir raison contre tous, certes. Ce n’est pas le nombre qui fait la vérité. Mais de vérité, il n’est pas question dans la décision du juge Walker, qui rejette la sagesse des siècles et le sens commun en expliquant que la légalisation du mariage gay n’est qu’une nouvelle étape dans la belle évolution vers l’égalité absolue entre hommes et femmes. Un peu comme la révocation de l’interdiction de certains mariages interraciaux, ou l’abandon de la mise sous tutelle de la femme dans le cadre du mariage « traditionnel » inégalitaire.
« Les preuves apportées montrent que l’éloignement progressif du mariage d’une institution définie par le genre vers une institution libre de rôles de genre fixés par l’Etat, est le reflet d’une évolution de la manière dont est compris le genre plutôt qu’une modification du mariage. (…) La preuve est apportée plutôt que la proposition 8 porte atteinte à l’intérêt de l’Etat à établir l’égalité, parce qu’elle impose un traitement différencié entre hommes et femmes basé uniquement sur des conceptions surannées et discréditées du genre », écrit le juge.
Il n’est peut-être pas indifférent de préciser que le juge Walker, à ce que dit le San Francisco Chronicle, est lui-même un homosexuel affirmé…
Partisans et opposants de la proposition 8 – qui n’a reçu aucun soutien de la part du gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenneger, ou de ses représentants – se sont battus à coups de statistiques et d’études à propos du mariage et du bien des enfants. Walker a rejeté en bloc les paroles de l’expert des défenseurs du mariage, David Blankenhorn, en disant qu’il ne fallait leur accorder « essentiellement aucun poids ».
La situation était de fait paradoxale dans la mesure où la Californie reconnaît d’assez longue date l’adoption homosexuelle. Cette affaire démontre finalement les limites d’une approche purement pragmatique – mais il est clair en même temps que toute réflexion approfondie aurait été écartée avec encore davantage de violence par le juge qui a rejeté toute « désapprobation morale » comme fondement à la loi. Ainsi écarte-t-il d’un trait de plume toute notion de bien et de mal, sauf le bien suprême que seraient l’égalité absolue et le refus de toute discrimination.
D’où, au passage, cette affirmation : « Les croyances religieuses selon lesquelles les relations gays ou lesbiennes sont peccamineuses ou inférieures aux relations hétérosexuelles font du tort aux gays et lesbiennes. » Voilà qui ouvre de nouvelles perspectives de persécution, surtout si, comme tout le monde le prévoit, l’affaire aboutit d’appel en appel devant la Cour suprême des Etats-Unis, pour devenir peut-être le Roe versus Wade des droits homosexuels. Une certaine presse trouve au jugement de Walker une « logique et une structure minutieuses » qui pourraient bien s’imposer devant la plus haute juridiction, dans la mesure où celle-ci ne contredit pas, habituellement, les appréciations de fait des juges de district. En tout cas, la bataille est lancée et elle sera âpre.
Traités de racistes, de partisans de la discrimination, d’affreux sans-cœur qui veulent priver les gays et lesbiennes des « biens », de la « stabilité », de l’« honneur » et de la « considération » et même des « bienfaits pour la santé » attachés au mariage, les Américains qui en majorité partagent la conception traditionnelle du mariage se sentent « insultés » par le jugement du 4 août 2010. La présidente du National Organization for Marriage (Organisation nationale pour le mariage), Maggie Gallagher, y voit « un rejet radical des droits des Américains » qui vont avoir à affronter « pour la première fois un système juridique attaché au point de vue selon lequel nos valeurs morales les plus profondes sur la sexualité et le mariage ne sont pas acceptables dans la sphère publique ». Car aux termes du jugement, « la proposition 8 met la force de la loi derrière la stigmatisation des gays et des lesbiennes ».
Le cardinal Francis George, président de la Conférence des évêques des Etats-Unis, a vivement dénoncé la décision du juge Walker :
« Le mariage entre un homme et une femme est le socle de toute société. Abuser de la loi pour changer la nature du mariage sape le bien commun. Il est tragique qu’un juge fédéral puisse renverser la volonté clairement exprimée du peuple en ce qu’elle soutient l’institution du mariage. Aucune cour civile n’a autorité pour s’immiscer dans des domaines de l’expérience humaine qui ont été définis par la nature elle-même. »
Source : Présent daté du 6 août 2010.
Le lien vers la décision (texte intégral du jugement) : ici.