Je rendais compte ici, à la suite de LifeSite, d’une méta-étude danoise établissant que le nombre de femmes qui demandent une première consultation psychiatriques dans les mois entourant leur avortement est bien plus important – elles sont près de trois fois plus nombreuses – que celles qui ont accouché au cours d’une période similaire.
Mais je lis dans la presse française, et notamment sur le blog de Peggy Sastre hébergé par le Nouvel Obs, qui elle aussi a pris connaissance de cette étude, qu’« avorter ne rend pas folle, avoir un enfant, si ». Bon, je lui laisse le ton volontairement provocateur de son message, et celui de la photo qui l’illustre. Va pour les jeunes mères plus « folles » après la naissance qu’avant. Ça a un nom, d’ailleurs : dépression post partum, effondrement hormonal, épuisement des nuits sans sommeil, nouvel équilibre à trouver dans sa vie et dans ses relations – qui a dit que la naissance, et surtout la première, n’était pas un bouleversement ?
Mais là où elle pousse le bouchon carrément trop loin, c’est quand elle cite le taux de premières consultations avant et après une première naissance (on passe de 3,9 ‰ au cours des 9 mois qui précèdent, à 6,7 % au cours des 12 mois suivant) ; mais qu’elle passe sous silence les chiffres correspondants pour celle ayant avorté au cours du premier trimestre : respectivement 14,6 ‰ et 15,2 ‰, soit, en moyenne, trois fois plus !
Tous les chiffres sont ici. L’étude portait sur 365 500 femmes danoises, dont 84…620 avaient avorté et 280.930 avaient donné naissance.
Les chercheurs tirent de la plus grande variation des chiffres autour d’une naissance la conclusion que l’avortement, finalement, ne provoque pas de problèmes supplémentaires, sans noter plusieurs choses :
• Les problèmes pyschologiques peuvent déjà être là avant le passage à l’acte dans le cadre d’un avortement et l’étude ne précise pas s’il y a une augmentation des consultations entre le moment où la grossesse est constatée et l’« IVG ».
• La réaction fréquente après un avortement volontaire semble être souvent le soulagement. Les vrais problèmes – regrets, dépression, dépréciation de soi, sentiment de culpabilité, la liste est longue et une abondante littérature aussi bien des femmes ayant avorté que des soignants en atteste – interviennent souvent plus tard, voire bien plus tard : et les femmes peuvent avoir tendance à enfouir leur souffrance parce qu’elles en ont honte.
• Que les proportions sont quand même d’une différence statistique plus significative que celles constatées entre les femmes enceintes et les femmes ayant accouché.
• Pourquoi enfin ne pas s’interroger « à l’envers » ? Vu que les femmes n’ayant pas été enceintes du tout au cours de la période évaluée (1985-2007) sont moins nombreuses que celles ayant avorté, mais plus nombreuses que celles qui ont donné naissance à avoir eu pour la première fois de leur vie une consultation pyschiatrique (8,2 ‰), ne faut-il pas en déduire au contraire que la maternité protège des désordres mentaux, et que cette protection est encore spectaculairement accrue au cours de la grossesse ? (Même si ce n’est pas une période d’euphorie automatique, loin de là : voir ici).
C’est quoi qu’il en soit le cas type d’une étude qui peut, à force de présentations partielles, être tiraillée dans tous les sens : me semble particulièrement malhonnête celle qui consiste à dire qu’on est mieux protégé du désordre mental par l’avortement que par la naissance, d’autant qu’elle repose sur une occultation des chiffres.
A cela s’ajoutent des questions sérieuses quant à la méthodologie de l’étude publiée le 27 janvier par le New England Journal of Medicine. Le néonatologue Carlo Bellini, membre de l’Académie pontificale pour la vie (PAV) l’a sérieusement remise en question comme le souligne la Catholic News Agency. Lors d’un entretien accordé à cette agence, le médecin souligne que la notion de « premier contact psychiatrique » ne dit rien sur la présence ou non d’un désordre mental avéré. Les femmes et jeunes filles évaluées au cours de la méta-étude, et leurs parents, ont été considérés comme souffrant d’un tel désordre dès l’instant où il y avait eu une consultation, accompagnée ou non d’hospitalisation, dans une quelconque institution psychiatrique, pour n’importe quel désordre, indépendamment d’un diagnostic.
« On peut aller voir le psychiatre pour un million de raisons. On peut évidemment éprouver des doutes, des états d’anxiété, de tristesse, on peut ne pas être heureux, mais cela ne signifie pas qu’une personne souffre de maladie mentale », note le Dr Bellini.
S’interrogeant sur le fait que les chercheurs ne s’intéressent pas à la proportion bien plus importante de consultations psychiatriques chez celles qui choisissent d’avorter, il souligne également le fait que l’étude ne tient pas compte des femmes ayant « caché » un avortement et qui n’ont pas consulté, alors que dans les pays où l’avortement est légal il est mal vu de rechercher une aide psychiatrique.
« On n’a pas le droit de se plaindre d’une maladie après l’avortement, parce que c’est une chose considérée comme “juste” et “normale”. Dire que vous n’allez pas bien après un avortement, c’est une hérésie dans un pays occidental. »
Le Dr Bellini souligne également que parmi les femmes ayant accouché, le pic de consultations se situe précisément au cours du premier mois après l’événement, au moment d’une dépression post partum qui pour être très fréquente n’est pas du tout durable, alors que la dépression post-abortive ne décroît pas. En atteste une étude de 2005 selon laquelle après une fausse couche on enregistre un taux d’anxiété plus élevé au cours des 6 mois suivant l’événement, tandis que les atteintes psychologiques sont durables chez les femmes ayant avorté.
Il cite enfin une autre donnée de l’étude danoise qui n’a pas été approfondie ou commentée : les femmes qui ont consulté pour la première fois dans le domaine psychiatrique à la suite d’un avortement ont 1,5 fois plus de chances d’avoir reçu un diagnostic de désordres possibles de la personnalité et du comportement qu’avant l’avortement.