En cette fin de semaine, le cardinal français Paul Poupard, ancien président du Conseil pontifical de la Culture, représente le Pape en Avignon pour la commémoration du VIIe centenaire de l’établissement de l’enclave pontificale dans cette ville de Provence.
C’est en effet le 21 juin 1317 que le Pape Jean XXII avait formalisé l’installation du Pape et de sa Curie en Avignon, alors déjà en vigueur depuis une décennie. Cet exil censé être provisoire, dû à une situation troublée à Rome, avait finalement duré près de 70 ans. La “Cité des Papes” en a accueilli sept au total, de Clément V à Grégoire XI, qui fut finalement convaincu de rentrer à Rome sur l’insistance de sainte Catherine de Sienne.
C’est cette aventure étonnante d’une Papauté itinérante qui fit étape en Avignon qui sera commémorée en cette fin de semaine, avec des célébrations qui se tiendront également à Richerenches et à Valréas, des localités du Comtat Venaissin.
Le prélat s’est confié à I.MEDIA sur le rôle de la papauté, et son lien intrinsèque avec la ville de Rome. Agé de 86 ans, ordonné prêtre sous Pie XII, le cardinal Poupard a servi cinq papes au sein de la Curie, de Jean XXIII à Benoît XVI. Sa passion de l’histoire, il la nourrit des nombreux rayonnages de sa vaste bibliothèque romaine. En amont de son voyage, il explique pourquoi la papauté est restée près de 70 ans loin de Rome.
“C’est difficile de sortir de l’anachronisme pour comprendre ce qui s’est passé en ces temps lointains”. En 1305, Clément V est élu pape au bout de 15 longs mois de conclave, ce qui ramène nos conclaves modernes de deux ou trois jours à leur juste mesure, malgré le temps de l’instantanéité…
Jusqu’alors archevêque de Bordeaux, le nouveau pape, Bertrand de Got, ne souhaite pas rejoindre Rome.
“Il y avait l’agitation populaire, les turbulences quotidiennes, l’insécurité croissante”.
A l’époque, la cour pontificale est comme d’autres cours d’Europe, itinérante. De plus, le contexte de guerre avec Venise et les guerres intestines entre grandes familles cardinalices ne l’incitent pas non plus à se rendre dans la Ville éternelle. Il s’établit donc en Avignon dans le Comtat-Venaissin, propriété pontificale jusqu’à la Révolution française. Contrairement à ce que l’on croit généralement, “ce n’était pas un territoire français” : il avait appartenu au comte de Provence, vassal du roi de France, et qui l’avait lui-même légué au pape. La raison profonde de ce choix?
“Pour le dire clairement, il s’agissait d’assurer le libre exercice du ministère de Pierre hors des pressions temporelles”.
Après Clément V, six autres papes ne se rendront pas à Rome et resteront en Avignon, développant considérablement cette région déjà riche. Ils donnèrent notamment un statut particulier aux Juifs, qu’on appellera les “Juifs du pape”. Mais ce qui n’était que provisoire dure, comme souvent.
“Il a fallu que Catherine de Sienne vienne voir le pape Grégoire XI pour le supplier de revenir en lui disant: il vaut mieux surveiller son troupeau du haut des collines de Rome que de celles d’Avignon”.
Le pape revient alors à Rome, d’où il est d’abord chassé, puis il rentre définitivement dans la ville et soumet les rebelles en 1377. A partir de cette date, la papauté restera exclusivement à Rome, bien que le pape puisse se déplacer dans ses Etats qui comprennent alors presqu’un tiers de l’Italie actuelle.
“Grâce à Dieu, sept siècles après, nous sommes sortis de ces querelles de pouvoir”.
La papauté est ainsi ce qui “relie le Christ, le successeur de Pierre et Rome”. Pour mieux incarner son propos, le cardinal Poupard raconte à quel point le pape Paul VI avait été touché par la manifestation de masse, organisée par les Romains au retour de son premier voyage en avion – c’était pour la Terre sainte, en janvier 1963. C’est que la papauté a un rôle très particulier à jouer, “celui qu’a confié Jésus à Pierre, de confirmer ses frères dans la foi”, précise-t-il. Ajoutant que si le libre exercice du ministère de Pierre est la question “fondamentale”, celui-ci n’a jamais été facile. Par exemple, lorsque l’Italie réunit son territoire et annexe Rome en 1870. Les papes s’enferment alors au Vatican. Emoi dans les milieux catholiques. “On chantait dans les chaumières: sauver Rome et la France au nom du Sacré-Cœur”, narre le cardinal. Il faudra attendre les accords de Latran en 1929 pour que le Vatican émerge comme Etat, et que la papauté retrouve un lieu qui lui est propre.
En somme, faut-il considérer l’épisode des papes en Avignon comme une des sources du gallicanisme? “C’est plutôt une étape”, nuance le prélat angevin devenu romain, la marque d’un esprit typiquement français de contradiction et d’indépendance. Le cardinal Poupard cite volontiers le concordat de Napoléon, et cette phrase du secrétaire d’Etat de Pie VII à Napoléon:
“Sire, cela fait dix-neuf siècles que les prêtres essaient de ruiner l’Eglise, ils n’y sont pas arrivés. Ce n’est pas Votre Majesté dans l’éclat de sa gloire qui pourra y prétendre”.
Il confie même l’avoir raconté à Jean-Paul II qui… en a lâché sa fourchette. “Il n’aimait pas trop cette histoire”, confie Son Eminence. Avec son expérience, le cardinal Poupard estime qu’il existe, encore aujourd’hui, deux France “qui ne sont toujours pas réconciliées”.
“Nous avons encore aujourd’hui beaucoup d’efforts à faire pour les réconcilier, sous l’égide de Rome. Comme disait Charles Péguy, “nous sommes tombés dans le filet de Pierre, puisque c’est Jésus qui nous l’avait tendu”.