Mgr Noyer, évêque émérite d’Amiens, a écrit dans Témoignage
chrétien du 25 juin, suite au suicide d’un prêtre :
“Je voudrais dire ici qu’on aimerait recevoir d’en haut autre chose que des invitations spirituelles, par ailleurs fort utiles. Y a-t-il quelqu’un pour
donner une vraie orientation à cette Église qui s’essouffle ? Lorsque le Concile avait mobilisé l’Église pour partager avec le monde la Bonne Nouvelle de
Jésus, l’enthousiasme s’était levé.
Rome affirme que rien ne changera, que la théologie a montré la perfection de l’Église d’hier, que nos difficultés viennent de nos propres innovations. On
encourage tous les nostalgiques d’hier. Dans les diocèses, comment relever ce défi quand Rome paralyse toute réponse un peu audacieuse. Les évêques comme les curés savent
que leurs initiatives auraient besoin d’être soutenues par la confiance de l’Église.
Le Concile a affirmé la responsabilité collégiale des évêques. Frères évêques, notre attachement légitime à la communion que préside le successeur de Pierre ne demande
pas notre silence obéissant. Il ne nous retire pas cette responsabilité de conduire nos églises particulières mais aussi l’Église Universelle
selon les exigences de la mission.”
Il serait peut-être temps, pour Mgr Noyer, de reconnaître que le problème de gouvernance au sein de l’Eglise depuis la tourmente post-conciliaire (qu’il appelle ‘enthousiasme’, alors que les
églises et les séminaires se sont vidés) est sans doute à la source du malaise dont il se plaint. Mais on retrouve dans sa critique de la gouvernance de Rome, une conception erronée de la
collégialité, conception encore partagée par un certain nombre d’évêques en France, évêques qui n’en font bien souvent qu’à leur tête. Il convient donc de faire quelques rappels utiles :
-
Collégialité : le Concile oecuménique Vatican I avait pour intention la rédaction d’un enseignement sur le mystère de l’Église. L’occupation de Rome par les troupes
italiennes interrompit le Concile. Il ne parvint qu’à rédiger un seul document – la constitution Pastor Aeternus – qui renferme la définition de la primauté du Pape et de son
magistère infaillible. Le Concile Vatican II s’est proposé de poursuivre l’oeuvre entamée par Vatican I, en particulier en complétant par une déclaration sur l’épiscopat ce qui avait
été enseigné au sujet de la primauté du Pape. L’épiscopat y est présenté comme le degré du sacrement de l’ordre où se réalise la plénitude du sacerdoce. En vertu de ce sacrement, il revient à
l’évêque d’accomplir la triple “charge” (munus) de sanctifier, d’enseigner et de gouverner. L’évêque n’est donc pas un simple prêtre auquel est confié la tâche de gouvernement et
d’enseignement à un niveau supérieur. S’il en était ainsi, alors effectivement existerait réellement le risque de le méprendre pour un simple fonctionnaire du pouvoir central. La
nature de l’épiscopat n’est pas simplement de l’ordre de la gouvernance mais est réellement d’ordre sacramental. La chose ne crée véritablement pas de problèmes du point de vue de la
charge de sanctification, c’est-à-dire du pouvoir d’ordonner. Elle soulève plutôt des problèmes du point de vue du pouvoir de gouvernement : on pourrait en effet l’interpréter de
manière erronée comme l’attribution d’un pouvoir de gouvernement qui, conféré de manière sacramentale autoriserait son exercice en pleine autonomie par rapport au Pape, en mettant en cause
l’essence de sa primauté. C’est la conception de Mgr Noyer. La discussion au cours du Concile fut très vive et exigea à un moment donné une intervention directe du Saint-Père qui
déboucha sur la célèbre nota explicativa praevia. Pourtant, les termes du chapitre III de la constitution Lumen Gentium étaient déjà par eux-mêmes suffisamment
clairs. Si le “pouvoir” (potestas) de gouvernement et de magistère est en effet conféré à l’évêque avec le sacrement et en lui, par lequel est conféré un véritable caractère
sacramental, la “charge” (munus), c’est-à-dire l’exercice de ce pouvoir ne peut s’exercer qu’à l’intérieur de la communion hiérarchique avec les autres membres du collège et en pleine
subordination au chef du collège, le Pape. C’est précisément en vue de dissiper toute équivoque dans ce domaine aussi délicat que le Concile eut recours à deux termes différents :
potestas pour indiquer la capacité essentielle d’agir, et munus pour indiquer le libre exercice de cette faculté. La distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de
juridiction est tout à fait traditionnelle et inaliénable. Le pouvoir d’ordre est conféré au moyen d’un sacrement, tandis que celui de juridiction au moyen d’un acte de nomination. Le premier
ne peut pas être invalidé, le second oui. Ici, comme dans d’autres cas, il faut distinguer sans séparer et unir sans confondre. L’enseignement plus précis sur la nature de l’épiscopat du
Concile Vatican II force à repenser (et non pas à changer !) la doctrine traditionnelle des deux formes de pouvoir pour redécouvrir que l’unité de leur source, qui est toujours Christ, et
l’unité de leur finalité, qui est la sanctification des hommes, les configure comme deux modalités d’une unique sacra potestas. En définitive, cette doctrine préserve le droit de
l’Église du risque de tomber dans le domaine profane pour le replacer dans la sphère sacrale et donc sacramentale, qui est la sienne. L’Église, en proposant la doctrine de la “collégialité”
de l’épiscopat, ne fait rien d’autre que de réfléchir de manière plus explicite et solennelle sur une conviction qui était la sienne depuis toujours. De par les Evangiles, elle savait en
effet que le Christ “en institua Douze pour être ses compagnons” (Mc 3,14). Douze n’est pas seulement un terme numérique et n’exprime pas donc un pur ensemble quantitatif, arbitraire
et fortuit. On se réfère fréquemment aux apôtres sous l’expression “les Douze”. Même après la trahison de Judas, on ne cessa d’appeler le groupe “les Douze” (cf. 1 Co 15,5), qui – dès qu’il
le put- se reconstitua même numériquement à travers l’élection de Matthias (cf. Ac 1,15-26). C’est à ce groupe que le divin fondateur de l’Église confie la plénitude de son autorité : “En
vérité je vous dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux et tout ce que vous dénouerez sur la terre sera dénoué dans les cieux “(Mt 18,18). C’est le même pouvoir
que celui que Jésus avait conféré à Pierre : “À toi je donnerai les clés du Royaume des Cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu dénoueras
sur la terre sera dénoué dans les cieux” (Mt 16,19). De toute évidence, lorsque Jésus donne aux Douze les mêmes pouvoirs qu’il avait donné au seul Pierre, il ne se contredit pas, pas
plus que l’Eglise ne se contredit lorsque avec Vatican II elle reconnaît au collège des évêques, successeurs des Apôtres, le même pouvoir que Vatican I avait reconnu au seul Pape, successeur
de Pierre. L’exégèse coranique dispose d’une règle, dite de l’abrogeant et de l’abrogé (al-nâsikh wa al-mansûkh), par laquelle un verset du Coran révélé à une date ultérieure abroge un verset
précédent s’il le contredit. L’exégèse chrétienne ne peut s’approprier cette procédure, consciente que Dieu est sagesse et donc raison absolue (Logos) (c’est-à-dire qu’il ne peut pas se
contredire) et, par conséquent, tout ce qui procède de lui obéit à la règle de la sagesse et du Logos. Si en effet deux pouvoirs suprêmes en un unique organisme peuvent apparaître à première
vue contradictoires, cette absurdité est résolue dès lors qu’on considère que ses deux détenteurs, le Pape tout seul et le collège des évêques, sont distincts entre eux de manière inégale,
puisque le collège des évêques comprend le Pape en son sein et que sans lui il n’est plus ce qu’il est, qu’il perd sa vie même, tel un corps décapité. -
L’autorité universelle du Pape : Certains voudraient que le Pape ne fasse rien sans avoir réuni auparavant tel ou tel organisme. Mais, lui aussi est un Évêque, avec un
pouvoir ordinaire, avec cette différence que, parmi les membres du corps, il a une fonction « capitale », parce qu’elle correspond à la tête, et ne peut donc s’intéresser seulement de soi
mais de tout le corps, afin que la communion soit organique. La « communio » de l’Eglise n’est pas vague ou spirituelle, mais hiérarchique et catholique. -
La place des conférences épiscopales : Si le Concile a déclaré que le Pape et l’Evêque étaient le principe visible et le fondement respectivement de l’unité universelle et de
l’unité particulière, cela veut dire que les Conférences Episcopales vivent uniquement de cet apport, et ne peuvent se substituer en aucune manière à la Primauté de l’Evêque de Rome, ni à
l’autorité de chaque Evêque, étant donné que eux seuls sont d’institution divine, c’est-à-dire, voulus par Jésus-Christ. Les Conférences Épiscopales sont de droit ecclésiastique positif
et, en conséquence, ne sont jamais supérieures à l’autorité épiscopale ordinaire ; très utiles pour exercer la dimension collégiale du gouvernement épiscopal, elles restent auxiliaires,
et en respect subordonné à la fonction épiscopale dans l’Eglise, parce que le Collège Épiscopal est indivisible. Le Motu Proprio « Apostolos suos » rappelle aussi qu’elles n’ont pas de
prérogatives doctrinales, mais servent à coordonner le travail apostolique dans une région.
Les fidèles se scandalisent quand ils constatent la dissension des Conférences Episcopales et de certains de leurs membres, avec le Siège apostolique – phénomène de néo-gallicanisme – parce que
l’obéissance au Pasteur Suprême visible est le propre de la foi catholique authentique.