Le cardinal Cipriani avec le pape François |
Au Pérou, alors qu’un protocole d’application vient de rendre possible dans la pratique l’avortement dit « thérapeutique » – légal sur le papier depuis 90 ans ! – l’Eglise catholique ose s’y opposer fermement. Le cardinal Juan Luis Cipriani Thorne, archevêque de Lima, a qualifié le texte, entré en vigueur dimanche dernier, de « guide pour tuer », ajoutant qu’il aboutirait à une « massification » de l’avortement dans ce pays.
La ministre de la Santé, Midori de Habich, avait assuré vendredi dernier que les cas couverts par protocole – risque de mort pour la femme, gestation inférieure à 22 semaines, situation évaluée par une commission médicale – s’élèvent aujourd’hui à quelque 15 ou 20 par an.
Mais déjà la ministre de la Femme et des Populations vulnérables, Carmen Omonte, a laissé comprendre que l’invocation de ces cas extrêmes (réels ou supposés) n’est qu’un premier pas. Ou un paravent. « Nous avons des maladies chroniques comme le cancer, le diabète avancé, les défaillances rénales et hépatiques et d’autres pathologies qui, en conjonction avec la grossesse, exposent les femmes à la mortalité et à la morbidité maternelle. Le protocole permettra de sauver la vie et d’éviter des dommages graves et permanents à la santé des femmes du pays », a-t-elle expliqué.
Il ne s’agirait donc déjà plus de sauver dans l’urgence les rares femmes menacées de mort alors qu’elles sont enceintes mais bien d’éviter un risque indéfini, et même un risque de maladie.
On comprend que la mise en garde du cardinal correspond d’ores et déjà à une réalité. Et il ne cesse de le répéter depuis que l’entrée en vigueur du protocole a été annoncée, soulignant que le champ d’application du nouveau texte va s’étendre à de nombreuses pathologies.
Premiers responsables : le président de la République péruvienne, Ollanta Humala, et sa femme, Nadine Heredia. Le cardinal Cipriani Thorne les a ouvertement accusés d’avoir failli à leur parole, donnée dans sa résidence au cours de la campagne présidentielle 2011 : ils s’étaient engagés à ce que le thème de l’avortement ne vienne pas à l’ordre du jour pendant leur mandat.
Trois ministres : les deux précitées ainsi que le ministre de la justice, Daniel Figallo, ont présenté le « Guide technique pour la dépénalisation de la procédure de soins intégraux des femmes enceintes dans l’interruption volontaire pour raison thérapeutique de la grossesse de moins de 22 semaines », qui avait nécessairement l’aval du couple présidentiel. Un « guide technique pour tuer un être humain », a souligné Cipriani Thorne.
Le cardinal, s’exprimant lors de l’émission « Dialogues de Foi » à la télévision publique RPP, a également accusé la pression du lobby international de la mort en interpellant la ministre de la Santé : « La décision de la ministre a beaucoup à voir avec la pression internationale d’institutions qui sont en train d’imposer ce guide d’une manière impérialiste. Réglez donc d’abord le problème de la grève des médecins ! »
Il a demandé en cette même occasion aux mères de « ne pas permettre qu’on leur fasse signer la mort de
Midori de Habich, ministre de la Santé |
leurs enfants ». « Ayez du couage ! La vie est entre les mains de Dieu, il existe toujours une manière médicale de sauver la mère et l’enfant. »
Plus explicite encore : « Je n’aimerais pas être dans la peau de la ministre (de Habich) car tôt ou tard nous serons jugés par Dieu. »
Mardi, la conférence épiscopale du Pérou a réagi à son tour en affirmant dans un communiqué que « la porte est ouverte, pour la première fois dans l’histoire du Pérou, à l’avortement, c’est-à-dire à l’assassinat d’une vie humaine innocente ». « Cette norme ministérielle, outre qu’elle est immorale, est aussi inconstitutionnelle et illégale », souligne le communiqué, demandant au président Humala de l’abroger.
Les évêques du Pérou ont ajouté que dans « l’ordonnancement légal péruvien, en accord avec le droit international, aussi bien la mère enceinte que l’enfant conçu ont le même droit à la vie, à la protection de la part de l’Etat et au respect de leur dignité ».
Ces prises de position claires – et depuis longtemps – portent des fruits dans l’opinion publique, même si elles sont impuissantes à faire arrêter le rouleau compresseur de la culture de mort. Un sondage commandé par RPP Noticias, réalisé auprès de 1 450 Péruviens majeures des cinq zones urbaines du Pérou, révèle aujourd’hui que la population adhère dans sa grande majorité aux prises de position de l’Eglise catholique sur les sujets dits « controversés » dans nos sociétés post-modernes.
Le cardinal Cipriani lui-même, aux termes de l’enquête, recueille à l’échelle nationale 57 % d’opinions favorables quant à son « labeur pastoral », ce qui n’est pas rien pour un prélat issu de l’Opus Dei, et réputé conservateur : un chiffre qui passe à 62 % chez les habitants de Lima.
83 % des Péruviens sont d’accord pour que l’Eglise catholique donne son avis sur l’éducation, 79 % pensent qu’elle doit s’exprimer sur l’avortement, 75 %, sur la sexualité, et 60 % sur l’union civile entre personnes de même sexe.
On sait les limites inhérentes aux sondages mais les chiffres sont tout de même importants, à rapporter au fait que 77 % des Péruviens sont catholiques, 16 % évangélique, les autres se réclamant d’autres religions.
Il n’est pas inutile de savoir, enfin, que la ministre de la Femme et des Populations vulnérables, Carmen Omonte, a directement fait le lien entre l’approbation du guide et le Plan national pour l’égalité de genre 2012-2017, dont il constitue une mise en œuvre, a-t-elle déclaré.
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