Le Pape François a répondu aux cinq questions, des «dubia» ou «doutes» en latin, qui lui ont été adressées en juillet dernier par les cardinaux Walter Brandmüller et Raymond Leo Burke, avec le soutien de trois autres cardinaux, Juan Sandoval Íñiguez, Robert Sarah et Joseph Zen Ze-kiun. Les questions des cardinaux, en italien, et les réponses du Pape, en espagnol, ont été publiées aujourd’hui sur le site du Dicastère pour la Doctrine de la Foi.
Rome a joué de main de maître sur ce dossier. Pour parer le coup de la publication des Dubia des cinq cardinaux, le Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi ainsi que la Communication du Vatican ont monté une opération pour faire croire que le Pape a répondu et qu’il n’y a plus rien à dire. Le nouveau préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi, le cardinal Victor Manuel Fernández, a publié sur le site du Dicastère la première Dubia envoyée au Pape par les cinq cardinaux le 10 juillet et la réponse signée par le Pape François. Mais les questions et les réponses font partie d’un seul document qui porte la date du 25 septembre. En fait, cette date se réfère à la demande que Fernández lui-même a faite au Pape de publier les parties saillantes de sa réponse, qui date du 11 juillet. Cela donne l’impression que le 25 septembre est bien la date de la réponse. Un effet clairement voulu, à tel point que la date du 11 juillet n’apparaît pas au bas de la réponse du Pape. En outre, M. Fernandez ignore totalement la deuxième demande d’éclaircissement des cinq cardinaux, datée du 21 août et que nous avons publié ce matin, dans laquelle il est expressément indiqué que la lettre du pape du 11 juillet ne répond pas du tout à leurs questions. Et en effet, disent les cardinaux, vos réponses n’ont pas résolu les doutes que nous avions soulevés, mais les ont plutôt approfondis”.
Voici les réponses :
1) Dubium sur l’affirmation selon laquelle la Révélation divine devrait être réinterprétée en fonction des changements culturels et anthropologiques en cours.
Suite aux affirmations de certains évêques, qui n’ont été ni corrigées ni rétractées, la question se pose de savoir si la Révélation divine dans l’Église doit être réinterprétée en fonction des changements culturels de notre temps et de la nouvelle vision anthropologique que ces changements promeuvent ; ou si la Révélation divine est contraignante pour toujours, immuable et donc à ne pas contredire, selon ce qui a été dicté au Concile Vatican II et qui stipule qu’à Dieu qui révèle est due «l’obéissance de la foi» (Dei Verbum 5) ; que ce qui est révélé pour le salut de tous doit rester «à jamais intact» et vivant, et être «transmis à toutes les générations» (7) et que le progrès de l’intelligence n’implique aucun changement dans la vérité des choses et des mots, parce que la foi a été «transmise une fois pour toutes» (8), et que le Magistère n’est pas supérieur à la Parole de Dieu, mais n’enseigne que ce qui a été transmis (10).
Réponse du Pape François
Chers frères,
Bien qu’il ne me semble pas toujours prudent de répondre aux questions qui me sont directement adressées, et qu’il me serait impossible de répondre à toutes, dans le cas présent, j’ai jugé opportun de le faire en raison de la proximité du Synode.
Réponse à la première question
a) La réponse dépend du sens que l’on attribue au mot «réinterpréter». S’il est compris comme «mieux interpréter», l’expression est valable. En ce sens, le Concile Vatican II a affirmé qu’il est nécessaire que, par le travail des exégètes – et j’ajouterais, des théologiens – «le jugement de l’Église mûrisse» (Concile œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum, 12).
b) Par conséquent, s’il est vrai que la Révélation divine est immuable et toujours contraignante, l’Église doit être humble et reconnaître qu’elle n’épuise jamais son insondable richesse et qu’elle a besoin de grandir dans sa compréhension.
c) Par conséquent, elle grandit aussi dans sa compréhension de ce qu’elle a elle-même affirmé dans son Magistère.
d) Les changements culturels et les nouveaux défis de l’histoire n’altèrent pas la Révélation, mais peuvent nous stimuler à mieux exprimer certains aspects de sa richesse débordante et qui offre toujours plus.
e) Il est inévitable que cela puisse conduire à une meilleure expression de certaines affirmations passées du Magistère, et cela s’est effectivement produit au cours de l’histoire.
f) D’autre part, il est vrai que le Magistère n’est pas supérieur à la Parole de Dieu, mais il est également vrai que tant les textes de l’Écriture que les témoignages de la Tradition ont besoin d’une interprétation qui permette de distinguer leur substance pérenne du conditionnement culturel. Cela est évident, par exemple, dans les textes bibliques (comme Exode 21:20-21) et dans certaines interventions magistérielles qui ont toléré l’esclavage (cf. Nicolas V, Bulle Dum Diversas, 1452). Il ne s’agit pas d’un argument secondaire, vu son lien intime lié à la vérité éternelle de la dignité inaliénable de la personne humaine. Ces textes doivent être interprétés. Il en va de même pour certaines considérations du Nouveau Testament sur les femmes (1 Corinthiens 11 : 3-10 ; 1 Timothée 2 : 11-14) et d’autres textes de l’Écriture et témoignages de la Tradition qui ne peuvent être répétés tels quels aujourd’hui.
g) Il est important de souligner que ce qui ne peut pas changer, c’est ce qui a été révélé «pour le salut de tous» (Concile œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum, 7). Par conséquent, l’Église doit constamment discerner ce qui est essentiel pour le salut et ce qui est secondaire ou moins directement lié à ce but. Je souhaite rappeler ce qu’affirmait saint Thomas d’Aquin: «plus on descend dans les détails, plus l’indétermination augmente» (Summa Theologiae 1-1 1, q. 94, art. 4).
h) Enfin, la seule formulation d’une vérité ne pourra jamais être adéquatement comprise si elle est présentée isolément, isolée du contexte riche et harmonieux de l’entière Révélation. La «hiérarchie des vérités» implique également de placer chaque vérité en juste connexion avec des vérités plus centrales et avec l’enseignement de l’Église dans son ensemble. Cela peut enfin éventuellement conduire à différentes manières d’exposer la même doctrine, même si «pour ceux qui rêvent d’une doctrine monolithique défendue par tous sans nuance, cela peut sembler une dispersion imparfaite. Mais en réalité, cette variété aide à mieux manifester et à développer les différents aspects de l’inépuisable richesse de l’Évangile» (Evangelii gaudium, 40). Tout courant théologique comporte des risques, mais aussi des opportunités.
2) Dubium sur l’affirmation que la pratique répandue de bénir les unions de personnes de même sexe est en accord avec la Révélation et le Magistère (CCC 2357).
Selon la Révélation divine, attestée dans la Sainte Écriture, que l’Église «par mandat divin et avec l’assistance de l’Esprit Saint, écoute pieusement, conserve saintement et expose fidèlement» (Dei Verbum IO): «Au commencement», Dieu créa l’homme à son image, il les créa homme et femme et les bénit pour qu’ils soient féconds (cf. Gn 1, 27-28), et pour cette raison l’apôtre Paul enseigne que nier la différence sexuelle est la conséquence de la négation du Créateur (Rm 1, 24-32). La question qui se pose est la suivante: l’Église peut-elle déroger à ce «commencement», en le considérant, contrairement à ce qu’enseigne Veritatis splendor 103, comme un simple idéal, et en acceptant comme «bien possible» des situations objectivement pécheresses, telles que les unions de personnes du même sexe, sans manquer à la doctrine révélée ?
Réponse du Pape François à la deuxième question
a) L’Église a une conception très claire du mariage: une union exclusive, stable et indissoluble entre un homme et une femme, naturellement ouverte à la procréation d’enfants. Seule cette union peut être appelée «mariage». Les autres formes d’union ne le réalisent que «de manière partielle et analogique» (Amoris laetitia 292) et ne peuvent donc pas être strictement appelées «mariage».
b) Ce n’est pas seulement une question de noms, mais la réalité que nous appelons mariage a une constitution essentielle unique qui requiert un nom exclusif, non applicable à d’autres réalités. Elle est sans aucun doute beaucoup plus qu’un simple «idéal».
c) C’est pourquoi l’Église évite tout type de rite ou de sacramentel qui pourrait contredire cette conviction et faire croire que l’on reconnaît comme mariage quelque chose qui ne l’est pas.
d) Cependant, dans nos relations avec les personnes, nous ne devons pas perdre la charité pastorale, qui doit imprégner toutes nos décisions et attitudes. La défense de la vérité objective n’est pas la seule expression de cette charité, qui est aussi faite de bonté, de patience, de compréhension, de tendresse et d’encouragement. Nous ne pouvons donc pas être des juges qui ne font que nier, rejeter, exclure.
e) La prudence pastorale doit donc discerner correctement s’il existe des formes de bénédiction, demandées par une ou plusieurs personnes, qui ne véhiculent pas une conception erronée du mariage. En effet, lorsqu’on demande une bénédiction, on exprime une demande d’aide à Dieu, un appel à pouvoir mieux vivre, une confiance en un Père qui peut nous aider à mieux vivre.
f) D’autre part, bien qu’il existe des situations qui, d’un point de vue objectif, ne sont pas moralement acceptables, la même charité pastorale nous demande de ne pas traiter simplement comme «pécheurs» d’autres personnes dont la culpabilité ou la responsabilité peuvent être atténuées par divers facteurs qui influencent l’imputabilité subjective (cf. saint Jean-Paul II, Reconciliatio et Paenitentia, n. 17).
g) Les décisions qui, dans certaines circonstances, peuvent faire partie de la prudence pastorale ne doivent pas nécessairement devenir une norme. En d’autres termes, il n’est pas opportun qu’un diocèse, une Conférence épiscopale ou toute autre structure ecclésiale autorise constamment et officiellement des procédures ou des rites pour toutes sortes de questions, car tout «ce qui fait partie d’un discernement pratique face à une situation particulière ne peut être élevé au rang de norme», car cela «donnerait lieu à une casuistique insupportable» (Amoris laetitia 304). Le droit canonique ne doit pas et ne peut pas tout couvrir, et les Conférences épiscopales, avec leurs divers documents et protocoles, ne doivent pas non plus l’exiger, car la vie de l’Église passe par de nombreux canaux en plus des canaux normatifs.
3) Dubium sur l’affirmation que la synodalité est une «dimension constitutive de l’Église»(Const.Ap. Episcopalis Communio 6), de sorte que l’Église serait synodale par nature.
Étant donné que le Synode des évêques ne représente pas le Collège des évêques, mais n’est qu’un organe consultatif du Pape, les évêques, en tant que témoins de la foi, ne peuvent pas déléguer leur confession de la vérité, il est demandé si la synodalité peut être le critère régulateur suprême du gouvernement permanent de l’Église sans dénaturer sa structure constitutive voulue par son Fondateur, en fonction de quoi l’autorité suprême et plénière de l’Église est exercée, tant par le Pape en vertu de sa charge, que par le collège des évêques avec son chef le pontife romain (Lumen Gentium 22).
Réponse du pape François à la troisième question
a) Bien que vous reconnaissiez que l’autorité suprême et plénière de l’Église est exercée à la fois par le Pape en vertu de sa charge et par le collège des évêques avec leur chef, le Pontife romain (cf. Concile œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, 22), vous manifestez par ces questions votre besoin de participer, d’exprimer librement votre opinion et de collaborer, demandant ainsi une forme de “synodalité” dans l’exercice de mon ministère.
b) L’Église est un «mystère de communion missionnaire», mais cette communion n’est pas seulement affective ou éthérée, elle implique nécessairement une participation réelle: non seulement la hiérarchie, mais tout le Peuple de Dieu, de différentes manières et à différents niveaux, peut faire entendre sa voix et se sentir partie prenante du cheminement de l’Église. En ce sens, nous pouvons dire que la synodalité, en tant que style et dynamisme, est une dimension essentielle de la vie de l’Église. Saint Jean-Paul II a dit de très belles choses sur ce point dans Novo millennio ineunte.
c) Sacraliser ou imposer une certaine méthodologie synodale qui plaît à un groupe, pour en faire une norme et un chemin obligatoire pour tous, est une chose différente, car cela ne conduirait qu’à “geler” le chemin synodal, en ignorant les différentes caractéristiques des diverses Églises particulières et la richesse bigarrée de l’Église universelle.
4) Dubium sur le soutien des pasteurs et des théologiens à la théorie selon laquelle “la théologie de l’Église a changé” et donc que l’ordination sacerdotale peut être conférée à des femmes.
À la suite des affirmations de certains prélats, qui n’ont été ni corrigées ni rétractées, selon lesquelles la théologie de l’Église et le sens de la messe ont changé avec Vatican II, la question se pose de savoir si le dictat du Concile Vatican II est toujours valable, selon lequel «le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel qui ont en eux une différence essentielle et non seulement en degré» (Lumen Gentium IO) et que les presbytres, en vertu du «pouvoir sacré d’offrir le Sacrifice et de remettre les péchés» (Presbyterorum Ordinis 2), agissent au nom et en la personne du Christ médiateur, par lequel le sacrifice spirituel des fidèles est rendu parfait? Il est demandé également si l’enseignement de la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis de saint Jean-Paul II, qui enseigne comme une vérité à considérer définitive l’impossibilité de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes, est toujours valable, de sorte que cet enseignement n’est plus assujetti à des changements ou à la libre discussion des pasteurs ou des théologiens.
Réponse du Pape François à la quatrième question
a) «Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel qui ont entre eux une différence essentielle» (Concile œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, 10). Il n’est pas opportun de défendre une différence de degré qui implique de considérer le sacerdoce commun des fidèles comme quelque chose de “second ordre” ou de moindre valeur (un «degré inférieur»). Les deux formes de sacerdoce s’éclairent et se soutiennent mutuellement.
b) Lorsque saint Jean-Paul II a enseigné qu’il faut affirmer «de façon définitive» qu’il est impossible de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes, il n’a en aucun cas dénigré les femmes et conféré le pouvoir suprême aux hommes. Saint Jean-Paul II a également affirmé d’autres choses. Par exemple, que lorsque nous parlons de pouvoir sacerdotal, «Nous sommes dans le concept de la fonction, non de la dignité et de la sainteté». (St Jean-Paul II, Christifideles Laici, 51). Ce sont des mots que nous n’avons pas suffisamment accueillis. Il a aussi clairement affirmé que, bien que seul le prêtre préside l’Eucharistie, les tâches «ne donnent pas lieu à la supériorité de certains sur d’autres» (St Jean Paul II, Christifideles laici, note 190 ; Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Inter Insigniores, VI). Il a également affirmé que si la fonction sacerdotale est «hiérarchique», elle ne doit pas être comprise comme une forme de domination, mais comme «totalement ordonnée à la sainteté des membres du Christ» (St Jean Paul II, Mulieris dignitatem, 27). Si l’on ne comprend pas cela et si l’on ne tire pas les conséquences pratiques de ces distinctions, il sera difficile d’accepter que le sacerdoce soit réservé aux seuls hommes et l’on ne pourra pas reconnaître les droits des femmes ni la nécessité pour elles de participer, de diverses manières, à la conduite de l’Église.
c) D’autre part, pour être rigoureux, nous reconnaissons qu’une doctrine claire et faisant autorité sur la nature exacte d’une “déclaration définitive” n’a pas encore été élaborée de manière exhaustive. Il ne s’agit pas d’une définition dogmatique, cependant, elle doit être acceptée par tous. Personne ne peut la contredire publiquement et pourtant elle peut faire l’objet d’études, comme dans le cas de la validité des ordinations dans la Communion anglicane.
5) Dubium au sujet de l’affirmation «le pardon est un droit de l’Homme» et de l’insistance du Saint-Père sur le devoir d’absoudre tout le monde et toujours, de sorte que le repentir ne serait pas une condition nécessaire à l’absolution sacramentelle.
Il est demandé si l’enseignement du Concile de Trente, selon lequel, pour que la confession sacramentelle soit valide, la contrition du pénitent est nécessaire, laquelle consiste à détester le péché commis avec l’intention de ne plus pécher (Session XIV, Chapitre IV : DH 1676), est toujours en vigueur, de sorte que le prêtre doit reporter l’absolution lorsqu’il est clair que cette condition n’est pas remplie.
Réponse du Pape François à la cinquième question
a) Le repentir est nécessaire pour la validité de l’absolution sacramentelle et implique l’intention de ne pas pécher. Mais il n’y a pas de mathématiques ici et je dois vous rappeler une fois de plus que le confessionnal n’est pas un bureau de douane. Nous ne sommes pas des maîtres, mais d’humbles intendants des sacrements qui nourrissent les fidèles, parce que ces dons du Seigneur, plutôt que des reliques à garder, sont des aides de l’Esprit Saint pour la vie des gens.
b) Il y a de nombreuses façons d’exprimer le repentir. Souvent, chez les personnes dont l’estime de soi est très blessée, plaider coupable est une torture cruelle, mais le simple fait de s’approcher de la confession est une expression symbolique du repentir et de la recherche de l’aide divine.
c) Je voudrais également rappeler que «parfois, il nous coûte beaucoup de faire place à l’amour inconditionnel de Dieu dans la pastorale» (Amoris laetitia 311), mais qu’il faut l’apprendre. À la suite de saint Jean-Paul II, je soutiens que nous ne devrions pas exiger des fidèles des intentions de correction trop précises et certaines, qui finissent par devenir abstraites ou même narcissiques, mais même la prévisibilité d’une nouvelle chute «ne porte pas atteinte à l’authenticité de l’intention» (saint Jean-Paul II, Lettre au Card. William W. Baum et aux participants au cours annuel de la Pénitencerie apostolique, 22 mars 1996, 5).
d) Enfin, il doit être clair que toutes les conditions qui sont habituellement posées à l’aveu ne sont généralement pas applicables lorsque la personne se trouve dans une situation d’agonie ou avec des capacités mentales et psychiques très limitées.