Un enquête statistique menée par plusieurs chercheurs universitaires belges et néerlandais, publiée le 5 octobre dernier dans le British Medical Journal, révèle que seule la moitié des euthanasies pratiquées en Flandres du 1er juin au 30 novembre 2007 avaient été déclarées selon les exigences de la loi à l’autorité compétente : le Comité fédéral du contrôle et d’évaluation. Les chiffres montrent une certaine confusion dans l’esprit des médecins quant à ce qui constitue un acte d’euthanasie ; ils révèlent également que si dans le cas des euthanasies déclarées, les critères imposés par la loi sont respectés, il n’en va pas de même pour les mises à mort non déclarées.
Par extrapolation, l’étude fixe à environ 1040 le nombre total d’euthanasies pratiquées en Flandres en 2007, dont environ la moitié, 549 (avec une marge d’erreur de quelque 8 %) n’ont pas été déclarées aux autorités. Les euthanasies ont représenté quelque 1,9 % des décès des personnes âgées d’au moins un an en Flandres cette année-là (les nourrisons de moins d’un an étant exclus de l’étude).
L’euthanasie est légale en Belgique depuis 2002 dans des conditions très précises qui sont censées assurer que l’acte soit pratiqué dans de bonnes conditions, dans le respect de la volonté du patient : c’est le médecin qui doit administrer la substance létale après consultation d’un confrère, et la déclaration est obligatoire. Minces garde-fous dans un pays où les médecins ont donc un permis légal de tuer, mais enfin la morale de cette histoire est que même ces garde-fous ne suffisent pas à « encadrer » la pratique, une fois qu’elle apparaît comme socialement acceptable.
Il apparaît que parmi les « non-déclarants », 77 % pensaient ne pas avoir techniquement commis une euthanasie. Parmi ceux qui pensaient l’avoir commise, 93,1 % avaient fait la déclaration ad hoc.
Le long questionnaire adressé aux médecins qui étaient censés s’être occupés des mourants retenus pour l’étude (avec une sur-représentation des cas où les traitements ou abstentions susceptibles d’écourter la vie, corrigée dans les chiffres définitifs), évoquait indirectement l’euthanasie : cette notion n’a été retenue que dans les cas où il y a eu administration active d’une substance létale immédiatement ou à court terme.
C’est ce qui a permis de découvrir que nombre de ces actes n’ont pas entraîné de rapport. Davantage d’euthanasies non déclarées n’ont pas été précédées d’une demande écrite de la part du patient, la consultation d’un autre médecin ou spécialiste en soins palliatifs étant absente dans près de 46 % de ces cas, on a eu davantage recours aux opioïdes et aux sédatifs, et dans 41,3 % c’est une infirmière qui a administré la substance létale contre 0 % dans les cas déclarés.
Les chercheurs rappellent qu’aux Pays-Bas, on arrive actuellement à un taux de déclaration d’environ 80 %, les cas restants étant pour la plupart constitués par l’administration d’opioïdes ou de sédatifs que les médecins ne perçoivent pas comme des euthanasies.
Limites de l’étude, signalées par les chercheurs eux-mêmes : le taux de réponse des médecins n’a atteint que 58 %, et malgré les mesures prises pour assurer l’anonymat des réponses, les chercheurs supposent que certaines réponses tiennent compte de la volonté de bien paraître socialement, ce qui peut entraîner un certain degré d’erreur.
Ici se pose aussi la question de la « sédation palliative » qui constitue une euthanasie dès lors que la sédation et l’absence d’alimentation ont pour intention de procurer la mort, un facteur que les chercheurs ont bien perçu et identifié dans leur questionnaire et analysent comme révélant une véritable « zone grise » entre l’euthanasie et les soins palliatifs, certains médecins allant jusqu’à « déguiser » plus ou moins consciemment une euthanasie en pratique médicale normale.
Si 77 % des médecins de Belgique néerlandophone qui n’ont pas fait la déclaration correspondante n’ont pas perçu leur acte comme une euthanasie, 18 % ont estimé que la déclaration entraîne trop de paperasserie, 12 % estimaient que tous les critères légaux n’avaient pas été remplis, 9 % pensant que l’euthanasie est affaire privée entre le médecin et son patient (plusieurs réponses possibles).