Par le bois est venue la joie dans le monde.
Le missel romain appelle ce jour : Parasceve = jour des préparatifs. Nous l’appelons le Vendredi Saint, le grand vendredi. C’est le grand jour de deuil de la chrétienté. C’est le seul jour, dans la liturgie romaine, où l’on ne célèbre pas le Saint-Sacrifice, parce que notre divin grand Prêtre offrit en ce jour sur l’autel de la Croix son sacrifice sanglant.
Les deux antiennes directrices du jour nous transportent sur le calvaire : « Ils placèrent au-dessus de sa tête une inscription avec le motif de sa condamnation : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs » (Ant. Bened). « Quand il eut pris du vinaigre, il dit : Tout est consommé ; il inclina la tête et rendit l’esprit » (Ant. Magn.).
1. Office du matin. — L’église de station est l’antique sanctuaire de « Sainte-Croix de Jérusalem) qui représente pour nous le calvaire. C’est dans cette église que l’on conserve les reliques de la vraie Croix. Nous entrons dans l’église : elle est nue, dépouillée de tout ornement ; le tabernacle est ouvert et vide ; une croix voilée de noir surmonte l’autel — tout cela est expression de la douleur silencieuse de notre âme. L’office commence. Il n’y a pas d’introït, mais un profond silence : les cierges ne sont pas allumés à l’autel (c’est aujourd’hui, surtout, que l’Église emploie le langage de ses symboles et de ses signes) ; le prêtre et ses ministres entrent, vêtus de noir, et se prosternent sur les marches de l’autel. Cette prostration, qui marque l’impuissance, symbolise la désolation de l’humanité avant la Rédemption.
L’office qui suit est très ancien et se divise en trois parties. A y regarder de près, il ressemble à une messe. Toute messe est composée de l’avant-messe, de l’action du sacrifice, et de la communion ; nous trouvons aujourd’hui une célébration tripartite, semblable à celle de la messe. A la place de la consécration, a lieu l’Élévation et l’adoration de la Croix. La première partie est une avant-messe, c’est même un monument vénérable de la messe des catéchumènes dans l’antique liturgie ; la seconde partie est l’adoration de la Croix, le point culminant de la journée ; la troisième partie est une communion. La liturgie appelle cet office la messe des présanctifiés — car l’hostie a été consacrée la veille.
a) L’avant-messe. L’office du matin commence par une avant-messe antique, telle qu’on les célébrait pendant les quatre premiers siècles. Il n’y avait pas d’introït, les prêtres se prosternaient silencieusement sur les degrés de l’autel. Il y avait trois lectures entre lesquelles on chantait, comme chants intermédiaires, des psaumes entiers. Il y avait ensuite une prédication suivie de l’office de prières : la prière pour les besoins généraux des chrétiens. La première partie de l’office du Vendredi Saint nous a conservé cette antique pratique. Nous devons prendre part à ces prières avec respect, car c’est exactement ainsi qu’on priait dans les catacombes. La première leçon (du Prophète Osée) doit nous mettre dans les sentiments de tristesse et de repentir qui conviennent à ce jour. Elle nous fait aussi entendre, déjà, l’annonce de la fête de Pâques : « Il nous donnera une vie nouvelle dans deux jours ; le troisième jour, il nous ressuscitera ».
Nous chantons ensuite un Trait emprunté à Habacuc : « Seigneur, j’ai entendu ton message et je crains ; j’ai considéré tes œuvres et j’ai tremblé. On te trouvera au milieu de deux créatures ». Le Prophète voit avec horreur l’effroyable spectacle du crucifiement : « le Seigneur » entre deux malfaiteurs.
La seconde leçon nous montre le touchant symbole de l’agneau pascal. Ce symbole se réalise aujourd’hui. Le véritable Agneau pascal, le Christ, est immolé. Ce n’est pas par hasard que Jésus a offert son sacrifice au jour même de la fête pascale des Juifs ; à trois heures, juste au moment où les agneaux pascaux étaient immolés dans le temple, le Seigneur expirait. Le chant psalmodique qui suit décrit la trahison de Judas et la Passion de Jésus.
Maintenant, après le symbole, nous allons entendre la réalité et l’accomplissement : on chante la Passion. Cette fois, la Passion nous est racontée par le disciple préféré de Jésus, l’Apôtre saint Jean, qui, avec la Sainte Vierge, se tint auprès de la Croix et fut témoin oculaire de ces grands événements. Alors que les autres évangélistes décrivent surtout le côté humain de la Passion, saint Jean nous montre le Sauveur souffrant comme Dieu, comme Roi. Sa peinture de la Passion a un caractère de grandeur et de puissance : le Roi sur le trône de la Croix. Cette fois encore — quand la chose est possible — la Passion est chantée alternativement par trois prêtres ou trois diacres. Que tous les fidèles suivent respectueusement ce chant !
Trois interprètes nous ont parlé jusqu’ici : le Prophète, la Loi, l’Évangéliste. Nous passons, maintenant, aux antiques intercessions pour tous les états de l’humanité. C’est aujourd’hui particulièrement que conviennent ces prières : Jésus, le Roi du royaume de Dieu, a été « élevé » et, désormais, « il tire tout à lui ». Jésus, le second Adam, dort du sommeil de la mort, et de son côté sort la seconde Ève, l’Église. Dans les intercessions, nous prions d’abord pour l’Église, l’Épouse du Christ ; nous prions pour tous les états, même pour les schismatiques et les hérétiques. A chaque fois, le prêtre et le peuple s’agenouillent à l’appel du diacre : Flectamus genua (fléchissons les genoux). Nous nous relevons ensuite sur l’invitation du sous-diacre : Levate (Levez-vous). On n’omet la génuflexion qu’au moment de la prière pour les Juifs « infidèles » parce que, dans ce jour, ils s’agenouillèrent par dérision devant le Christ. Voici l’ordre de ces prières : on prie pour la sainte Église, pour les Ordres ecclésiastiques et les diverses classes de laïcs chrétiens, pour les catéchumènes, pour les besoins spirituels et temporels du monde entier, pour les schismatiques et les hérétiques, pour les Juifs et enfin pour les païens. Ainsi se termine la première partie de l’office du matin.
b) L’adoration de la Croix. Le point culminant du jour est l’adoration de la Croix, signe de notre salut. Cette cérémonie, elle aussi, est très ancienne et prit son origine à Jérusalem, où l’on honorait et baisait le bois de la vraie Croix. Le prêtre dépose ses ornements, se place du côté de l’Épître et l’on commence à dévoiler solennellement la croix. Si la Croix a été voilée depuis le dimanche de la Passion, c’est afin que l’Église puisse la dévoiler solennellement, aujourd’hui, dans une cérémonie impressionnante. Le diacre découvre en trois fois l’image du Crucifié, et, à chaque fois, le prêtre entonne sur un ton toujours plus élevé : « Voici le bois de la Croix, sur laquelle a été suspendu le salut du monde ». Le chant est continué par le chœur, et le peuple tombe à genoux en chantant : « Venez, adorons ».
On dépose alors sur les degrés de l’autel la croix placée sur un coussin. Le célébrant et les ecclésiastiques quittent leurs chaussures, s’approchent de la croix après trois génuflexions, et baisent les pieds du Christ pour honorer le Sauveur et le signe de notre rédemption. Le peuple aussi s’approche et vient baiser la croix. Chrétiens, adorons l’Époux ensanglanté, et dans notre baiser mettons toute notre âme. Pendant l’adoration de la Croix, le chœur chante un chant impressionnant. Ce sont les « Impropères », les plaintes et les reproches de Jésus à son peuple infidèle. Dans ses plaintes, à la fois douces et fortes, il rappelle à son peuple les bienfaits qu’il lui a accordés dans l’Ancien Testament et les ingratitudes qu’il a reçues en retour. Ces plaintes s’adressent aussi à nous et nous exhortent, en face de la mort du Christ, à une conversion sérieuse. Nous entendons sans cesse ce leitmotiv : « Mon peuple, que t’ai-je fait, et en quoi t’ai-je contristé ? réponds-moi ». Il est difficile de trouver un chant plus saisissant que celui-là, une scène plus touchante. Il y a encore un autre chant beaucoup plus ancien qui célèbre le Christ-Dieu. On le chante en deux langues, en grec et en latin : « Agios o Theos — Sanctus Deus » — Dieu saint, saint et fort, saint et immortel, aie pitié de nous. C’est un magnifique hommage à Dieu, en présence du signe triomphal de la Rédemption. A la fin, on chante même un cantique de joie à la Croix et à la Rédemption. « Ta Croix, Seigneur, nous l’adorons, nous louons et glorifions ta sainte Résurrection ; voici qu’à cause du bois de la Croix, la joie est venue dans le monde entier ».
c) La messe des présanctifiés. La troisième partie de la liturgie du Vendredi Saint est une communion. Le saint sacrifice est omis, aujourd’hui, depuis les temps les plus anciens, mais les premiers chrétiens ne voulaient pas renoncer à la communion. C’est pourquoi, à la messe d’hier, on consacrait plusieurs pains que l’on conservait pour le lendemain. Cette communion sans sacrifice préalable — qui, d’ailleurs, a souvent lieu chez les Grecs pendant le Carême — s’appelle la messe des présanctifiés. Jadis, comme on vient de le dire, tous les fidèles communiaient ; aujourd’hui, seul, le célébrant communie.
En procession solennelle, on va chercher, dans la chapelle où on l’a porté hier, le calice avec l’hostie consacrée, et on le rapporte à l’autel majeur, en chantant le « Vexilla Regis » que nous connaissons déjà « La bannière du Roi s’avance ». On veut marquer aujourd’hui, en chantant cette hymne, que l’on porte le corps immolé du Christ, le même qui fut suspendu à la Croix. Le célébrant dépose l’hostie sur le corporal. Le diacre verse du vin et le sous-diacre de l’eau dans le calice. Ce vin, aujourd’hui, ne sera pas consacré et ne servira qu’aux ablutions.
Ensuite, le prêtre encense l’hostie et l’autel, comme à toutes les messes solennelles. Il se lave les mains en silence. Il récite la prière de l’offrande personnelle (In spiritu) et l’Orate fratres auquel on ne répond pas. C’est une partie de l’Offertoire. On passe tout le Canon, et le prêtre commence immédiatement le Pater et récite tout haut le Libera. Il élève ensuite l’hostie de la main droite pour la montrer au peuple, il fait la fraction habituelle de t’hostie, récite ta dernière des oraisons préparatoires à la communion (car, dans cette dernière, il n’est question que de la réception du corps) et, après les trois « Domine, non sum dignus », il communie. Il boit ensuite le vin et purifie le calice. Ainsi se termine la cérémonie de communion.
Jetons un bref regard d’ensemble sur l’office du Vendredi Saint. Aux matines, nous avons considéré le Christ dans son abaissement humain, « comme un ver de terre, le mépris des hommes ». A la messe des présanctifiés, il se présente à nous comme Rédempteur et même comme Roi sur le trône de la Croix.
Cet aspect se trouve dans les trois parties : dans la première partie, avec la Passion de saint Jean et les intercessions ; dans la seconde partie, avec le dévoilement et l’adoration de la Croix ; dans la troisième partie, avec la cérémonie de communion où le Christ est l’Agneau immolé, mais glorifié. Il y a dans ces trois parties une progression : la mort du Seigneur sur la Croix est représentée dans la première partie par la parole (le Prophète, la Loi, l’Évangile) ; dans la seconde partie, par l’action et le symbole, dans la troisième partie par le sacrement.
Dom Pius Parsch
Extrait du Guide dans l’année liturgique (Introibo)
Ces commentaires concernent les offices de la Semaine Sainte d’avant la réforme de 1955 par Pie XII.