La Porte Latine publie une étude de l’abbé Jean-Michel Gleize, FSSPX, dans le dernier numéro du Courrier de Rome (n°682, Janvier 2025) sur la position de la Fraternité Saint-Pie X sur le nouvel ordo missae :
Certains reprochent à la Fraternité Saint-Pie X son refus par principe du Novus Ordo Missae de Paul VI – même célébré avec dignité. Qui n’est pas rationnel ?
Lors de l’homélie qu’il prononça à l’occasion du jubilé de ses soixante ans de sacerdoce, près de Paris au Bourget, devant près de 23 000 fidèles, Mgr Lefebvre fit mention de « la prière d’oblation de l’hostie que le prêtre récite tous les jours au saint Autel ». Belle prière, dont il souligna toute l’importance, puisqu’elle indique la nature exacte du saint sacrifice de la messe et aussi la nature exacte du sacerdoce, en raison duquel celui qui est consacré prêtre est tout entier voué à la célébration de ce sacrifice.
« Recevez, Père très Saint, Dieu éternel et tout-puissant, cette hostie immaculée que je vous offre, bien indigne serviteur, à vous mon Dieu, vivant et véritable pour mes innombrables péchés, offenses et négligences, pour tous ceux qui sont ici présents, pour les fidèles chrétiens vivants et morts, que cette oblation serve à mon salut et au leur, pour la vie éternelle. Ainsi soit-il ».
2. La messe est un sacrifice propitiatoire, c’est-à-dire l’offrande du Corps et du Sang de Jésus Christ, immolé pour le rachat des âmes des fidèles vivants et morts, immolation d’une victime offerte à Dieu pour satisfaire tant au péché originel de tout le genre humain qu’aux péchés personnels de tous les hommes. Comme tout sacrement, la messe est d’abord un signe : elle cause ce qu’elle signifie, dans la mesure exacte où elle le signifie. Or, cette nature profonde de la messe, qui est le sacrement de l’unique sacrifice rédempteur, accompli par le Verbe Incarné, est beaucoup plus clairement signifiée par les prières de l’offertoire que par les paroles de la consécration et c’est pourquoi l’on a pu dire que « dans ses caractéristiques spécifiques, l’offertoire de la messe de saint Pie V a toujours constitué un des principaux éléments pour distinguer la messe catholique de la cène protestante »
3. Redisons ces évidences. C’est précisément en tant qu’elle est explicitement déclarée comme l’offrande de l’immolation du Christ, faite à la Trinité Sainte, que la messe apparaît pour ce qu’elle est, c’est-à- dire à la fois pour ce qu’elle signifie et ce qu’elle cause, étant référée à l’oblation et à l’immolation mêmes du Christ. Les paroles de la double consécration, expriment certes l’immolation que Jésus-Christ fait de Lui-même. Celle-ci est alors réalisée d’une manière mystérieuse, qui est la manière propre au sacrement. Les paroles de la forme signifient ce qu’elles causent et causent ce qu’elles signifient, c’est-à-dire la présence réelle sacramentelle et du Corps et du Sang du Christ. L’immolation est réalisée, elle aussi, selon ce mode sacramentel, du fait que la consécration est double et que le pain est transsubstantié au Corps du Christ séparément de la transsubstantiation du vin au Sang du Christ. Cela est, en toute réalité, dans la mesure où cela est signifié. Enfin, le Christ ainsi sacramentellement immolé, du fait de la séparation sacramentelle de son Corps et de son Sang, est offert à la Trinité Sainte, en victime de propitiation. Cependant, cette offrande n’est pas exprimée en ce moment du rite, qui est celui de la prononciation des paroles de la consécration. Voilà pourquoi il est nécessaire qu’une autre partie du rite soit consacrée à exprimer ce qui ne l’est pas au moment de la consécration, à savoir ce fait de l’offrande du Christ immolé. Et c’est précisément le rôle de l’offertoire de donner cette expression distincte. Moyennant quoi, le signe sacramentel acquiert toute son intégrité, les paroles de la consécration obtenant leur valeur signifiante et sacramentelle en dépendance des prières de l’offertoire, comme de tout le reste du rite.
4. Tout cela est d’une importance extrême, et a d’ailleurs été clairement reconnu par les protestants, comme l’on peut s’en rendre compte à partir de l’ouvrage du pasteur luthérien Luther D. Reed, paru en 1959 et intitulé The Lutheran liturgy. Luther D. Reed a enseigné la liturgie pendant trente-quatre ans au séminaire luthérien de Philadelphie. Il fut l’un des promoteurs du mouvement qui tente d’uniformiser la liturgie luthérienne aux Etats-Unis. Il écrit sans ambages que « la prière centrale de l’offertoire Suscipe sancte Pater est une parfaite exposition de la doctrine catholique romaine sur le sacrifice de la messe ». Il ajoute : « Tous les réformateurs rejetèrent l’offertoire romain et son idée d’une offrande pour les péchés faite par le prêtre, au lieu d’une offrande de reconnaissance faite par le peuple. Luther […] appelait l’offertoire romain une abomination où l’on entend et sent partout l’oblation ».