Un lecteur m’objectait hier soir que le texte du cardinal Newman que je citais, même s’il était effectivement bien éloigné du néo-modernisme, était presque aussi éloigné de la doctrine traditionnelle en matière de liberté de conscience.
Je n’en suis pas si sûr.
Saint Thomas d’Aquin, qui, je pense, n’est pas suspect de libéralisme théologique, écrit dans la Somme théologique (Ia IIae, q. 19, a. 5, resp):
“Toute volonté qui n’obéit pas à la raison, que celle-ci soit droite ou dans l’erreur, est toujours mauvaise.”
Ce que l’on traduit souvent, en d’autres termes: “Une conscience, même erronée, oblige.”
Nous avons certes le devoir de travailler à éclairer notre conscience, notamment par la soumission à l’enseignement de l’Eglise. Mais c’est la conformité à notre conscience qui fait qu’un acte est bon ou non (subjectivement en tout cas).
La morale n’est évidemment pas pure subjectivisme. Ce n’est pas parce que quelque chose est bon selon nous, qu’il est bon absolument. Mais cela n’empêche pas que nous ayons le devoir de suivre notre conscience, fût-elle erronée.
Cela étant, la question est complexe et, si des plus savants que moi veulent préciser ou corriger tel ou tel point, ils sont les bienvenus!
Je ne suis sûrement pas plus savant que vous, mais j’ai enseigné ces matières pendant vingt ans et j’ai donc là-dessus une petite connaissance des textes. Vous faites bien de citer ce texte, au demeurant trop souvent ignoré, de Saint Thomas d’Aquin (Ia IIae, Q.19, a.5, ad c.). Vous aurez observé que, dans ce même texte, St Thomas prend un exemple quasi outrancier (à son époque, du moins) : l’appartenance même au Christ (credere in Christum) est, dit-il, un bien, et un bien nécessaire au salut. Mais si quelqu’un croyait au Christ contre sa conscience, cela deviendrait un mal pour lui, non quia est per se malum, sed quia est malum per accidens ex apprehensione rationis: “Non parce que c’est un mal en soi, mais parce ce que c’est un mal par accident, parce que sa raison l’a perçu comme tel.” St Thomas reprend ici, comme de coutume, le vocabulaire aristotélicien de “l’accident” : la “substance” du choix pour le Christ est évidemment toujours bonne, mais l’appréhension par la conscience constitue un “accident” (qui peut changer, donc, on peut se convertir) suffisant pour non pas changer le bien en mal, mais faire que celui qui agit contre sa conscience, en effet agit mal. Cela dit assez le poids de la conscience dont je crois pouvoir dire qu’elle ne juge pas du bien et du mal “en soi” (sinon, nous serions en effet dans le relativisme éthique), mais de la culpabilité morale du sujet.
CEC 1749-1761 : La moralité des actes humains.
On peut également ajouter l’article précédant : 1730-1746 “La liberté de l’homme”.
Et sur le lien entre conscience et liberté religieuse : 2104-2109 “Le devoir social de religion et le droit à la liberté religieuse”